« Si ce projet échoue, l’Europe échouera », prévient De Croo à la veille du sommet européen sur l’énergie

Le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) continue de jouer les premiers rôles dans le dossier énergétique : « Oui, nous serons confrontés à cinq hivers difficiles », a-t-il répété hier lors d’un grand événement sur l’hydrogène vert, dans le port d’Anvers, devant toute une salle de capitaines d’industrie. « Rien ne suggère que j’avais tort », a-t-il ajouté, en référence aux critiques qu’il a reçues. Dans la foulée, le Premier ministre a exercé une pression considérable en amont du sommet européen qui se tient à Bruxelles demain et vendredi. « C’est le sommet le plus important depuis longtemps. Si aucun signal politique clair n’en ressort, à savoir que nous ne voulons plus tolérer les prix élevés du gaz, ce sera l’échec de l’Europe. » Le Premier ministre est toutefois assez sûr de son fait : il est clair que la Commission européenne a conclu un marché politique avec l’Allemagne. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a mis sur la table un achat groupé obligatoire de 15 % du gaz à destination de l’Europe, ainsi qu’une sorte de plafonnement des prix. Mais ne l’appelez pas ainsi : il s’agira d’un « corridor de prix dynamique », que l’UE imposera pour limiter les « prix excessifs ». Attendons de voir si ça passe : car entre la France et l’Allemagne, il y a de la friture sur la ligne.

Dans l’actualité : De Croo persiste et signe : « Nous allons vivre cinq hivers difficiles. »

Les détails : hydrogène, hydrogène, hydrogène. Vert, bien entendu.

  • Toute bonne pièce de théâtre a besoin d’une bonne dose de drame, au commencement. Cette règle s’applique également à la politique. Ainsi, lors d’une grande conférence sur la stratégie du gouvernement fédéral en matière d’hydrogène, le Premier ministre De Croo n’a pas hésité à faire monter la température, pour ainsi dire. Flanqué de la ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), et du secrétaire d’État à la Politique des Relances, Thomas Dermine (PS), et devant un parterre de grands industriels dont Lhoist, Solvay, Afga et Fluxys, entre autres, il a réitéré sa déclaration de l’été.
  • Il a fait référence aux « cinq à dix hivers difficiles » : « Beaucoup ont été surpris par ma déclaration. J’ai reçu de nombreuses questions à ce sujet. Mais deux mois plus tard, je constate que rien ne laisse penser que j’avais tort. Donc oui, nous serons confrontés à cinq hivers difficiles », a-t-il, néanmoins, atténué.
  • De Croo est ensuite entré dans le vif du sujet : « Si nous faisons les bons choix stratégiques dès maintenant et que nous faisons les choses correctement, nous pourrons faire un pas de géant par la suite. »
  • Ces « bons choix » comprennent le passage à l’hydrogène, Anvers devant devenir la plaque tournante de l’Europe occidentale. « Sans l’hydrogène, il sera incroyablement difficile de maintenir l’industrie lourde en Europe et en Belgique, ainsi que de devenir climatiquement neutre ».
  • Le Premier ministre a souligné l’importance du port d’Anvers, « le deuxième pôle pétrochimique au monde, après Houston ». « La question aujourd’hui est de savoir combien de temps, nous pouvons le maintenir à cette place. Si nous n’agissons pas rapidement, la désindustrialisation est imminente dans les années à venir. »
  • Le gouvernement fédéral voit donc dans l’hydrogène l’alternative idéale aux combustibles fossiles. L’hydrogène est depuis longtemps la tête d’affiche de la politique énergétique de la Vivaldi, surtout s’il est « vert » , c’est-à-dire fabriqué avec de l’énergie provenant de sources renouvelables et sans trop d’émissions de CO2.
  • La Vivaldi dispose d’un « plan hydrogène », élaboré par le consultant Boston Consulting Group (BCG). Cela implique d’ailleurs une discussion sur les couleurs : par exemple, l’hydrogène « gris » est produit à partir de combustibles fossiles et l’hydrogène « bleu » stocke le CO2 au lieu de l’émettre. Van der Straeten plaide depuis longtemps pour une certification internationale de cette production.
  • Le plan belge prévoit la production d’hydrogène vert à partir de l’énergie éolienne de la mer du Nord, d’un pipeline en provenance du nord de l’Espagne ainsi que d’importations en provenance de pays comme Oman, le Chili et la Namibie, qui se sont engagés à produire de l’hydrogène vert. La question reste de savoir si le transport ne va pas les rendre à nouveau « gris ». Van der Straeten s’est déjà rendue chez ces exportateurs, afin de promouvoir fermement la cause : bientôt, ils pourront exporter en masse leur énergie vers l’Europe sous forme d’hydrogène, via Anvers.
  • Petit problème, que plus d’un industriel dans la salle a également relevé : le coût du transport de l’hydrogène en tankers par voie maritime, et la perte inhérente à la liquéfaction, rend la rentabilité très improbable. « Le seul choix logique, économiquement rentable et neutre en CO2 est d’installer de nouvelles centrales nucléaires ici, qui rendront ensuite cet hydrogène « vert » avec leur énergie sans CO2, sur place, à Anvers », a fait remarquer sèchement un grand industriel. De l’hydrogène créé grâce à l’énergie nucléaire est en fait appelé hydrogène « rose » dans la nomenclature internationale.

