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Dopé aux aides publiques, le secteur de la construction est une bombe à retardement sous l’économie italienne

Dopé aux aides publiques, le secteur de la construction est une bombe à retardement sous l’économie italienne
crédit: Getty Images

Des subventions et des crédits d’impôt distribués à foison depuis deux ans, pour améliorer les habitations au niveau énergétique en Italie, ont été mis à l’arrêt, pour suspicions de fraude, laissant de nombreux constructeurs avec des factures impayées. Ils craignent licenciements et faillites à grande échelle, ce qui jetterait le pays dans la récession.

Le secteur de la construction qui tombe à l’arrêt, ce n’est jamais un bon signe pour l’économie. Mais c’est pourtant ce qui est en train de se produire en Italie. En 2020, le pays avait lancé un programme de subventions destiné à des travaux qui permettent de rendre les maisons plus « vertes », comme le changement de chauffage, une meilleure isolation, des panneaux solaires, et tout la panoplie qui va de pair. De nombreux projets de construction avaient débuté, donnant un coup de pouce à l’ensemble de l’économie. La construction représentait 0,9 des 6,6% du taux de croissance en 2021. Le programme était largement vu comme un succès.

Sauf que le système de subventions (jusque 110% du prix des travaux) données aux citoyens et de réductions d’impôts octroyées (qui peuvent être vendues comme crédits d’impôt aux entrepreneurs, puis échangés par eux à d’autres entrepreneurs ou à des banques contre de l’argent comptant) a été mis à l’arrêt, à cause de suspicions de fraude et d’abus. Et ainsi, les entrepreneurs se retrouvent avec des factures impayées et sont en manque de liquidités, rapporte Reuters.

Un secteur entier à l’arrêt, qui se retrouve avec des factures impayées sur les bras, c’est un véritable risque pour l’économie entière, clament des représentants du secteur, comme le groupe d’intérêt CNA. Ils avertissent : il y aura des dizaines de milliers de faillites et des centaines de milliers de licenciements. Le mot est laché: ce sera synonyme de récession.

Effet domino et paradoxe des aménagements verts

Certaines entreprises n’ont pas été payées depuis plusieurs mois. En conséquence, elles sont incapables de payer leurs fournisseurs ou autres intervenants, comme des consultants. Des milliers d’autres entreprises sont donc également touchées, à leur tour.

Les données officielles montrent aussi des signes inquiétants. Pour la première fois en neuf mois, la production du secteur de la construction a baissé, au mois d’avril. Au mois de mai, la jauge de confiance était au plus bas depuis six mois. L’indice des directeurs d’achat de la construction (qui mesure le niveau de leur activité) est même au plus bas depuis janvier 2021 : moins ils achètent, moins les chantiers avancent, et moins les entreprises en amont fournissent leurs services, en somme.

Mais le marasme ne s’arrête pas là. Le problème, c’est le risque de devoir faire un trait sur des fonds européens, faisant partie du fameux programme de relance post-pandémie – où l’Italie a reçu la plus large enveloppe -, que Rome doit encore recevoir. Leur obtention est liée à des conditions d’efficience énergétique des bâtiments, qui doit être doublée d’ici 2025. Voilà en tout cas un paradoxe : l’Italie a besoin d’encore plus investir dans les isolations et les chauffages, pour avoir accès à des fonds qui donneront un fameux coup de pouce à son économie, alors que ces investissements sont en train de plomber son économie.

Fraude, abus et inflation

Les premiers cas de fraude ont été détectés à la fin de l’année 2021. Plus de deux milliards d’euros en subventions étaient incriminés.

Le Premier ministre, Mario Draghi, n’appréciait pas le programme, surtout le « superbonus » à 110%. C’est que le programme a été lancé par son prédécesseur, Giuseppe Conte, et Draghi, ancien président de la BCE, entré en fonction en février 2021, n’hésite pas à critiquer le programme publiquement, comme le mois dernier devant le Parlement européen. Pour lui, le programme, sous sa forme actuelle, mène à deux choses : des fraudes, et à l’augmentation des prix. Comme les citoyens reçoivent l’argent directement dans la poche, ils n’essaient pas de négocier les prix des travaux, et donc les prix augmentent. Le ministre de l’Industrie, Giancarlo Giorgetti, ne mâche pas ses mots non plus. Pour lui, le secteur est « drogué » par ce programme, qui favorise en plus l’inflation.

En Italie, le secteur de la construction est aussi réputé pour être le terrain de jeu de la mafia. Le pays connaît une longue histoire de scandales de constructions factices et de projets frauduleux employant des matériaux bon marché et de basse qualité alors que les factures prétendent le contraire, par exemple. La corruption y a souvent joué un rôle direct également.

Draghi, souvent désigné de « banquier technocrate », a donc pris des mesures contre les reventes des crédits d’impôt, en limitant le nombre de fois qu’un tel titre peut être revendu. Avec ces mesures, les banques ont perdu confiance et ont arrêté de racheter les crédits, ce qui entraîne un manque de liquidité auprès des constructeurs, qui avaient accepté ces crédits en guise de paiement. Des crédits d’une valeur totale de cinq milliards d’euros se retrouvent ainsi bloqués, selon une estimation du secteur.

Economie vulnérable

Le secteur demande à pouvoir revendre les crédits comme avant. D’autres partis politiques demandent à relancer la machine des subventions, et à étendre les crédits d’impôt à de plus petites entreprises également, et à autoriser les banques à échanger les crédits d’impôt contre des obligations d’Etat.

Reste finalement à savoir si les représentants du secteur surdramatisent la situation pour continuer à avoir accès à de l’argent facile, ou si le gouvernement a trop fortement resserré la vis et pourrait en effet causer une récession.

Dans tous les cas, l’économie italienne est actuellement vulnérable, après avoir été le miracle de la sortie de pandémie. Les taux de rendement sur les obligations à 10 ans ont fortement augmenté ces derniers jours, et se sont écartés du taux de rendement allemand, qui sert de référence. Un tel emballement s’est également produit juste avant la dernière crise de l’euro, au début des années 2010. L’Italie a également une des dettes les plus élevées, comparée au PIB et au déficit budgétaire, et les prochaines hausses des taux d’intérêt de la BCE pourraient corser la situation. Avec ces nuages sombres à l’horizon, la République transalpine voudra sans doute éviter l’éclatement de tout un secteur.

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