Comment 50 millions d’euros destinés aux SMR ont soudainement disparu : ou comment Dermine a usé de créativité pour offrir un astronaute à la Belgique

La Belgique se devait de fournir le prochain astronaute européen : Raphaël Liégeois, originaire de Namur, partira dans l’espace entre 2026 et 2030 avec l’ESA. Politiquement, c’est le plus grand trophée du secrétaire d’État à la Politique scientifique, Thomas Dermine (PS). Celui-ci a remué ciel et terre, avec une importante campagne promotionnelle de l’astronaute et du gouvernement, incluant même le roi en amont. Mais Dermine semble également avoir été très créatif avec ses budgets. Car après que le gouvernement a d’abord décidé l’année dernière de réduire les contributions à l’ESA, la Vivaldi a soudainement commencé à investir massivement. De l’argent a été recherché et trouvé dans des budgets qui n’avaient rien à voir avec le secteur aérospatial : la recherche nucléaire sur les SMR, des réacteurs modulaires de petite taille, a dû céder 50 millions. 35 millions provenaient aussi du fonds de relance, que l’UE a accordé pour relancer l’économie après la période Covid. La Défense a contribué à hauteur de 100 millions à la cagnotte de l’ESA, provenant de la DIRS, un fonds de recherche et de développement de 1,8 milliard d’euros pour l’industrie de la défense. Enfin, 50 millions sont venus directement du Trésor public. Au total : 235 millions d’euros sur 5 ans. Tout le monde au sein de la Vivaldi n’était pas content : cela allait à l’encontre de l’avis de l’Inspection des Finances, et l’ancienne secrétaire d’État au Budget, Eva De Bleeker (Open Vld), avait de grandes questions à ce sujet. « Et ces 50 millions devront être retrouvés d’une manière ou d’une autre pour effectuer cette recherche nucléaire, nous devrons corriger cela », entend-on au sein de la Vivaldi. « Dermine a clairement dû faire certaines promesses », sous-entend la députée de l’opposition, Frieda Gijbels (N-VA).

Dans l’actu : Tout était bon pour envoyer le premier Wallon, Raphaël Liégeois, dans l’espace.

Les détails : Le centre de recherche nucléaire SCK CEN ne reçoit plus que la moitié du montant promis pour la recherche sur les petits réacteurs nucléaires modulaires, les SMR.

  • Cent millions pour de nouveaux SMR, les « small modular reactors ». C’était une exigence tant du MR que du cd&v pour maintenir vivante la recherche sur la nouvelle génération de réacteurs nucléaires, et donc aussi le rêve nucléaire. Malgré l’opposition des écologistes, la Vivaldi a annoncé l’année dernière qu’elle attribuerait au centre de recherche nucléaire SCK CEN à Mol une enveloppe de 100 millions d’euros pour mener des recherches sur les réacteurs de nouvelle génération.
  • « Pour être neutre en carbone d’ici 2050, nous devrons utiliser toutes les technologies, y compris l’énergie nucléaire », avait déclaré fermement le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) à l’époque.
  • Cependant, comme le soulignent des sources de haut rang au sein de la Vivaldi, 50 millions de ce montant ont soudainement disparu. Lors du conseil des ministres du 14 novembre 2022, un mois après les négociations budgétaires, la moitié du budget de fonctionnement alloué au centre, soit 50 millions d’euros, a été attribuée au budget des programmes de l’ESA, l’Agence spatiale européenne. Ce montant provient du budget du SPF Politique scientifique, sous la tutelle de Thomas Dermine, le golden boy du PS.
  • Et plus étonnant encore, le montant retiré n’a pas été automatiquement reconstitué, comme l’avait averti De Bleeker lors du conseil des ministres. Le cabinet de Dermine confirme également : « Aucune compensation n’a été décidée ou prévue ».
  • Du côté de l’opposition, où l’on sentait quelque chose de louche, la question a été posée à plusieurs reprises à la Vivaldi : « Le Premier ministre a dit que c’était un déplacement temporaire, que ce budget était sous-utilisé, qu’il reviendrait. Mais il n’a toujours pas été récupéré », a déclaré la députée Frieda Gijbels (N-VA).
  • Et au sein même de la majorité, on n’était pas vraiment emballé par le plan de Dermine : « Nous voulions montrer de la flexibilité, mais l’intention n’était certainement pas d’utiliser de l’argent qui n’avait rien à voir avec l’ESA », raconte une source gouvernementale. Au sein du gouvernement, on regardait avec de grands yeux les manœuvres de Dermine pour rassembler tout cet argent pour l’ESA. « Mais il était très clair que le PS le voulait. »
  • Alexia Bertrand (Open Vld), qui a succédé à De Bleeker en tant que secrétaire d’État au Budget, a indiqué la semaine dernière à la Chambre que le SCK CEN disposerait bien d’un budget de 100 millions d’euros. « Nous allons effectivement devoir régler cela, car nous voulons vraiment faire cette recherche sur les SMR », déclare une source gouvernementale aujourd’hui. Le cabinet de Dermine confirme d’ailleurs : « Le gouvernement n’a pas décidé de réduire les ambitions du programme SMR. »
  • Mais cela signifie qu’il faudra trouver à nouveau 50 millions d’euros. D’où proviendront-ils, c’est la grande question.