L’essentiel : l’Europe a perdu des mois. Pendant ce temps, le prix de gaz a baissé de 70 %.

  • Demain et après-demain, l’UE se réunit à Bruxelles pour un nouveau sommet des chefs de gouvernement, la traditionnelle réunion d’automne. Là-bas, le nœud énergétique devrait enfin de dénouer. Plus précisément, la question qui se pose depuis des mois est celle du prix du gaz, qui a atteint des sommets inédits.
  • L’incapacité de la Commission à agir et à intervenir, par exemple par un plafonnement des prix, a suscité des critiques cinglantes en Europe. L’ombre de l’Allemagne, qui ne voulait pas d’une telle intervention, s’est abattue sur la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. La Pologne et l’Italie, entre autres, ont accusé la Commission de « favoriser l’Allemagne » et de « provoquer une récession par ses atermoiements ».
  • Ironiquement, le sommet intervient à un moment où les prix du gaz ont à nouveau fortement baissé. En novembre de l’année dernière, le prix du gaz était légèrement inférieur à 50 euros par kilowattheure, il a atteint un pic de 150 euros en mars, mais est monté jusqu’à 350 euros par kilowattheure à la fin de l’été. Aujourd’hui, le prix est revenu vers les 100 euros par kilowattheure, à 110 euros pour être précis, en baisse de 70 % : cela reste très cher, mais plus aussi prohibitif.
  • La Belgique a joué un rôle notable dans la discussion européenne, le Premier ministre et sa ministre de l’Énergie ayant plaidé en faveur d’un plafonnement des prix au début de la discussion, en mars. Van der Straeten a également annoncé une « percée » en septembre, après une énième offensive diplomatique, qui s’est avérée trop précoce. Les Pays-Bas, mais surtout l’Allemagne, continuaient de faire obstruction.
  • Au sein de la commission des Affaires européennes de la Chambre, De Croo a effectivement qualifié le sommet de « plus important depuis longtemps » : il veut enfin remporter sa victoire sur ce plafond de prix. « Il doit y avoir un signal clair indiquant que nous ne tolérerons plus les prix élevés. Sinon, c’est un échec de l’Europe », a-t-il déclaré à l’Assemblée.
  • La Belgique, ainsi que l’Italie, la Pologne et la Grèce, ont fait une « nouvelle proposition affinée », a déclaré M. De Croo. « Nous devons enfin passer à l’étape suivante. (…) Il doit y avoir une décision de principe pour faire une intervention temporaire et urgente, pour le prix du gaz sur le marché de gros. Avec des accords sur la sécurité d’approvisionnement et la solidarité. »

La vue d’ensemble : l’Europe arrive enfin avec un « plafonnement des prix ». Mais ne l’appelez pas comme ça.

  • De Croo a cessé de parler explicitement d’un plafonnement des prix parce que ce concept a été « affiné » : la sémantique joue souvent un rôle dans la recherche d’un consensus politique. Appelez-le autrement, et tout le monde pourra se mettre d’accord. Il en va de même dans l’UE.
  • La Commission européenne, comme la Belgique, parle maintenant d’un « corridor de prix dynamique », une fourchette dans laquelle le prix du gaz devra rester, pour « plafonner les prix excessifs sur le marché de gros ». Mais ce qui est alors considéré comme un prix excessif, ou démesuré, n’est pas clair. En tout état de cause, c’est à l’extrémité supérieure d’un tel couloir que se trouve un « plafond de prix » pour la Commission.
  • Il semble qu’il y ait maintenant un consensus sur ce point, simplement parce que cela laisse la possibilité aux Pays-Bas et à l’Allemagne de ne « pas intervenir sur le marché » de manière trop importante. Il s’agit d’un mécanisme temporaire : au printemps, la Commission proposera un système permanent de régulation des prix du gaz, selon un nouvel indice plus adapté à la réalité du GNL.
  • C’est la raison pour laquelle la mesure la plus importante qui sera décidée prochainement lors du sommet européen n’est pas le « plafonnement des prix », mais la décision de placer 15 % des achats des États membres en achats groupés. L’Allemagne a également fini par retourner sa veste ce week-end : lors d’un congrès européen des socialistes, d’autres leaders, dont Paul Magnette (PS) et Conner Rousseau (Vooruit), se sont également adressés au chancelier allemand Olaf Scholz. Ce dernier s’est engagé pour ces 15%.
  • Il est difficile de savoir si cela aura un impact à court terme, mais il s’agit d’un précédent en matière d’union des forces. Et une grande partie des achats, jusqu’à 70 %, est de toute façon liée à des accords à long terme : donc, avec ces 15 %, cela pourrait commencer à avoir un impact important sur les prix.
  • Il est d’ailleurs frappant de constater qu’alors que De Croo parlait de cinq hivers difficiles, le commissaire européen chargé du climat, Frans Timmermans, n’est pas si alarmiste. Dans De Tijd, il parle de « trois hivers difficiles ». Compte tenu de la position de son pays d’origine, le socialiste néerlandais, par ailleurs toujours assertif, a visiblement du mal à défendre un véritable plafonnement des prix. Remarquable, car dans le dossier du climat, Timmermans est toujours très prompt à juger publiquement les « États membres non solidaires ».

