« Je pense qu’il est encore possible de faire un pas avant l’été », a conclu mercredi le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) en mettant pour la première fois sur la table la réforme fiscale tant attendue. « C’est une lecture optimiste », entend-on déjà au sein du gouvernement. Ce serait en fait probablement un exploit de mettre tout le monde d’accord sur une telle réforme. « Pour le MR, un tax shift vers la fortune est encore trop difficile à digérer », entend-on chez les socialistes. « L’augmentation de la TVA est également très sensible pour nous », conclut le camp libéral. Dans le même temps, l’inquiétude est grande chez les employeurs ; tant la FEB que le Voka émettent de grandes réserves sur ce qui remplacera bientôt la réduction des charges sur le travail, l’objectif principal de la réforme. Et puis le PS trace une ligne rouge : les entités fédérées ne peuvent pas perdre au change. En effet, la diminution des recettes de l’impôt des personnes physiques les touche en premier lieu : dans les plans actuels, la Flandre perdrait 700 millions d’euros par an et la Wallonie 300 millions. « Cela devait être neutre sur le plan budgétaire, disaient-ils ». Le Premier ministre et Vincent Van Peteghem (cd&v) sont donc confrontés à un cocktail particulièrement explosif.
Dans l’actualité : la Vivaldi entame son dernier grand chantier.
Les détails : Presque tous les partis ont des objections, ainsi que les entités fédérées et les employeurs.
- Le verre peut être à moitié plein ou à moitié vide. Mais le Premier ministre d’une coalition comme la Vivaldi n’a d’autre choix que de s’accrocher à une forme d’espoir. Ainsi, mercredi, De Croo s’est montré optimiste en concluant son conseil des ministres. Il y a discuté pour la première fois de la réforme fiscale avec ses vice-premiers ministres. « Je vois de la place », a déclaré un De Croo volontariste.
- Il est possible que le Premier ministre soit encore sous le charme d’un sommet de la mer du Nord réussi à Ostende en début de semaine. Là-bas, la Belgique a accueilli en grande pompe toute une série de pays d’Europe occidentale, officiellement sur l’énergie éolienne en mer, officieusement, pour souligner une fois de plus que De Croo est prêt à occuper un poste international de premier plan. « Des moments comme ça, c’est ce qui le fait vivre », commente pour nous un vice-premier ministre.
- Il le faudra, car la tâche qui attend De Croo sur le plan intérieur est encore très ardue. Trois autres gros dossiers avant les vacances d’été, et ensuite, la campagne électorale sera lancée pour la Vivaldi. Ce faisant, le Premier ministre modifie quelque peu le calendrier : normalement, il voulait d’abord terminer les négociations avec Engie, puis mener à bien la réforme des pensions exigée par la Commission européenne. Mais parallèlement, après des discussions préalables au niveau technique, les consultations finales sur les projets du ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (cd&v), ont tout de même commencé.
- Ce dernier a placé la barre très haut juste avant les vacances de Pâques en proposant à la presse et aux partenaires de la coalition un « tax shift » de 6 milliards d’euros. Un « shift » donc, avec, d’une part, un paquet de nouvelles taxes (dont une hausse de la TVA, un transfert vers le patrimoine, plus la suppression de certains avantages fiscaux) et, d’autre part, une réduction substantielle de la charge pesant sur le travail. C’est ce dernier point qui est essentiel : faire en sorte que les gens gagnent plus en salaire poche à la fin du mois.
- D’ailleurs, Van Peteghem colporte ces projets depuis longtemps et les a annoncés à plusieurs reprises dans la presse. Cela lui a déjà valu l’image de quelqu’un qui prépare bien ses dossiers, de celui qui ose faire des projets à long terme. Pour le ministre des Finances, la partie est déjà à moitié gagnée : il aura tout fait pour faire aboutir sa grande réforme, si les autres n’en veulent pas, qu’ils en prennent la responsabilité.
- Par ailleurs, les négociations avec Engie se poursuivent : un nouvel objectif fixe un accord pour la semaine prochaine : il est question d’établir la facture maximale pour les déchets nucléaires et le démantèlement des centrales. Hier, à la Chambre, De Croo a clarifié les déclarations de la dirigeante d’Engie, selon lesquelles un accord ne pourrait aboutir que « d’ici à l’été ». En fait, l’accord final, entièrement élaboré, comportera une centaine de pages de texte juridique. Cet accord final reposera sur un accord de principe qui tomberait la semaine prochaine. Le tout est de ne pas répéter le scénario du début d’année avec un deal qui n’était finalement pas contraignant.
L’essentiel : cette réforme fiscale est vraiment un puzzle à grande difficulté. Chaque partenaire gouvernemental a des exigences et des lignes rouges.
- C’était chahuté pour une première au sein du kern : les partenaires de la coalition ont immédiatement fait part de leurs objections. Une réforme fiscale est de l’idéologie politique pure. Qui va en bénéficier le plus ? Au détriment de qui ?
- Les objections les plus menaçantes pour l’ensemble de l’exercice sont étonnamment venues des entités fédérées. Après tout, si les impôts sur le travail diminuent fortement, elles risquent de recevoir beaucoup moins de revenus de l’impôt sur les personnes physiques. Pour la Flandre, le trou dans le budget équivaudrait à 700 millions d’euros par an, et pour la Wallonie 300 millions d’euros.
