Turquie, Russie, Chine… Quand le coronavirus devient une arme de communication massive

La Turquie, la Russie et la Chine multiplient les gestes diplomatiques pour tenter de redorer leur image… Ou attaquer d’autres pays pour leur ‘inaction’ supposée. Dernière altercation en date: les accusations du président turc Recep Tayyip Erdogan contre une France ‘égoïste’.

‘Un apparent manque de solidarité française au sein de l’UE soulève des questions’, titrait mercredi une dépêche de l’agence de presse du gouvernement turc Anadolu. Les communicants se faisaient assez discrets dernièrement, mais ils semblent avoir repris du service. Ils y racontent la générosité sans borne de la Turquie, qu’ils font contraster avec l’égoïsme français.

‘Alors que la Turquie acheminait mercredi du matériel médical à destination de l’Italie et de l’Espagne, durement frappées par la pandémie de nouveau coronavirus, la France réquisitionnait une autre livraison de matériel médical à ses voisins européens’, raconte l’article. Une référence à la réquisition par la France le 5 mars d’une cargaison suédoise contenant quatre millions de masques, dont deux millions à destination de l’Italie et de l’Espagne, c’est-à-dire les deux pays les plus touchés par l’épidémie en Europe.

Une manœuvre rendue possible grâce au ‘décret de réquisition’ signé deux jours plus tôt par le président Macron. Celui-ci permet au gouvernement de saisir les stocks de produits et matériels se trouvant sur le territoire français afin de lutter contre le Covid-19. De quoi rendre le gouvernement suédois furieux. Après moult négociations, la cargaison a finalement pu rejoindre ses destinations initiales.

La Turquie bloque des commandes

En contraste, l’agence Anadolu loue l’attitude altruiste de la Turquie qui envoie à l’Italie et l’Espagne des masques et produits médicaux fabriqués localement… Avec un petit message spécial. ‘Sur les colis envoyés, on peut lire ‘avec amour de la part du peuple turc’, ainsi qu’une citation du célèbre penseur et poète mystique Mevlana, traduite en italien et en espagnol: ‘Derrière le désespoir se cachent de nombreux espoirs. Derrière l’obscurité se cachent de nombreux soleils’.’

Sauf que dans les faits, la Turquie ne ferait pas forcément mieux que la France. Le Point indique que le pays bloque en réalité les exportations de produits sanitaires depuis le 4 mars. Selon une alerte émise par le ministère français de l’Economie et l’ambassade de France en Turquie, ‘les autorités turques ont mis en place un mécanisme dit de pré-autorisation concernant l’exportation de certains équipements et matériels médicaux ainsi que de produits désinfectants. Dans la pratique, les ministères habilités n’accordent plus aucune autorisation d’exportation’.

Les représentants appellent donc à la plus grande vigilance ‘les entreprises françaises qui se verraient approchées par des fournisseurs turcs’. Le journal Le Point indique que l’Union européenne a entrepris des négociations auprès des autorités turques pour libérer les commandes de plusieurs clients européens bloquées par la Turquie.

Démonstration de force russe

Mais le pays d’Erdogan n’est pas le seul à faire de la diplomatie stratégique sa nouvelle arme de communication massive. La Russie a annoncé fin mars de grandes manœuvres militaires. Des habitants de la région de Bergame, en Lombardie, ont effectivement pu voir débarquer des membres des forces spéciales russes pour désinfecter une maison de retraite. Pas de quoi les réjouir pourtant. Selon la presse italienne, les craintes se sont renforcées ‘aussi bien au sein du gouvernement que des milieux militaires’. ‘La dernière fois que l’armée russe a mis pied en Italie, c’était en 1799’, a prévenu le général Marco Bertolini, ancien chef du commandement opérationnel inter-forces (COI) italien, dans le journal La Stampa.

Par ailleurs, selon une source de l’Otan, ‘la Russie a informé l’Alliance de la tenue de grandes manoeuvres militaires à la fin mars’. Selon des diplomates, 82.000 hommes auraient ainsi été mobilisés.

Ces manœuvres sont russes sont qualifiées de démonstration de force par le secrétaire général de l’Otan. ‘Les autorités russes ont annoncé un exercice immédiat, destiné selon elles à tester leurs capacités à fournir un soutien militaire aux opérations civiles contre l’épidémie de Covid-19. Mais nous jugeons en fait que cet exercice a également été utilisé pour démontrer à l’Otan qu’elles restent prêtes au combat malgré le Covid-19‘, alerte-t-il.

La Chine veut redorer son image

Pendant ce temps, la Chine multiplie les opérations pour redorer son image, alors que le coronavirus s’est manifesté pour la première fois dans la ville de Wuhan. La Chine a ainsi fait don de 500.000 masques à l’Espagne et envoyé 2 millions de masques vers l’Italie ainsi que des appareils respiratoires. ‘L’Italie se souviendra de ceux qui étaient avec nous dans les moments difficiles’, a commenté le ministre des Affaires étrangères Luigi di Maio. Une pique non dissimulée aux autres pays européens. L’UE a depuis fait machine arrière et présenté ses excuses à l’Italie.

Le dirigeant chinois Xi Jiping a expliqué vouloir contribuer à une ‘Route de la soie de la santé’, ni plus ni moins. Mais les responsables européens ne voient pas tous cette contribution d’un bon œil. Il s’agirait selon eux de contrôler ici et là son influence géopolitique, tout en voulant réécrire l’histoire de la pandémie. La secrétaire d’État française aux Affaires européennes Amélie de Montchalin a ainsi accusé la Chine et la Russie ‘d’instrumentaliser’ leur aide internationale et de la ‘mettre en scène’.

Des propos qui font écho aux agacements du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, qui dénonçait le 24 mars ‘la bataille mondiale des narratifs et des luttes d’influence via la distorsion des faits et la politique de générosité’.

De son côté, la Chine en profite pour fustiger l’Europe. ‘J’ai entendu plusieurs fois des Occidentaux mentionner le mot de propagande par rapport à la Chine. J’aimerais leur demander: à quoi font-ils exactement référence? Que souhaitent-ils? Que la Chine reste les bras croisés face à cette grave épidémie?’, répliquait Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. Le bras de fer diplomatique continue…

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