Réforme fiscale : le chemin est encore (très) long.

  • Le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), doit présenter au Premier ministre sa réforme fiscale, en tout cas sa première partie, pour le mois de décembre. Cette réforme, qui ne figure pas en tant que tel dans l’accord de gouvernement, a déjà fait couler beaucoup d’encre. Elle revient sur la table suite à un conclave budgétaire en demi-teinte qui n’a pas vraiment fait de gagnants. Le problème, c’est que tout le monde n’est pas d’accord sur la manière de la mener.
  • Tous s’accordent sur le fait de baisser les charges sur le travail et en particulier sur les bas et moyens revenus. Pour cela, le ministre entend relever la quotité exonérée d’impôt. Le document qui est actuellement discuté, et auquel LN24 a pu jeter un œil, parle d’un montant relevé de 9.270 à 13.660 euros, ce qui signifie un salaire poche (net) augmenté de 1.000 euros par an. Cette exonération permettrait aussi d’éviter les pièges à l’emploi, car les petits revenus gagneraient en attractivité par rapport aux allocations.
  • Mais tout ceci à un coût : 3,3 milliards d’euros dès 2025 (825.000 euros en 2023, 2,2 milliards d’euros en 2024). Et c’est là que le bât blesse au sein de la majorité, il reste à trouver comment compenser cette perte de revenu pour l’État. Le taux d’emploi certainement, mais aussi la disparition de tout un tas de niches fiscales. Forcément, il y aura des gagnants et des perdants, et il est à craindre que les cadres, les entrepreneurs et les indépendants soit dans le second camp.
  • Le MR de Georges-Louis Bouchez fait clairement partie des plus méfiants. Pour le président des libéraux francophones, il n’est pas question de taxer davantage le travail par d’autres moyens. « La réforme ne doit pas être budgétairement neutre, elle doit coûter. Le moyen de récupérer ce manque à gagner pour l’État est le taux d’emploi de 80% »
  • « 80% de taux d’emploi, c’est 40 milliards d’euros de manière directe et indirecte. Aujourd’hui, l’impôt des personnes physiques, en tout et pour tout, rapporte 50 milliards. Ça vous donne une idée de l’ampleur de la réforme fiscale que l’on pourrait mener », argumente Bouchez. Avant d’ajouter : « Ça suffit de taxer la classe moyenne et les gens qui travaillent. » Une ritournelle désormais connue.
  • De tous les membres de la Vivaldi, le président du MR est sans doute celui qui a le plus bloqué le projet de réforme fiscale, dont une première mouture a été présenté en juillet dernier. On retrouve dans le document d’aujourd’hui, une série de niches fiscales qui sont effectivement visées.
    • La suppression progressive du quotient conjugal.
    • Réforme des voitures société (déplacements non professionnels).
    • Réforme des avantages liés aux stocks options et aux primes du 2e pilier des pensions.
    • La fin de la déduction des pensions alimentaires.
    • Une réforme sur la déduction RDT (qui permet une exonération aux entreprises qui investissent dans les actions d’autres entreprises).
  • Une deuxième phase de la réforme serait ensuite préparée pour le 1er septembre 2023 et mise en place à partir de 2026. Toute la réforme sera progressive sur une période de 7 à 10 ans.
  • Mais autant dire, qu’à 7 partis, on est encore très loin du compte. Si les Verts et socialistes ont précédemment exprimé leur soutien au travail de Van Peteghem, « qui va dans le bon sens », nul doute que les libéraux ne sont pas prêts à tous les sacrifices pour relever la quotité exemptée d’impôt.
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