Sortie du nucléaire: pression maximale des libéraux sur les Verts avec les socialistes dans le rôle d’arbitres

Le prochain rapport d’Elia, le gestionnaire du réseau, semble être la dernière bouée de sauvetage des Verts pour assurer la sortie du nucléaire : le président d’Ecolo, Jean-Marc Nollet, y a lié le sort des centrales, et le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) y attachent une grande importance aussi. Mais en coulisses, la donne changera complètement pour le CD&V mais aussi pour l’Open Vld : si la Russie entre en Ukraine, alors le sort de la sortie du nucléaire belge semble scellé. Le président de l’Open Vld a fait une sortie en ce sens ce weekend. Remarquable à cet égard : il lie entièrement les factures onéreuses à la sortie du nucléaire, ultime cauchemar de communication pour les partenaires verts de la coalition.

Dans l’actualité : Un sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine peut-il éviter la guerre ?

Les détails : Après une conversation de près de trois heures entre Emmanuel Macron et Poutine, le président français organise le sommet de paix « de dernier recours ».

  • S’agira-t-il d’une « conférence de Munich » pour l’Europe, comme en 1938 ? Ou plutôt une « réunion de Yalta », comme en 1945 ? Dans les heures ou les jours à venir, le président russe Vladimir Poutine et le président américain Joe Biden pourront se regarder droit dans les yeux, dans le but de parvenir à la paix en Europe.
  • Ce faisant, ils continuent leur partie de poker à un niveau international. Le week-end dernier, les Américains ont une nouvelle fois répété avec force leur cri d’alarme : les Russes sont prêts pour leur invasion, les ordres du Kremlin étaient de commencer l’invasion, ont-ils soutenu dans le New York Times. Ils utilisent les chiffres de 150 000 soldats russes à la frontière pour le justifier.
  • Parallèlement à cela, une évacuation soudaine de la population dans les deux États rebelles pro-russes dans l’est de l’Ukraine, et toute une série d' »incidents », qui ont été largement rapportés dans les médias russes. Ces soi-disant bombardements et provocations de l’Ukraine ont été assez rapidement démasqués comme prémédités et fabriqués par les Russes, mais ils ont créé, avec les bus de « réfugiés » transportés à Rostov, sur le sol russe, l’atmosphère dont Poutine avait besoin : un prétexte pour attaquer.
  • Le président français Emmanuel Macron, qui lutte pour sa réélection dans son propre pays, s’est jeté dans la brèche, appelant Poutine pendant près de trois heures lors de deux conversations hier soir. Une lueur d’espoir est apparue : Poutine a réaffirmé « la nécessité d’une solution diplomatique », était « prêt à parler d’un cessez-le-feu », souhaitait participer à un sommet international et, enfin, ne voulait pas renoncer au format Normandie des pourparlers de paix avec l’Allemagne, la France, la Russie et l’Ukraine. Macron a ensuite appelé le président américain Biden.
  • Ce dernier a fait une déclaration officielle : « Je suis prêt à rencontrer Poutine, à tout moment et en tout lieu », a déclaré Biden ce matin. La Maison Blanche a toutefois ajouté une condition : « Seulement et uniquement si la Russie n’envahit pas l’Ukraine ».
  • La réunion, si elle a lieu, permettra au moins de gagner du temps. Car ce n’est que jeudi qu’Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, et son homologue russe Sergei Lavrov se rencontreront pour discuter des détails du sommet, a déclaré Macron.

Et maintenant ? Il serait naïf de penser que la Russie a maintenant pris un virage complet.

