‘Une meilleure gestion de la crise est possible mais les gouvernements sont hermétiques aux avis divergents’

Déplorant un ‘échec politique’ face à l’épidémie, le groupe de réflexion indépendant CovidRationnel, réunissant sur base volontaire 25 universitaires de tous horizons, lance ce mercredi un appel urgent à l’ouverture d’un débat scientifique contradictoire pour améliorer la gestion d’une crise bien plus grave qu’uniquement sanitaire.

Le vœu formulé aujourd’hui, non sans un certain sentiment d’urgence, est d’adopter une nouvelle approche critique et intégrée de la crise, en cassant le schéma de pensée pour explorer les alternatives existantes sur base d’une réflexion scientifique collective. Voilà résumée l’ambition de CovidRationnel, le think tank constitué spontanément par des universitaires belges issus de plusieurs domaines d’étude, allant d’ingénieurs civils aux médecins hospitaliers.

‘La gestion actuelle de la crise est questionnable, notamment cette dimension de gestion par la peur qui semble même gagner les décideurs. Mais des alternatives sont possibles’, expose en préambule de la conférence Vincent Laborderie, politologue à l’UCLouvain. ‘Mais nous avons l’impression que les dirigeants politiques se basent sur l’avis de certains experts qui n’apprécient pas être remis en cause et n’acceptent pas d’autres visions. La pire crise dans l’histoire récente mérite beaucoup mieux que ce traitement’.

Prendre en compte tous les effets

Conscients de la difficulté des circonstances où les décisions précèdent souvent le temps de la science, en l’absence de données objectivables consistantes, les membres du groupe affirment ne pas vouloir exhorter à la vindicte populaire mais bien inviter les dirigeants à se nourrir de l’intelligence collective. Et proposer des visions alternatives.

‘Nous nous considérons comme des alarmistes quant aux effets des mesures’, concède tout de même Élisabeth Paul, chargée de cours à l’école de santé publique de l’ULB spécialisée en évaluation des politiques publiques. ‘Il est essentiel d’adopter une vision globale et prendre en compte tous les effets indirects sur la santé physique : le nombre de cancer non traités, d’autres maladies transmissibles, l’impact sur la santé mentale, le retard de scolarisation, l’appauvrissement de franges de la population. Tous ces éléments se traduisent en effets négatifs sur la santé. Il est démontré qu’une personne isolée voit son espérance de vie réduite’.

Invoquant la littérature scientifique pour rappeler que les déterminants sociaux de la santé ont parfois beaucoup plus d’effet sur les années de vie de la population que les seules interventions pour les soins de santé, la membre du collectif recommande d’abandonner ‘ce clivage binaire opposant le fait de sauver des vies à celui de sauver l’économie’. Il ne convient certainement pas de faire abstraction des décès, de la douleur des familles endeuillées, de l’épuisement du personnel soignant, ni d’arrêter toutes les mesures pour endiguer les contaminations.

‘Mais il est important de mettre en balance l’entièreté des effets pour choisir les mesures les plus efficientes en termes des bénéfices, tout en veillant à respecter l’équité, principe fondamental de la santé publique qui veut dire que nous allons avoir une approche ciblée en fonction des besoins de chacun’, développe Élisabeth Paul.

Approche efficiente et équitable, en sachant que l’épidémie est aussi causée par des problèmes structurels propres à la Belgique. Pas forcément parce que des citoyens d’humeur festives s’agglutinent dans les parcs ou prennent tous le train pour se rendre à la côte mais aussi parce que la population reste très âgée, avec de nombreuses comorbidités, souligne CovidRationnel.

Le collectif plaide donc pour une mise en balance de l’ensemble des mesures, en gardant à l’esprit les effets indirects, et pour une anticipation des comportements des citoyens qui s’adapteront aux différentes contraintes. Avant d’attirer l’attention à ce sujet au lien, que les membres estiment trop facilement établi, entre corrélation et causalité. Partant du constant que le politique amalgame trop souvent interdépendance et production d’effets en comparant la situation avant avec celle d’après les mesures. Alors qu’il faudrait idéalement construire un scénario de ce qu’il se serait passé sans la mesure en question pour en assurer l’évaluation.