- Au sein de la N-VA, qui dirige le gouvernement flamand et fournit le ministre flamand du Budget, Matthias Diependaele (N-VA), on n’est pas vraiment enthousiaste à cette idée. Mais personne ne s’oppose non plus à la réduction des charges sur le travail, qui sont les plus élevées au monde, surtout pas au nord du pays, qui plus est pour un parti de droite. Dans le sud du pays, c’est essentiellement le PS, avec Elio Di Rupo, qui freine des quatre fers. Les finances de la Wallonie ne sont pas au beau fixe : pas besoin de rajouter un boulet de plus.
- Le PS exige donc que la perte pour les entités fédérées soit « compensée » et que le transfert fiscal pour la Wallonie (et par extension la Flandre) reste « neutre sur le plan budgétaire » : ou comment le PS et la N-VA deviennent de facto des alliés.
- Mais ce n’est pas la seule objection sur la table : mercredi, presque tous les partis de gouvernement ont fait état de leurs remarques.
- Les plus sérieuses, selon des sources au sein de la Vivaldi : « Le MR, qui, de toute façon, freine toujours lorsqu’il s’agit de patrimoine, de fortune ou de nouvelles taxes. Mais c’est là le cœur du problème : un transfert des charges sur le travail vers la fortune« .
- La contradiction classique sur la question de savoir qui doit « gagner » : les socialistes et les verts veulent que les revenus les plus bas bénéficient avant tout de ce transfert. Ils ne voient vraiment pas l’intérêt d’une mesure linéaire, dans laquelle même les revenus les plus élevés gagneraient de manière substantielle. Les libéraux préfèrent que la classe moyenne profite de la réforme.
- Les objections pratiques à une augmentation de la TVA : les taux réduits de 6% et 12% disparaitraient au profit d’un taux réduit unique de 9%. Cette mesure générerait 1 milliard d’euros de recettes supplémentaires. C’est difficile à avaler pour les socialistes, puisque tout le monde paie cette taxe, mais c’est aussi « très difficile » pour les libéraux.
- Le « lien obligatoire » de ce dossier avec les réformes du marché du travail et des pensions, sur lesquelles le MR insiste. Il semble toutefois que cette demande ne soit pas réellement prise au sérieux par les autres membres du gouvernement. C’était surtout un moyen pour Georges-Louis Bouchez, le président du MR, de marquer son territoire.
- Mais le MR continue de soutenir qu‘il ne s’agit pas d’un « tax shift » mais d’un « tax down », la charge nette diminuant simplement. Cette discussion n’est pas seulement idéologique, elle est aussi pratique : faut-il ou non tenir compte des effets de retour ? Après tout, Van Peteghem estime qu’en raison de sa réforme, davantage de personnes devraient arriver sur le marché de l’emploi. Cela générerait quelque 600 millions d’euros de recettes supplémentaires pour l’État, qui pourraient alors être prises en compte. De ce fait, la charge fiscale globale baisserait un peu, et il s’agirait alors d’une « réduction d’impôts ».
- Sous le gouvernement précédent, la Suédoise, menée par Charles Michel, un « tax shift » a laissé un trou béant dans le budget, mais la réforme du ministre Johan Van Overtveldt (N-VA) a aussi permis de réduire réellement la charge sur le travail. Il y a eu des effets de retours importants. Mais du côté socialiste, on verrait bien cette manne financière de la nouvelle réforme pour alimenter le budget et donc l’État social.
- Van Peteghem a manifestement tenté de sécuriser l’ensemble de sa construction : « Tout est interdépendant », a-t-il expliqué à ses collègues vice-premiers ministres. Il préfèrerait donc la mise en œuvre intégrale de son plan de 6 milliards d’euros. Mais tout le monde sent bien que l’exercice final sera plus modeste. En octobre 2022, lors du contrôle budgétaire, il n’était d’ailleurs question que d’un tax shift d’environ 900 millions d’euros.
À noter : la FEB tire la sonnette d’alarme au sujet du tax shift. Même inquiétude du côté du Voka.
- Ce matin sur Radio 1 et dans De Tijd : le patron de la FEB, Pieter Timmermans, appelle à la « prudence » face au tax shift. « On a soutenu le projet de départ, mais en cours de route, c’est devenu imbuvable », a-t-il lancé. Car les employeurs tremblent à l’idée de devoir payer l’addition, au bénéfice des travailleurs. Selon la FEB, il est trop tard pour la Vivaldi, elle devrait se contenter d’une simple étape pour un transfert fiscal de 1,5 milliard, et non un grand exercice de 6 milliards.
- Au Voka, l’organisation patronale flamande, les préoccupations sont les mêmes : « Beaucoup d’entrepreneurs tremblent devant ce qu’il voit arriver à nouveau. Ce qui ressort n’est pas très positif pour nous », entend-on dans les couloirs.
- L’une des pierres d’achoppement est la nouvelle taxe sur le capital-risque, qui est prévue dans la réforme. Il s’agit d’un régime actuellement favorable pour ce que l’on appelle les « pricaf privées« . Il s’agit d’un type de société qui existe depuis 2003 et qui est censé faciliter l’investissement dans les start-ups, grâce à des avantages fiscaux. Si elles disparaissent, le capital-risque se déplacera vers les Pays-Bas ou le Luxembourg « où il est le bienvenu », a déjà menacé le secteur.
- En outre, Van Peteghem souhaite également taxer davantage les systèmes de rémunération tels que les options et les warrants pour les salariés. Ces instruments sont aujourd’hui souvent utilisés, notamment pour offrir des avantages aux salariés les mieux rémunérés. Tout cela fait craindre aux employeurs qu’ils ne paient le prix du transfert fiscal.