  • « C’est mercredi, alors nous n’envahirons pas ». Ou encore : « Je suis un peu en retard, je devais vérifier si nous avions déjà commencé l’invasion ». Les diplomates russes ont fait des « plaisanteries » ces derniers jours, qui ont été avalées par les médias occidentaux : elles s’inscrivent parfaitement dans le récit des Américains bellicistes, qui seraient à l’origine de ce conflit plein d’orgueil, ce que les Russes tentent de vendre.
  • Ce qui est frappant : les Américains poursuivent leur politique de fuite systématique de presque toutes leurs informations censées être tenues secrètes. De cette façon, ils évitent au moins la surprise qui s’est produite en 2014, lorsque l’Ukraine a été envahie, et la Crimée annexée par la Russie.
  • Mais au vu du bilan de Poutine, il ne faut pas s’étonner si la crise en Ukraine se termine bientôt par une violence brutale :
    • En 2000, Poutine a envahi la Tchétchénie et a mené une guerre dévastatrice dans les rues de Grozny.
    • En 2008, une invasion sanglante de la Géorgie a entraîné l’arrachement de deux « républiques indépendantes » au territoire de ce voisin de la Russie.
    • En 2014, la Crimée, péninsule de la mer Noire, a été conquise d’un seul coup à l’Ukraine, tandis qu’à sa frontière orientale, deux États rebelles se sont « isolés ».
    • En 2015, Poutine a jeté les soldats russes dans la guerre en Syrie, réduisant Alep en cendres pour maintenir le dictateur Bachar el-Assad au pouvoir.
    • Plus récemment, fin 2021, des soldats russes ont réprimé dans le sang toute manifestation au Kazakhstan contre la dictature qui y règne.
  • La question qui se pose est donc la suivante : si une réunion a lieu, aura-t-elle pour but de scander ensuite « peace in our time« , comme l’a fait Neville Chamberlain en 1938 après la conférence de Munich et une rencontre avec Adolf Hitler (avec la suite que l’on sait) ? Ou plutôt une confrontation musclée entre Biden et Poutine, pour discuter de l’adhésion potentielle de l’Ukraine à l’OTAN ?

Pourquoi c’est important : La crise en Ukraine est désormais directement liée à la sortie du nucléaire en Belgique.

  • « Si Poutine positionne 200 000 soldats à la frontière avec l’Ukraine et, en tant que plus grand exportateur de gaz d’Europe, place les intérêts économiques en dessous des intérêts militaires, on ne peut pas fermer les yeux là-dessus », a déclaré ce matin Egbert Lachaert (Open Vld) dans Het Laatste Nieuws, indiquant ainsi 50 000 soldats en plus que les chiffres officiels.
  • Ce ne sont pas les chiffres exacts, mais le raisonnement qui les sous-tend est important : les circonstances ont changé, c’est l’argument que l’on peut entendre chez les libéraux, le MR en tête, mais aussi au CD&V.
  • « Nous ne pouvons pas être aveugles, si le conflit en Ukraine éclate vraiment, c’en est fini de la sortie du nucléaire », disent les chrétiens-démocrates. Par cette déclaration, ils sont sur la même ligne que Lachaert.
  • Le leader de l’Open Vld était présent dans les médias tout le week-end pour expliquer son nouveau point de vue. En décembre, Lachaert avait déclaré que le maintien en activité des dernières centrales nucléaires était « un cadavre qu’on ne peut pas réanimer ». Aujourd’hui, il ironise: « Tous les 2 000 ans, il y a un mort qui ressuscite, et nous nous approchons de Pâques. »
  • Lachaert a invoqué la menace de guerre en Ukraine comme un « nouvel élément ». Plus déterminant encore, il établit un lien entre les prix élevés de l’énergie pour le consommateur et la sortie du nucléaire : « Les Verts veulent-ils la sortie du nucléaire pour expliquer ensuite la facture élevée ? Alexander De Croo ne veut pas être le Premier ministre qui rend la facture énergétique inabordable. »
  • Ce dernier point doit faire encore plus mal à Groen et à leur ministre de l’énergie, Tinne Van der Straeten. La ministre tente depuis des mois de réfuter l’argument selon lequel la fermeture des centrales nucléaires fera augmenter le prix de l’énergie, notamment en brandissant le fait que seuls 4 % de notre gaz provient de Russie. Le fait que son propre partenaire de coalition dise maintenant tout le contraire est révélateur. Tinne Van Der Straeten a pourtant toujours été soutenue par le Premier ministre.
  • Un signal important : dans De Tijd/L’Echo, le Premier ministre a rappelé qu’il « n’y avait pas un centimètre » entre Lachaert et lui. Et cela a toujours été le cas par le passé: Lachaert a toujours exécuté loyalement ce que son collègue plus expérimenté lui demandait. Ils ont toujours formé un tandem: De Croo a soutenu Lachaert à la présidence de l’Open VLD.
  • Mais lorsqu’on lui demande si, entretemps, des négociations avec Engie ont eu lieu en coulisses pour prolonger les centrales, De Croo botte en touche: « Est-ce que vous, récemment, vous avez négocié votre salaire avec votre employeur? C’est le genre de questions que l’on ne pose pas… », a-t-il répondu en souriant.
  • Les socialistes sont sans doute la clé : pour le moment, le PS observe de loin toute l’agitation. Ils auront le rôle d’arbitre, avec une seule priorité: le prix. En pratique, cela signifie que si Engie est prêt à négocier et à sacrifier une partie de ses superprofits en échange d’une prolongation, les socialistes seront favorables à une prolongation.

