Que pèse encore la Russie, dans le monde ? Beaucoup de pétrole, certes ; mais Poutine a réussi, en un temps record, à éloigner ses alliés tout en n’arrivant plus à faire peur à ses vassaux. La voix de la Russie ne pèse plus, car plus personne n’écoute ni ses promesses ni ses menaces.
Il y a quelques jours, le président russe Vladimir Poutine réagissait à des propos de son homologue américain Joe Biden. Celui-ci avait appelé de ses vœux un monde plus juste et multipolaire. « Multipolaire, oui, mais sans les États-Unis », avait riposté Poutine, alors en visite chez son grand ami : le leader chinois Xi Jinping. C’est une possibilité, mais il est bien plus probable qu’à pas si moyen terme que ça, la Russie ne soit plus un bloc conséquent dans ce fameux monde multipolaire.
Une armée humiliée en public
C’est pourtant pour cette raison précise que Poutine avait lancé son « opération spéciale » contre l’Ukraine : il voulait arracher ce pays des griffes occidentales pour l’attacher fermement dans sa sphère d’influence postsoviétique. Et pour cela, Moscou comptait sur son armée pour rouler sur l’Ukraine et y installer un régime favorable avant que le reste du monde ne puisse réagir. On a vu ce que ça a donné.
Rien ne sert de revenir sur les multiples péripéties de cette guerre éclair qui s’éternise. Ce qui importe, c’est que l’armée russe, toujours embourbée, se retrouve diminuée et humiliée. Et c’est ce qui pouvait arriver de pire pour l’influence de Moscou dans la sphère postsoviétique, encore largement basée sur la force.
« Si vous retirez l’Ukraine de l’équation, il est vraiment clair que la Russie ne contrôle pas l’espace postsoviétique, car l’Ukraine est plus grande et plus importante que tout le reste. Il est donc juste de dire que si vous ne contrôlez pas l’Ukraine, vous ne contrôlez pas l’espace postsoviétique. Quand il est apparu clairement que la Russie ne parvenait pas à établir sa domination sur l’Ukraine, tout le monde l’a également vu et a commencé à se comporter de manière plus indépendante. Les gens voient que la Russie ne parvient pas à accomplir cette tâche ultime et cela signifie qu’elle est faible et qu’ils doivent se tourner ailleurs. »
Vladimir Milov, politicien d’opposition russe, auprès de CNBC
Des vassaux qui jouent leur propre jeu
Dans le Caucase et en Asie centrale, on n’a pas manqué d’en prendre note. L’armée d’Azerbaïdjan n’a pas hésité à tuer des soldats russes censés maintenir la paix entre elle et les enclaves arméniennes – reconquises depuis, dans ce qui pourrait bien virer au nettoyage ethnique si ce n’est déjà fait. L’Arménie ne peut que constater que son alliance avec Moscou au sein de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), équivalent de l’OTAN, ne lui a servi à rien.
Plus loin à l’est, on a bien compris aussi que les cartes avaient changé, surtout quand on a du gaz. Même le Kazakhstan, qui a appelé la Russie à l’aide contre sa propre population en révolte en 2021, s’éloigne. Il y a de meilleurs partenariats à chercher, plus rentables et plus sûrs, en Europe par exemple.
D’autant que les leaders autoritaires des pays de la région se rendent bien compte que leur allégeance à Moscou devait être unilatérale. Comme Alexandre Loukachenko en Biélorussie, ils devaient obéir à toutes les sollicitations de l’homme fort de Moscou. Maintenant que celui-ci n’a plus l’air d’avoir la force de concrétiser ses menaces, c’est bien moins le cas. Astana s’est même permis de saisir les actifs de l’agence spatiale russe Roscosmos, pour une affaire de dettes impayées.
Vladimir Milov soulignait que la Russie postsoviétique avait hésité à bâtir des partenariats inspirés de l’Union européenne avec ses anciens satellites. Mais le camp de la ligne dure, dirigé par Poutine, l’avait emporté.
Des alliés frileux
Les vassaux s’agitent, mais la Russie pouvait encore compter sur ses alliés, comme la Chine, et plus récemment l’Iran. Mais c’est de moins en moins le cas. Pékin ne promet plus rien, même dans les négociations sur le gaz. Quant au régime de Téhéran, il semble moins impliqué dans l’approvisionnement en armes de l’armée russe. Les productions de drones ont été délocalisées en Russie même et en Syrie. Un dernier pays allié du Kremlin qui, comme l’Iran, risque d’être trop occupé par la détérioration de la situation au Moyen-Orient pour aider la Russie.
L’absence de vraie réaction de Poutine après l’attaque du Hamas contre Israël est aussi symptomatique de cette perte d’influence à l’échelle mondiale. Poutine s’est contenté de condamner les violences. Au risque de choquer l’État hébreu, qui a pourtant évité de condamner ouvertement l’invasion russe en Ukraine, et dont une partie non négligeable de la population est originaire de Russie (mais aussi d’Ukraine).
Pas de poids sur le Moyen-Orient
Le problème, c’est que Poutine ne peut pas perdre ses alliés liés au Hamas, l’Iran et la Syrie. Ni prendre le contrepied des USA au regard du monde arabe et condamner la riposte israélienne. Dans tous les cas, il perd des cartes dans l’affaire, sans vraiment peser sur place comme pouvait le faire l’URSS. Car la position du gouvernement russe n’importe en fait plus tant que ça, à l’échelle mondiale. Le poids de Moscou s’est dilué dans le Dniepr.
Même les États africains, qui voyaient en la Russie un contrepoids aux anciennes puissances coloniales traditionnelles – ça aurait pu être le chef-d’oeuvre de Poutine – ont été fort refroidis par la crise du blé. Ils ont bien compris qu’à Moscou, on pouvait les affamer sans état d’âme, si ça pouvait faire un peu avancer la guerre dans le bon sens. Non seulement ça n’a pas marché, mais le prestige russe en a encore pris un coup. Alors que 2023 touche à sa fin, il ne reste plus à la Russie de Poutine qu’un seul partenaire étranger qui semble fiable, et c’est le régime nord-coréen.
Ce sont sans doute des acteurs régionaux qui vont reprendre le rôle de Moscou, dans leurs régions respectives. La Turquie le fait déjà dans le Caucase, au risque d’ailleurs de se heurter à l’Iran. La Chine, bien sûr, participe à la partie.