Le chauvinisme français menace un éventuel accord entre Carrefour et le Canadien Couche Tard

Le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, s’oppose au rapprochement entre les deux géants des supermarchés Carrefour et Couche-Tard. Un réflexe protectionniste presque classique, sous prétexte de ‘souveraineté alimentaire’.

Les discussions entre le Canadien Couche-Tard et le Français Carrefour sont toujours en phase exploratoire. Pour l’heure, on parle encore d’une ‘offre amicale’, qui aurait le soutien du CEO de Carrefour, Alexandre Bompard. Il reste maintenant à voir si les deux parties arriveront à un accord.

À défaut, Couche-Tard pourra toujours se tourner directement vers les actionnaires de Carrefour, avec une offre publique d’achat hostile. Mais c’est une stratégie beaucoup plus risquée. En général, le prix d’acquisition est bien plus haut qu’en cas d’accord à l’amiable et les chances de succès sont plus basses.

Mais Couche-Tard devra également prendre en compte le gouvernement français. Les autorités françaises sont toujours sur le qui-vive lorsqu’une entreprise française menace de tomber entre des mains étrangères. Un exemple ? Le cas des supermarchés Promodès en 1999. Le gouvernement français a tout fait pour qu’ils soient récupérés par Carrefour, craignant que Wal-Mart ne les récupère. Et ce n’est pas différent maintenant. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a déjà fait savoir qu’il n’aimait pas cette histoire.

‘Le jour où vous irez chez Carrefour, chez Auchan, et qu’il n’y aura plus de pâtes, plus de riz, vous ferez comment ?’

Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie

Sur la chaîne de télévision France 5, Le Maire a déclaré que Carrefour est, selon lui, ‘un maillon essentiel de la sécurité alimentaire des Français’. Des propos que Couche-Tard prend très au sérieux. Selon un décret sur le contrôle des investissements étrangers, le ministre a le droit d’intervenir dans les négociations au nom de la sécurité alimentaire. Il est donc considéré comme une menace au projet par l’entreprise canadienne.

Cependant, l’argumentation de Bruno Le Maire ne tient pas vraiment debout. Carrefour n’est pas le seul grand groupe de supermarchés en France. Il y a aussi Auchan, E. Leclerc et Système U. Les Français ont encore l’embarras du choix pour aller faire leurs courses dans un véritable établissement français. En outre, ce n’est pas vraiment dans l’intérêt de Couche-Tard de proposer à l’avenir des étagères vides.

Cependant, Le Maire n’est pas découragé. Sur France 5, il n’a d’ailleurs pas hésité à pousser sa réflexion un peu plus loin. ‘Le jour où vous irez à Carrefour, ou même à Auchan, et il n’y aura plus de pâtes ni de riz, qu’est-ce que vous allez faire?’ Cela est quelque peu dramatique. Comme si Couche-Tard allait expédier les sacs de riz prévus pour la France au Canada.

Bernard Arnault cherche la sortie

La question est de savoir sur quel soutien le ministre de l’Économie pourra compter. Il y a de fortes chances que les Canadiens parviennent à un accord avec Carrefour. Et le principal actionnaire, Bernard Arnault (le milliardaire surtout connu pour le groupe de luxe LVMH) est la tête du groupe depuis 2007. Il partage les actions principalement avec Colony Capital.

Pendant l’année 2020, les actions Carrefour n’ont pas cessé de se dégrader. Les tentatives pour bloquer la bourse en vendant cet investissement ont souvent échoué. Une offre publique serait le meilleur moyen pour les actionnaires de quitter le bateau rapidement.

Politiquement, il est également loin d’être certain que Le Maire recevra le soutien nécessaire du président Emmanuel Macron. Le chef d’Etat est surtout concentré sur la sortie de la crise du Covid-19. Ce n’est pas le moment idéal pour faire campagne contre un accord entre deux entreprises privées.

Macron a un problème de crédibilité

Le président français, au vu de ses antécédents, pourrait difficilement s’opposer à un accord entre les deux firmes. Entre 2008 et 2012, il était un banquier d’affaires pour Rotschild & Cie. Il est notamment devenu millionnaire pendant cette période grâce aux primes gagnées lors des fusions et acquisitions. Sa réalisation la plus importante ? L’acquisition de la division des aliments pour bébés du géant pharmaceutique Pfizer par le groupe alimentaire Nestlé.

Il est devenu ensuite ministre de l’Économie sous la présidence de François Hollande entre 2014 et 2016. Lors de son mandat, il a donné beaucoup plus de libertés de mouvement aux entreprises. La loi Macron est d’ailleurs encore dans toutes les mémoires. Cette loi a permis un assouplissement des horaires de travail, une libéralisation de certaines professions et des aides aux entreprises. En bref, il serait très difficile pour Macron d’accepter un blocage protectionniste après toutes ses mesures d’ouverture du marché.

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