Le contre-coup des Verts : Jean-Marc Nollet (Ecolo) remet son destin entre les mains d’Elia, et ce n’est pas un hasard.

  • Tout le monde au sein de la Vivaldi sait que le président d’Ecolo est celui qui a le plus négocié en septembre 2020 pour obtenir la sortie du nucléaire. En ce sens, la surprise a été plutôt grande, lorsque Nollet a calmement déclaré vendredi sur Bel RTL « qu’Elia remettra un rapport basé sur des chiffres et des faits, et non sur base d’un vogelpik», et que « si Elia dit qu’il y a un problème, on passera au plan B ». En d’autres termes : l’administrateur réseau aura le dernier mot.
  • Nollet ne fermait plus la porte à la prolongation de la durée de vie des centrales. Il a balayé toute menace de crise gouvernementale, parlant d’une sortie d’Ecolo comme « un non-sens », puis a subtilement ajouté « que le gouvernement travaille par consensus ». En d’autres termes : Ecolo peut changer son fusil d’épaule.
  • Mais la stratégie de Nollet, c’est un coup de poker : par le passé, il a déjà voulu absolument éviter de passer pour trop dogmatique sur le nucléaire, et lui-même a plusieurs fois fait allusion à la «nouvelle technologie». Mais en pariant si fort sur Elia, il pourra bientôt triompher, si le gestionnaire propose un avis positif sur la fermeture du nucléaire, ce qu’il a déjà fait.
  • Le contraire serait étonnant. À la Chambre, en novembre dernier, Chris Peeters, le PDG d’Elia, est apparu comme un pilier pour Van der Straeten, parlant le même langage apaisant que la ministre écologiste au sujet de la sortie du nucléaire : « La lumière ne s’éteindra pas, nous faisons tout ce que nous pouvons chaque jour », avait-il déclaré.
  • La probabilité qu’Elia, à peine trois mois plus tard, donne soudainement des signaux complètement opposés est donc extrêmement faible. C’est du moins ce sur quoi Nollet semble compter, pour pouvoir finalement aller de l’avant.
  • Et De Croo mise lui sur deux chevaux. D’un côté, il envoie Lachaert au front, afin de mettre les Verts sur la défensive avec une sortie médiatique forte, mais de l’autre côté, il déclare ce qui suit au sujet d’Elia : « Si je dois choisir entre l’expertise énergétique d’un siège de parti ou d’Elia, je sais quoi faire. »
  • Il reste possible que la Vivaldi prenne une décision sur cette question délicate le 18 mars : la combinaison d’une conférence internationale pacifique et du feu vert d’Elia pour fermer les réacteurs pourrait être le moment idéal pour délier le noeud et passer à autre chose.
  • Cependant, il y a toujours l’éternelle question de savoir si le MR va se plier à cette décision, alors qu’il sent maintenant le soutien de l’Open Vld, du CD&V, et l’hésitation des socialistes. Pour presque tous les partenaires de la coalition, il y a, de manière assez cynique, un profit à court terme dans le dossier, en prolongeant un peu plus la torture des Verts.
  • De son côté, ce matin, sur Bel RTL, Georges-Louis Bouchez a appelé à une grande consultation populaire sur le nucléaire. Une telle consultation n’a jamais eu lieu au niveau fédéral, le référendum n’étant pas autorisé par notre Constitution. La dernière fois que les Belges se sont positionnés au niveau national, c’était lors de la question royale, à une autre époque. Mais il s’agit pour le président du MR de mettre un petit peu plus de pression sur les Verts, les dernières enquêtes montrant que les Belges sont plutôt favorables au maintien des centrales à court terme.