En fait : De l’argent est venu de partout pour l’ESA.

  • Outre l’argent destiné à la recherche nucléaire qui est soudainement devenu de l’argent spatial, la Défense a également contribué de manière significative. Le PS, avec la ministre de la Défense Ludivine Dedonder, contrôle ce département. Pas moins de 100 millions ont été libérés de la « Defence, Industry and Research Strategy » ou DIRS.
  • Dans ce fonds, entre 2022 et 2030, 1,8 milliard d’euros sont débloqués du budget de la défense pour structurer les investissements dans l’industrie belge, plus précisément dans la recherche et le développement. Le comité de direction du DIRS, composé de représentants des cabinets de la Défense et de l’Économie ainsi que des hauts gradés de la défense, doit décider des projets vers lesquels cet argent sera dirigé. Les 100 millions pour l’ESA ont été attribués alors que ce comité de direction du DIRS n’avait pas encore été constitué. L’Inspection des Finances était catégorique à ce sujet : « Elle n’aurait en aucun cas pu prendre part à la décision ».
  • Il semble également très peu probable que le comité de direction aurait accepté l’attribution : le DIRS stipule que le budget est principalement destiné aux « besoins capacitaires de la politique belge de sécurité et de défense, aux priorités de l’UE et de l’OTAN en matière de recherche technologique liée à la défense ou au potentiel technologique et industriel de la recherche et du développement liés à la défense ». Un investissement dans l’ESA, une agence civile, ne semble correspondre à aucun de ces trois domaines.
  • Le Trésor belge contribue lui-même à hauteur de 50 millions d’euros au secteur spatial. De plus, de l’argent est également puisé dans le Fonds de Relance, financé par l’Europe, destiné à relancer les économies des États membres après la pandémie, en particulier dans le cadre du projet « Appel de soutien au secteur aérospatial », qui mobiliserait 35 millions d’euros.
  • C’est bien sûr Dermine, en tant que secrétaire d’État à la Relance, qui doit gérer ce fonds. « Comme l’économie de notre pays s’est mieux comportée que prévu après la crise du Covid-19, ce projet a été annulé et le budget a été alloué à deux programmes de l’ESA. Cela correspondait aux objectifs initiaux », a déclaré le porte-parole de Dermine.

L’essentiel : Dermine a rencontré de la résistance, notamment de la part de l’Inspection des Finances, ainsi que de la secrétaire d’État De Bleeker. Mais l’astronaute devait coûte que coûte être obtenu.

  • La secrétaire d’État De Bleeker, qui gérait le budget à l’époque, avait de sérieux doutes sur les actions de Dermine : dans sa note au gouvernement, elle mentionnait que le socialiste avait créé une « urgence artificielle et fausse » afin de pousser rapidement les investissements dans l’ESA, juste avant le conseil des ministres de l’ESA à Matosinhos, au Portugal. Ce conseil avait été prévu des mois à l’avance, Dermine avait donc tout le temps de préparer soigneusement ses dossiers.
  • L’Inspection des Finances n’était également pas satisfaite de cette manoeuvre. Dans un projet de note au gouvernement, elle remettait en question la nécessité des décisions, « étant donné qu’il existe déjà une ‘enveloppe spatiale’ dans le budget de la politique scientifique ». Le service a donc donné un avis négatif à Dermine, mais ce dernier a poursuivi son plan.
  • De Bleeker mentionne également que la Belgique est déjà cinquième sur la liste des pays qui contribuent le plus à l’ESA. Concrètement, le pays investit 325 millions d’euros par an dans l’organisation spatiale européenne pour la période 2023-2027. Les investissements supplémentaires, approuvés lors du conseil des ministres du 18 novembre, ajoutent 235 millions d’euros au total, soit environ 47 millions par an, « ce qui est une augmentation très importante », note la députée Gijbels.
  • Investir davantage en période de difficultés budgétaires n’est certainement pas évident, écrit également De Bleeker dans sa note. « Conformément à l’accord de coalition, le gouvernement doit naturellement veiller à ce que sa participation à l’ESA ne soit pas réduite. Cependant, exclure une réduction n’est évidemment pas la même chose que de décider d’une augmentation. »
  • Finalement, la secrétaire d’État libérale a dû céder, le PS a insisté, et personne n’avait vraiment envie de se battre à ce sujet au sein du gouvernement Vivaldi. « Dermine tenait absolument à avoir cet astronaute et a fait preuve de beaucoup de créativité », conclut une source gouvernementale de haut rang.
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