Reprendre la Crimée serait essentiel pour la sécurité de l’Ukraine… Mais les alliés suivront-ils ?

Reprendre la Crimée cette année serait stratégiquement plus important, pour les Ukrainiens, que de continuer à pousser dans le Donbass : cela sécuriserait tout leur flanc gauche. Mais les Occidentaux sont frileux à imaginer ce genre de manœuvre, de peur que Poutine ne considère cela comme une menace contre l’intégrité nationale russe. Même si dans les faits, la rhétorique du Kremlin a largement franchi ce cap depuis longtemps.

Pourquoi est-ce important ?

Pour l'heure, c'est sur le Donbass que l'on s'attend à voir la guerre passer un nouveau cap dans un sens ou dans l'autre. Mais après un an de conflit, la question des buts des belligérants se fait toujours plus pressante, et pour Kiev, il est clair : reprendre tout le territoire national aux Russes, y compris la Crimée occupée depuis 2014. À supposer qu'on en arrive là, il se peut que ça coince à l'international. Même si l'Ukraine serait dans son droit.

Sur le front : pour l’instant, c’est Bakhmout, dans l’oblast de Donetsk, qui attire toute l’attention. Le peu qu’il reste de la ville est lentement encerclé par les Russes, qui espèrent clairement y obtenir une première victoire depuis longtemps, fût-elle seulement symbolique.

  • « Malgré des pertes importantes, l’ennemi a lancé les unités d’assaut les plus préparées de Wagner, qui tentent de percer les défenses de nos troupes et d’encercler la ville » évoque le commandant des forces terrestres ukrainiennes, le colonel général Oleksandr Syrskyi. La question d’un repli ukrainien se fait pressante, mais reste difficile d’un point de vue symbolique.
  • Car le but de guerre ukrainien ne change pas : libérer le territoire national de l’occupation russe dans son entièreté. Et si la question a été prudemment mise de côté en Occident, cela comprend les républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk, mais aussi et surtout la Crimée. Des régions que Moscou considère de facto comme siennes, au mépris du droit international. Et cela pourrait constituer une dangereuse ligne rouge.

Ligne rouge en Crimée ?

Sur la carte : la Crimée, péninsule stratégique. La région, occupée après un coup de force de pseudo-séparatistes organisé en sous-main par Moscou, abrite des bases navales stratégiques, et permet aux Russes de maintenir tout le sud de l’Ukraine sous la menace de frappes. C’est aussi un lieu fort symbolique : touristique pour bien des Russes, et symbolique pour Poutine, pour qui cette « conquête » marquait un apogée. « Cela a commencé avec la Crimée, cela se terminera avec la Crimée », martèle toutefois Volodymyr Zelenskyy.

« Tant que la Russie sera en mesure de lancer des avions, des missiles, ou des drones là-bas, ou que la flotte de la mer Noire sera en mesure d’opérer depuis [la péninsule de Crimée], le pays ne sera jamais sûr ou sécurisé, ou ne sera pas en mesure de reconstruire son économie. »

Général Ben Hodges, ancien commandant des troupes américaines en Europe, auprès d’Euractiv
  • Pour le général américain, la Crimée devrait même constituer un objectif prioritaire pour l’Ukraine, plutôt que de tenter un nouveau bond dans le Donbass. La situation changerait bien plus radicalement avec un sud sécurisé pour les Ukrainiens, y compris économiquement pour leurs exportations de grains.
  • Et selon le général, c’est un objectif envisageable, une fois reçues les nouvelles aides occidentales promises, et si celles-ci continuent bien à arriver. « Si vous voulez isoler puis libérer la Crimée, vous devez avoir la capacité de l’isoler – en perturbant les principales communications entre la Russie et la Crimée, le pont de Kerch et le pont terrestre – avec des frappes aériennes de missiles à longue portée sur les ponts et des attaques terrestres par une importante force blindée », estime Hodges auprès d’Euractiv.
  • Pour rappel, les blindés arrivent : Kiev recevrait les premiers arrivages promis. On parle d’environ 300 blindés, des véhicules d’infanterie Bradley aux véritables chars de combat Leopard ou Abrams. « Si nous supposons qu’il faudra au moins trois mois avant que les conditions soient réunies – météo, terrain et Russes épuisés – cela fait trois mois de plus pour s’entraîner et s’exercer », conclut le général.

Frilosités occidentales

La friction : pour Poutine, et pour de nombreux Russes, la Crimée c’est historiquement un territoire national – même si ça ne veut rien dire en droit international. Les alliés occidentaux de l’Ukraine craignent donc qu’une tentative de reconquête des Ukrainiens n’ouvre la boite de Pandore.

  • Depuis le début de la guerre, les fournitures de matériel sont conditionnées à ce que celui-ci ne risque pas de servir à frapper le territoire russe. Même si Kiev a jusqu’ici bien utilisé ses cartes et usé à bon escient de l’artillerie lourde fournie, la question se pose maintenant pour des avions de combat. Elle se posait déjà dans les mêmes termes pour les chars quelques mois plus tôt.
  • Prudent, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg s’est contenté de tourner autour du pot : « Le soutien a évolué au fur et à mesure de l’évolution de la guerre » », euphémise-t-il. Selon le Wall Street Journal, certains leaders européens – français et allemands – voudraient relancer un tour de négociation, mais Berlin a depuis démenti vigoureusement, Paris est moins claire sur la question. Kiev refuse de toute manière catégoriquement de laisser un répit à Poutine pour reconstituer ses forces.
  • Au crédit des Ukrainiens, il faut rappeler que la Crimée reste leur territoire national envahi, au même titre que Kherson, libérée cet été par exemple. Ils ont d’ailleurs déjà mené des frappes symboliques sur la péninsule, comme sur le pont de Kerch, sans que Poutine puisse y faire quoique ce soit à part gesticuler. L’effort pour isoler la péninsule a déjà commencé. Si les Ukrainiens se sentent prêts à tenter cette bataille, ils la mèneront.
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