La nouvelle vague de délocalisations ne vise pas à réduire les coûts de production

Le Royaume-Uni est en émoi : James Dyson, le magnat des aspirateurs sans sacs, vient d’annoncer sa décision de transférer le siège social de son entreprise à Singapour. Beaucoup de Britanniques sont ulcérés par cette annonce, et pas seulement parce que cette firme est devenue un fleuron de l’industrie britannique, mais surtout parce que Sir Dyson a soutenu la campagne en faveur du Brexit. 

A l’époque, le fondateur avait invoqué les limites du droit du travail, affirmant qu’il était obligé de recruter des techniciens provenant des pays de l’Union européenne, plutôt que leurs homologues asiatiques plus qualifiés. Et le fait que les politiciens britanniques se soient mis dans l’impasse concernant les modalités du divorce pourrait bien l’avoir convaincu de sauter le pas, et de se rapprocher de ce bassin de talents, mais aussi de son marché potentiel le plus important, et d’un meilleur environnement de production pour son entreprise.

Dyson se préparait déjà à produire ses véhicules électriques à Singapour

En effet, le milliardaire britannique avait annoncé en 2017 qu’il allait investir environ 2,8 milliards d’euros pour lancer une voiture électrique d’ici 2020. A l’époque, il avait déjà fait part de son intention de baser cette activité en Asie. « Nous prévoyons un très grand marché pour cette voiture en Asie de l’Est… Nous voulons être proches de nos marchés et je pense que l’Asie de l’Est a réagi [à l’électrique] plus rapidement que le Royaume-Uni ou l’Europe », avait-il déclaré à l’époque.

Les autorités de Singapour ont d’ailleurs développé tout un arsenal de mesures pour attirer les constructeurs de voitures autonomes. En outre, la République a signé un accord de libre-échange avec la Chine, le plus gros marché potentiel pour Dyson, note Bloomberg.

Une décision conforme à la nouvelle tendance de délocalisations

Cette décision est d’ailleurs conforme à une tendance récente observée par les analystes de Natixis. Dans un rapport récent, ils notent que l’on assiste à l’émergence d’un nouveau modèle de production mondial, qui veut que la production soit graduellement transférée à proximité des acheteurs finaux de biens.

Les entreprises se rapprochent de leurs clients régionaux, et concentrent donc leurs investissements (comprenez organisent leurs délocalisations) sur les régions ou pays ayant une forte demande domestique pour leurs produits. Selon les analystes, cela explique aussi pourquoi le commerce international s’est ralenti, par rapport au PIB mondial depuis la crise de 2008-2009. Autrement dit, la part du commerce local a tendance à croître au détriment de celle du commerce international.

Mais le Brexit est tout de même un facteur de départ

Néanmoins, même si Jim Rowan, le CEO de Dyson, a déclaré que cette décision n’avait « rien à voir avec le Brexit », la société ayant déjà transféré l’essentiel de sa production à Singapour, on ne peut manquer de souligner que de nombreuses autres entreprises quittent le Royaume-Uni à cause du Brexit. Airbus a annoncé son intention de quitter la Grande-Bretagne et BlackRock, JPMorgan Chase, Bank of America et Citigroup ont déjà commencé à transférer leurs activités vers l’Europe continentale.

Laurent Abadie, l’un des dirigeants de la firme japonaise Panasonic, a indiqué que la firme allait déplacer son siège en Europe du Royaume-Uni pour Amsterdam, motivant cette décision par « des préoccupations liées au Brexit telles que la libre circulation des biens et des personnes ». Unilever avait envisagé de déplacer son siège de Londres à Rotterdam l’année dernière, mais a rencontré une forte résistance de la part de ses actionnaires.

Le chaos géopolitique fait fuir les entreprises pour de bon

Le Brexit n’est d’ailleurs pas l’unique facteur à favoriser les délocalisations actuellement : la guerre commerciale que la Chine et les Etats-Unis ont initiée, et la menace de hausse des droits de douane sur les produits issus des deux pays en est un autre. Par exemple, Foxconn, le plus grand fournisseur d’Apple pour l’iPhone, envisage de délocaliser en Inde la production actuellement assurée en Chine. Cette décision lui permettrait de « faire baisser les prix en permettant à Apple d’éviter des droits de douanes de 20 % sur les appareils importés de Chine ».

De même, la marque américaine de chaussures Steve Madden a informé les analystes qu’elle allait quitter la Chine et qu’elle se fournirait ailleurs qu’en Chine (et principalement au Cambodge) pour 40 à 50 % de ses achats frappés de droits de douane cette année.

D’une manière générale, on observe une tendance des entreprises à déplacer leur siège social et leur chaîne d’approvisionnement pour fuir les problèmes géopolitiques et les difficultés qu’ils impliquent pour elles.

Et selon l’ancien CEO de Kellogg, qui préside désormais le groupe Albright Stonebridge, ce n’est pas anodin. En effet,  « Transférer une chaîne d’approvisionnement est un investissement important, et la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement est un gros investissement de départ. » Selon lui, il y a donc peu de chances que ces entreprises reviennent par la suite, même si les tensions s’atténuent.

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