L’Europe et les USA peuvent-ils encore contrecarrer la mainmise russe et chinoise sur l’Afrique ?

L’UE et les États-Unis sont en train de se faire rejeter d’Afrique par l’argent chinois et les mercenaires russes. Une situation complexe, qui touche tant à au passé colonial qu’aux enjeux économiques futurs, et sur laquelle l’Europe commence seulement à bouger.

Pourquoi est-ce important ?

Si la guerre en Ukraine ne se déroule certainement pas comme Poutine l'avait rêvé, dans différents pays d'Afrique par contre, sa stratégie semble victorieuse. Via la compagnie de mercenaires Wagner, il a hissé la Russie au rang de puissance influente sur le continent, délogeant les Européens de leur pré carré diplomatique, là où les Chinois avaient déjà repris le flambeau économique.

Si les offensives russes s’enlisent dans le Donbass, l’offensive informationnelle du Kremlin en Afrique subsaharienne – aussi grossière qu’elle puisse parfois paraître – est un franc succès. L’Occident en général et l’Europe en particulier sont représentés comme des puissances prédatrices, tandis que les soldats de fortune russes sont là de manière purement désintéressée. Un mensonge éhonté, mais qui semble avoir du poids dans les opinions publiques africaines.

Diplomatie de la mémoire

  • Alors que la France se retire militairement du Mali ou du Burkina Faso, les régimes militaires en place multiplient les contacts diplomatiques avec la Russie, et il est probable que le Tchad, le Niger et d’autres pays du Sahel suivent, estime Euractiv.
  • Les mercenaires du Wagner Group reprennent à leur compte le vide ainsi créé, comme ils l’ont fait en République centrafricaine – et ce malgré leurs exactions et leur politique de contrôle des ressources naturelles, comme les mines, au bénéfice de Moscou.
  • La Russie a beau jeu de se présenter comme une puissance anticoloniale face à des Occidentaux qui n’ont pas perdu leur mauvaise habitude de piller l’Afrique. Une « diplomatie de la mémoire » largement mise en scène : « La Russie faisait partie des rares puissances mondiales qui n’ont ni possédé de colonies en Afrique ou ailleurs, ni participé à la traite [des] esclaves tout au long de son histoire. La Russie a aidé, de toutes les manières possibles, les peuples du continent africain à atteindre leur liberté et leur souveraineté » tweetait ainsi l’année dernière l’ambassade russe en Afrique du Sud.
  • C’est en fait complètement faux : la Russie impériale a largement colonisé et exploité l’Asie centrale et extrême-orientale et, si le régime communiste a voulu se dépeindre en champion de la décolonisation, sa mainmise brutale sur l’Europe de l’Est en montrait un tout autre visage.
  • Mais la Russie arrive à mener – à très bas prix – une offensive de propagande qui li offre un soutien non négligeable à l’international et de précieux débouchés économiques.

Difficile pour l’Europe d’inverser la tendance, dans des pays où elle a effectivement largement incarné l’exploitation puis l’ingérence de l’étranger. Mais l’UE – et les États-Unis commencent à se pencher sur le problème de ce narratif russe qui devient dominant. Et ça passe tant par l’aide financière que par la communication.

  • « Vous devez présenter vos vérités, et vous devez avoir un plan, et vous devez contre-attaquer, parce que les Russes, très égalés par les Chinois, font cela d’une manière très bien organisée, comme une véritable bataille » enjoignait ainsi un fonctionnaire européen, cité par Euractiv.
  • Plus facile à dire qu’à faire. Mais l’UE a annoncé qu’elle allait lancer une nouvelle plateforme pour contrer les campagnes de désinformation menées par la Russie et la Chine en Afrique. Les délégations de l’UE à l’étranger seront aussi renforcées d’experts en désinformation. « C’est l’une des batailles de notre temps et cette bataille doit être gagnée », résumait récemment Josep Borrel, le vice-président de la Commission européenne.

Gagner les esprits, et puis investir

Au-delà des discours, il faut aussi être présent économiquement. C’est vrai par rapport à la Russie, mais aussi et surtout par rapport à la Chine, qui s’est érigée en partenaire et investisseur N°1 un peu partout en Afrique.

  • Le programme « Global Gateway » de l’UE, qui se veut la réponse de l’Union à l’initiative chinoise « Belt and Road », commencera à verser 750 millions d’euros de financement d’infrastructures aux États africains au cours de l’année à venir.
  • C’est beaucoup, mais pas grand-chose par rapport aux 55 milliards de dollars que les États-Unis ont promis d’investir en Afrique sur les trois prochaines années. Des investissements qui passeront aussi par des réductions des droits de douane et des obstacles administratifs, afin de désenclaver l’Afrique et offrir une alternative aux sirènes chinoises. Mais aussi de faciliter l’acheminement de gaz et de pétrole d’Afrique vers le reste du monde.

L’enjeu se révèle aussi important à un niveau plus élevé de diplomatie : l’Union africaine ne dispose ni d’une place au G20 ni d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. La Chine est plutôt pour… et la Russie plutôt contre. L’UE peut dans ce domaine faire pencher la balance et couper l’herbe sous le pied de Moscou, tout en obtenant une voix supplémentaire en sa faveur. Mais il va falloir agir, et vite.

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