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Sommet Russie – Afrique : le grand cirque diplomatique de Poutine envers lequel plus personne n’est dupe

Sommet Russie – Afrique : le grand cirque diplomatique de Poutine envers lequel plus personne n’est dupe
Poutine et différents leaders africains lors du second sommet Russie – Afrique. (Photo by Alexey DANICHEV / POOL / AFP) (Photo by ALEXEY DANICHEV/POOL/AFP via Getty Images)

Ce week-end se tient le second forum économique Russie-Afrique, dont la première édition date de 2019. À l’époque, le message était clair : la Russie veut tisser des liens particuliers avec le continent africain, se présentant comme une alternative aux anciennes puissances coloniales européennes et aux États-Unis. Quatre ans et un enlisement militaire en Ukraine plus tard, on en sait plus sur les méthodes de Poutine. Et si on ne peut lui retirer certains résultats, on sent bien que les chefs d’État de l’Union africaine ne sont pas dupes, mais plutôt véritablement inquiets. D’autant que pendant ce temps, c’est le Niger qui se retrouve en pleine crise.

« Pour la Russie, être l’hôte d’un sommet qui génère une forte présence des dirigeants africains, serait un coup diplomatique. Il serait en mesure de faire comme si de rien n’était. La récente insurrection avec Wagner n’était qu’un obstacle sur la route. »

Joseph Siegle, directeur de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique, cité par The Times

Seulement 16 chefs d’État africains ont fait le déplacement à Saint-Pétersbourg, contre 43 à Sotchi en 2019. Si, bien sûr, certains sont retenus pour des raisons de politique intérieur, cela reste tout un symbole : l’enthousiasme d’avoir un contrepoids utile aux Occidentaux n’est plus. Au contraire, même : si certains pays ont effectivement tissé des liens très fort avec la Russie, comme la Centrafrique, beaucoup d’autres ne savent plus trop sur quel pied danser devant un président russe qui n’a pas hésité à envahir un de ses voisins. Même si la majorité des pays d’Afrique se refusent encore à condamner cette attaque.

La guerre des récoltes pour peser dans la balance diplomatique

« La décision de la Russie de se retirer de l’Initiative céréalière de la mer Noire est un coup dur pour les prix mondiaux de la sécurité alimentaire et a un impact disproportionné sur les pays de la Corne de l’Afrique déjà touchés par la sécheresse. »

Korir , un haut responsable des affaires étrangères du Kenya

Sing’Oei dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : l’accord était une garantie que l’Afrique – et le Moyen-Orient – ne serait pas confrontée à une crise alimentaire causée par l’invasion russe. En l’envoyant valser, Poutine n’a fait que montrer au monde à quel point ça lui importait. Et ce, alors que l’UE semblait prête à accepter un retour sur le système SWIFT de certaines banques russes.

L’offre de Poutine de céder du grain et des engrais gratuitement à certains pays africains, avec laquelle il a ouvert le sommet, fait aussi grincer des dents : il offre « 25.000 à 50.000 tonnes de céréales au Burkina Faso, au Zimbabwe, au Mali, à la Somalie, à la République centrafricaine et à l’Érythrée » alors que ses missiles ont brûlé 60.000 tonnes de céréales ukrainiennes dans les ports de la mer Noire. Et une part significative de ce qu’il compte offrir provient du pillage.

Aucun leader africain n’a pour l’instant montré d’enthousiasme devant cette situation. Celle-ci consiste, globalement, à priver l’Ukraine d’une source de revenus tout en remplaçant cette filière par une autre exclusivement russe. Le blé et l’engrais ne seront pas toujours offerts.

Des gros bras à louer et la crainte des coups d’État

Cyniquement, on ne peut retirer à Poutine un certain succès à sa stratégie africaine, ces dernières années. Des pays tels que la République centrafricaine sont devenus de véritables protectorats, avec les mercenaires de Wagner assurant la protection des officiels, mais aussi des mines de bauxite, d’or ou de diamants.

Un modèle qui semble s’exporter avec succès au Mali, où la présence de Wagner ajoutée à un nouveau coup d’État militaire a contribué au retrait des forces de l’ONU, en particulier françaises, engagées sur place contre la menace terroriste. Ces derniers mois, la Russie a en outre bombardé les pays africains de l’ouest de propagande anti-française et anti-européenne, dépeignant les mercenaires de Wagner en sauveurs providentiels, avec apparemment un certain succès, du moins si l’on en croit les manifestations locales.

Quand Prigojine songe au Niger

Dans la région, qui a connu sept renversements de gouvernements ces dernières années, c’est maintenant le Niger qui est en proie à une fronde de la Garde présidentielle, qui séquestre le président Bazoum. L’affaire est encore en cours, mais si la main russe derrière n’est pas démontrée, des manifestants dans les rues criaient « À bas la France, vive la Russie » ce jeudi. Une preuve que le message de Moscou porte auprès d’une partie de la population.

Et un message que les autres chefs d’État africains ont certainement entendu. Poutine peut fournir des armes et des gros bras qui ne reculeront pas devant les violations des droits humains. Mais ceux-ci ont leur propre agenda, et tissent une influence qui va au-delà des frontières, jusqu’à peut-être menacer des chefs d’État. Or, Poutine et Prigojine jouent de plus en plus un trouble jeu de réconciliation de façade, malgré le dangereux précédent que représente la révolte des mercenaires de juin dernier.

Une prudente neutralité encore tenable ?

« Ce qui s’est passé au Niger, ce n’est rien d’autre que la lutte du peuple nigérien contre les colonisateurs qui essayent de lui imposer leurs règles de vie. Pour tenir en laisse (les peuples africains), les anciens colonisateurs remplissent ces pays de terroristes et de différentes bandes armées, en créant eux-mêmes une immense crise sécuritaire. »

Evguni Prigojine selon un message diffusé par une possible société-écran de Wagner, qui lui attribue ces paroles – à prendre au conditionnel.

Les États africains peuvent-ils encore maintenir longtemps une prudente neutralité entre l’Est et l’Ouest dans cette seconde guerre froide ? Cela semble compliqué, car Poutine ne joue pas ses cartes de la même manière que l’URSS avant lui. La situation est à la fois moins claire et beaucoup plus explosive, et si les Russes gardent l’initiative en Afrique par rapport à l’Occident, un accord avec Poutine semble de plus en plus être une décision qui peut s’avérer lourde de conséquences par la suite.

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