Ailleurs dans l’actu: le MR plaide pour un concours d’entrée pour les étudiants en médecine et dentisterie.

  • Un débat sans fin en Belgique. Aujourd’hui, chaque étudiant en médecine n’est pas certain de disposer d’un numéro Inami à la fin de son cursus. Les quotas Inami ont été mis en place pour contrôler le nombre de médecins en Belgique et donc des dépenses en matière de soins de santé.
  • Il s’agit d’un débat sans fin, car au sud du pays, il y a certaines pénuries de médecins dans les zones rurales. Le sud ne comprend pas toujours le nord qui veut limiter le nombre de numéros Inami et contrôler les finances. Les numéros Inami permettent à chaque médecin d’exercer son métier, en faisant rembourser ses consultations par la sécurité sociale.
  • Le ministre fédéral de la Santé Frank Vandenbroucke a récemment proposé une nouvelle répartition des quotas. Le fédéral plaide aussi pour mettre en place un concours à l’entrée. Et les étudiants francophones ont une nouvelle fois protesté.
  • Ce matin, la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny (MR) et le président du MR, ont appuyé pour ce concours d’entrée, comme en France. Il doit servir de filtre, et ainsi faire mieux correspondre le nombre d’étudiants avec le nombre de numéros Inami.
  • « Personne n’aime les filtres à l’entrée des études, mais il faut rappeler que l’année passée, nous avions 6.000 inscrits pour la médecine et les sciences dentaires, ce qui est un engouement très important. Cela donne un problème de la qualité de la formation. Nous avons tous en mémoire ces stagiaires qui sont devant la porte d’un patient et qu’on ne peut pas former correctement », a argumenté la ministre sur DH Radio.
  • Les étudiants ne sont généralement pas en faveur des concours d’entrée. Ils préfèreraient voir les quotas augmenter plutôt que le nombre d’étudiants limités. Pour Georges-Louis Bouchez, sur Bel RTL, « le concours n’a pas à faire hurler les étudiants. Au moins, à la fin de leurs études, ils sont sûrs d’obtenir un numéro Inami, plutôt que 6 années dans l’incertitude. »
  • « Aujourd’hui du côté francophone, il y a un blocage d’Ecolo. Ils doivent prendre leurs responsabilités », ajoute le président libéral. Et la ministre de ponctuer au niveau politique: « Ni au PS, ni au MR, ni chez Ecolo on aime les filtres. Aucun des partenaires de la coalition n’en veut, mais les négociations ont repris. J’espère qu’un accord tombera rapidement, car c’est très important pour la qualité de la formation et pour donner plus de sécurité à nos étudiants, ce qui est capital. »
  • Le souci des pénuries de médecins se situe surtout au niveau des généralistes en zone rurale. Ça, on le sait déjà. Mais la ministre Glatigny plaide pour « une objectivation des besoins sur le terrain » pour faire une analyse complète de la situation et fixer de meilleurs quotas.
  • Et c’est ce pour quoi plaident également les deux patrons des deux grandes mutualités, Jean-Pascal Labille (Solidaris) et Elisabeth Degryse (mutualité chrétienne), interrogés par La Libre. « II est temps de réaliser un véritable cadastre des besoins de la population », explique le socialiste.
  • Les deux estiment toutefois qu’il faut sortir les médecins généralistes de la donne. Qu’ils ne fassent plus partie des quotas, ainsi que pour certaines spécialités en pénurie. « Il y a une commune sur deux où il n’y a pas assez de médecins généralistes en Wallonie. Et à Bruxelles, il y a un quartier sur trois qui est à risque de pénurie. Il faut sortir de cette question des numéros Inami pour les médecins généralistes », estime Elisabeth Degryse.
  • « Il y a aussi un problème d’attractivité », réagit le président du MR par rapport à la médecine générale et à certaines spécialités. Il y a un problème « avec les sous-quotas de la fédération Wallonie-Bruxelles ». Bouchez donne un exemple: 41% des étudiants ont opté pour la médecine générale en Flandre à la fin de leur cursus quand il n’était que 27% du côté francophone.
  • Et le président du MR d’adresser un dernier tacle aux mutuelles: « Elles sont un vestige du passé qui n’ont pas toujours montré leur efficacité. »
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