Plus les États-Unis imposent des sanctions économiques à la Russie (et à d’autres), plus les pays et les banques centrales vont se détourner du dollar pour diversifier leurs avoirs en monnaies étrangères. À terme, cela affaiblirait le dollar et l’éjecterait de sa position de monnaie dominante, estime un expert.
Concernant les sanctions économiques, les États-Unis ont la « gâchette facile », estime Gal Luft de l’Institute for the Analysis of Global Security, un think tank américain. Il explique sur CNBC que ces mesures pourraient détourner de nombreux pays du dollar, car les banques centrales chercheront à diversifier leur portefeuille en monnaies étrangères, au lieu de dépendre largement du dollar. « Elles commencent à se poser des questions, à se demander si mettre tous ses oeufs dans le même panier est une bonne idée », lance l’expert.
Les États-Unis ont la gâchette facile et ne rechignent pas à sortir les grosses munitions : pour l’expert, geler les actifs de la Banque centrale russe et éjecter la Russie du Swift étaient des mesures « sans précédent et inacceptables ». Il s’explique : un pays sur dix, dans le monde, est soumis à des sanctions américaines. À terme, le dollar pourrait être attaqué dans sa position dominante de première monnaie internationale. « Cela a un effet cumulatif et, par conséquent, nous voyons le dollar jouer un rôle de moins en moins important dans les portefeuilles des banques centrales », explique-t-il. Il rappelle également la décision de l’Arabie Saoudite d’accepter des paiements en yuans pour son pétrole.
« Manque de conscience » et « nouvel ordre mondial »
Les pays vont se détourner du dollar, réitère-t-il, mais la classe politique américaine a un « manque de conscience » quant aux conséquences de leurs actes. « C’est comme si une bande de gamins courait partout avec des armes à feu sans se rendre compte de ce qu’ils font réellement, sans regarder l’impact cumulatif de tout cela. D’un côté, vous sanctionnez à droite et à gauche. D’autre part, vous voulez que les pays achètent vos bons au Trésor et financent votre dette. Ce n’est pas un scénario viable », analyse-t-il.
Luft réfléchit encore plus loin et voit l’apparition d’un « nouvel ordre mondial », une sorte de réalignement des systèmes mondiaux des finances, de la géopolitique et de l’énergie. « La transition n’est jamais heureuse. Elle est toujours douloureuse, mais c’est la seule façon pour le monde de se transformer d’un ordre mondial à un autre », imagine-t-il. Une estimation qui rejoint celle du FMI, qui voit arriver « un changement fondamental de l’ordre économique et géopolitique mondial ».
Alternatives
Et puis il y a l’inflation galopante aux États-Unis qui affaiblit le billet vert. Un prétexte qui pousse certains à chercher davantage d’alternatives. La « valeur réelle » de 1 dollar a été divisée par 6 ces 50 dernières années. C’est-à-dire que 1 dollar de 1972 en vaudrait 6,99 aujourd’hui. En d’autres termes, 1 dollar d’aujourd’hui a divisé le pouvoir d’achat par 6. Dit encore autrement: si 1 dollar valait 1 dollar en 1972, il n’en vaudrait plus que 0,14 cent aujourd’hui, soit une diminution de 86%.
Selon l’investisseur américain expérimenté Lawrence Lepard, Poutine a tiré dans la tête du « roi dollar ». Il s’attend à un séisme monétaire, définissant tout le siècle, dont nous ne mesurons pas encore l’ampleur. La Russie dit au reste du monde qu’elle ne vendra plus ses produits de base essentiels, tels que le pétrole, le gaz naturel et les céréales, contre des devises occidentales, qui sont dévaluées par cette tempête inflationniste.
L’Occident utilise ses systèmes financiers comme une arme. Quelle conséquence possible ? La remise en cause totale des monnaies dominantes de l’Occident, comme le dollar, et l’émergence de « monnaies non contrôlées par l’État » comme défense naturelle, notamment l’or, les matières premières et le bitcoin. Et les matières premières, la Russie n’en manque pas. Ainsi, dans un monde où le système financier s’effondrerait, et où les monnaies fiduciaires auraient moins de valeur, le pays peut toujours compter sur ses sources d’énergie, ses céréales et ses métaux rares, argumente encore Lepard.
Unanimité?
La mort du « roi dollar » a déjà été annoncée aussi souvent que celle du bitcoin ou celle du pétrole. Il y a des éléments qui peuvent confirmer une perte en puissance, mais d’autres l’infirment.
« Fuir » le « roi dollar » ne ferait que le rendre encore plus fort. Plus la part du dollar dans le commerce international diminue, plus la monnaie se manifeste sur les marchés des changes. La valeur d’une monnaie reflète la confiance que les investisseurs lui accordent. Si le dollar est fort aujourd’hui, c’est parce que les États-Unis disposent d’un certain nombre d’avantages majeurs qui sont considérés comme importants par les investisseurs. Malgré une dette de 30.000 milliards de dollars (125 % du PIB), le pays est pratiquement indépendant sur le plan énergétique et alimentaire, possède l’armée la plus puissante du monde et abrite les plus grandes entreprises technologiques du monde. Des garanties que n’ont pas d’autres monnaies.