‘Enfin, une mesure s’impose mais on en parle peu: le renforcement de notre système de santé. La crise en montre les limites. Nous sommes persuadés qu’il faut rehausser cette capacité, en adaptant la riposte en période hivernale. Tout comme il conviendrait de revaloriser le personnel soignant et la prise en charge en première ligne’, ponctue Élisabeth Paul.

Une politique ‘intenable’ du risque 0

Au moment où une troisième vague frappe notre pays, il y a lieu évidemment de s’interroger sur le luxe de tenir un débat ouvert et contradictoire en pleine gestion de crise. Le principe d’intelligence collective défendue par le groupe indépendant CovidRationnel est certainement louable. Mais est-il pertinent à cet instant ? Ne fait-il pas courir un risque de déperdition d’efficacité à l’heure où on ne peut pas décider de ne pas décider ?

‘Le risque zéro auquel on tend actuellement est intenable’, assure Mélanie Dechamps, médecin intensiviste aux Cliniques universitaires Saint-Luc. ‘Il faudrait viser un risque acceptable, ce que l’on fait habituellement en santé publique et dans la gestion du risque en général, où l’on vise à minimiser autant que possible les risques. Mais en tenant toujours compte d’une balance bénéfices/risques raisonnable. Il faut absolument abandonner les mesures pour lesquelles les dommages collatéraux sont graves. Et prendre des mesures temporaires en autorisant des activités de manière sécurisée, préparant un retour à une vie normale’.

Le collectif CovidRationnel plaide en faveur d’un risque raisonnablement contrôlé avec un examen approfondi et étayé des situations mais aussi les justifications transparentes des mesures prises en conséquence.

‘Cela fait un an que les plans opérationnels et logistiques semblent ne pas être pris en compte dans les mesures. On pense aux secteurs culturels et de l’horeca. Les effets collatéraux dépassent les bénéfices attendus’, ponctue le Dr Dechamps. Le débat est loin d’être clos.

Qui sont-ils?

25 universitaires – rédacteurs et reviewers – sont à la base de cette initiative qui vise à objectiver la situation sanitaire et à remettre en cause les mesures prises par le gouvernement. On y retrouve Raphaël Jungers (UCLouvain, modélisation), Elisabeth Paul (ULB, santé publique), Bernard Rentier (ULiège, virologue), Mélanie Dechamps (UCLouvain – CU St Luc, intensiviste), Pierre Schaus (UCLouvain, modélisation et données), Christine Dupont (UCLouvain, bio-ingénieur), Yves Moreau (KULeuven, bio-statistique), Olivier Servais (UCLouvain, anthropologue), Erik Van den Haute (ULB, droit), Raphael Lefevere (U. Paris, probabilités), Vincent Laborderie (UCLouvain, politologue), Vinciane Debaille (FNRS-ULB, géochimie), Guillaume Derval (UCLouvain, informatique et data science), Martin Buysse  (UCLouvain, physicien), Denis Flandre (UCLouvain, nano- et bio-électronique), Olivier Lhoest (CHC Mont Légia, anesthésiste réanimateur), Pierre-François Laterre (UCLouvain – CU St Luc, intensiviste), Frédéric Laugrand (UCLouvain, anthropologue), Isabelle Thomas (UCLouvain, géographe), Damien Ernst (ULiège, ingénieur), Emilie Corswarem (ULiège, art et culture), Claude Oestges (UCLouvain, ingénieur), Lieven Annemans (U. Gent, économiste de la santé), Philippe Baret (UCLouvain, bio-ingénieur), Marc Bourgeois (ULiège, juriste), Quentin Louveaux (ULiège, ingénieur), Frédéric Crèvecoeur (UClouvain, ingénieur).

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