L’UE force l’Irlande à frapper Apple. Dans son propre intérêt, ou dans celui de l’UE ?

La Commission européenne a annoncé mardi que la société américaine de technologie Apple devrait rembourser 13 milliards d’avantages fiscaux obtenus illégalement en Irlande.

Apple a bénéficié pendant des années d’un régime de faveur qui lui permettait de ne payer des impôts que sur les bénéfices qu’elle réalisait sur les opérations dirigées en Irlande, mais pas sur ceux qu’elle engrangeait au titre de ses activités dirigées depuis les Etats-Unis, qui échappaient à toute taxation.

C’est la première fois que l’Europe prononce une condamnation fiscale d’une importance aussi significative, qui est celle à laquelle les Etats-Unis nous ont habitués. Il suffit de penser à l’amende de près de 9 milliards de dollars dont la banque française BNP Paribas a écopé, parce qu’elle avait violé l’embargo américain contre l’Iran, Cuba et le Soudan. Les États-Unis sont les champions du monde pour récupérer des sommes énormes sur les entreprises afin d’apaiser l’opinion publique.

Ce sont de bonnes nouvelles pour les contribuables européens, parce que la Commission donne enfin le signal qu’elle veut s’attaquer au problème de l’optimisation fiscale au sein de l’UE. Des montages complexes permettent à des entreprises telles que Google, Amazon, Facebook et Apple de payer très peu, voire pas d’impôts du tout (Apple a payé 0,005 % d’impôts sur ses bénéfices de l’exercice 2014). Le montant de ce redressement est 40 fois plus élevé que ce que l’UE avait réclamé précédemment dans des cas similaires.

Comme ces entreprises ne paient pas d’impôts, les gouvernements européens n’ont pas d’autres choix que de réclamer l’argent nécessaire aux ménages, aux professionnels indépendants et aux PME pour financer les instances et les services publics. L’entrepreneur anglais Luke Johnson résume ainsi cette situation :

« Les monstres des Tech comme Google, Uber, Apple et Facebook ajoutent une valeur minimale à notre économie. Ils réalisent des bénéfices colossaux ici, n’emploient qu’un effectif insignifiant par rapport aux dommages qu’ils causent, agissent comme des resquilleurs auprès des entreprises et des infrastructures, et font de grands efforts pour éviter de payer des impôts.

Ils se donnent du mal pour cacher qu’ils ne sont que des profiteurs en déguisant leurs comptes avec des charges et des transferts tandis qu’ils siphonnent notre société. Cet énorme bruit d’aspiration que vous entendez est celui de l’absorption de nos liquidités transférées dans des paradis fiscaux par les milliardaires des tech”.

On estime le manque à gagner annuel de l’UE-27 en pertes d’impôts liées à l’optimisation fiscale pratiquée par ces structures à 1 000 milliards de dollars.

La décision de l’UE met l’Irlande dos au mur. Le pays a déjà dit qu’il ne voulait pas de cet argent, même si cette somme suffirait pour financer totalement les soins de santé de ses 4,5 millions d’habitants pendant un an. Dans l’attente de la décision, les Irlandais ont dépensé 1 million d’euros de frais d’avocats pour tenter de faire changer d’avis la CE.

En outre, on peut imaginer que d’autres entreprises vont interpréter la décision rendue dans l’affaire Apple comme un précédent et qu’elles commenceront à redouter qu’on les redresse à leur tour.

L’Irlande a réduit son impôt société à 12,5%, ce qui rend les autres pays de l’UE encore moins compétitifs. Mais il y a des pirates encore pires qu’elle : alors que la décision venait tout juste d’être publiée, Londres, qui a voté en juin pour son départ de l’UE, proposait déjà à Apple de l’accueillir.

La Commission européenne joue un jeu dangereux en coinçant l’Irlande entre le marteau et l’enclume lorsqu’elle la force à choisir entre son intérêt personnel et l’intérêt européen avec cette décision.

(PS. : Après la décision de l’UE, l’action d’Apple n’a perdu que 0,5 %. Les 231 milliards de liquidités sur lesquels l’entreprise est assise doivent y être pour quelque chose…)

Margrethe Vestager

© The Council of Europe

 

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