Ce sont entre autres des drones explosifs iraniens qui pleuvent sur les villes ukrainiennes. Téhéran ne s’était pourtant pas impliqué depuis 40 ans dans un conflit de haute intensité où personne n’est objectivement un allié idéologique du régime des mollahs. Ceux-ci espèrent, en échange de ses projectiles bon marché, obtenir de Moscou des technologies militaires modernes. Mais ce n’est pas gagné.
Qu’espère gagner l’Iran en offrant son aide militaire à Moscou ?

Pourquoi est-ce important ?
Même si le monde entier n'est pas si uni que les Occidentaux aimeraient le penser face à l'invasion de l'Ukraine, la Russie n'a plus guère beaucoup de soutien à l'international. Chine et Inde restent attentistes et s'intéressent surtout à leur approvisionnement énergétique, et même la Serbie, très proche habituellement de Moscou, a refusé de reconnaître la légitimité des référendums organisés dans les territoires occupés. Avec La Russie, il ne reste guère que la Biélorussie. Mais aussi l'Iran, dont l'impact se fait sentir sur le terrain.Les faits : L’armée russe a entrepris une campagne de bombardement des cités et des infrastructures ukrainienne, tuant de nombreux civils. Des frappes effectuées à l’aide de missiles, mais aussi avec des drones explosifs, similaires aux V-1 de la Seconde Guerre mondiale. Or ces engins sont différents modèles de drones-projectiles Shahed de fabrication iranienne, bien que les Russes les aient renommés Geran (Géranium) 2 dans leur nomenclature pour camoufler un tant soit peu leur origine.
Solidarité antiaméricaine
- Le régime de Téhéran soutient donc directement les opérations militaires russes, même s’il nie effrontément. « Nous avons une coopération en matière de défense avec la Russie, mais l’envoi d’armes et de drones destinés à être utilisés contre l’Ukraine n’est pas notre politique », a ainsi déclaré jeudi le ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, lors d’une conversation téléphonique avec le responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrell, signale le Wall Street Journal. Ce à quoi des responsables américains ont rétorqué que des instructeurs iraniens se trouvaient en Crimée pour initier les Russes à l’usage de ces drones.
Le contexte : l’Iran est à la fois bloqué diplomatiquement, les négociations sur son programme nucléaire étant au point mort, et en proie à une contestation croissante de sa jeunesse en général et des Iraniennes en particulier. On pourrait se demander pourquoi les religieux à la tête du pays choisissent donc maintenant de prendre parti dans un conflit lointain. C’est la première fois en 40 ans que le pays s’implique dans un conflit ou aucun des protagonistes ne montre de sympathies particulières pour l’Islamisme politique.
- L’Iran et la Russie se sont toutefois rapprochés durant le conflit syrien, les deux régimes partageant le but commun de maintenir Bachar al-Assad au pouvoir à Damas. Les deux pays ne sont pas formellement alliés, mais certains au sein du pouvoir iranien veulent cultiver ce terrain d’entente, en particulier s’il s’agit de lutter – même indirectement – contre l’influence américaine.
« Khamenei [l’ayatollah Ali Khamenei, Guide de la Révolution de l’Iran] a été courtisé par Moscou pendant des années, et quand ils frappent à la porte en disant que nous avons besoin de votre aide, il est très difficile pour lui de dire non »
Alex Vatanka, responsable du programme Iran au Middle East Institute (Wall Street Journal)
Un régime divisé et un guide vieillissant
- Mais cette stratégie ne ferait pas l’unanimité au sein du régime nuance auprès du journal américain Mostafa Pakzad, un consultant basé à Téhéran qui conseille les entreprises étrangères dans le pays. Certains y voient un pas de trop, qui empêcherait la reprise de négociations sur le nucléaire avec l’UE, plus ouverte au dialogue que Washington. « Il y a une faction au sein du régime qui est contre la vente de drones. « Mais ces divisions sur la politique étrangère concernant l’Ukraine et la Russie alimentent l’affaiblissement du moral du régime déjà inquiet face au soulèvement. »
- Cette décision controversée peut permettre à l’Iran de démontrer à ses voisins et rivaux la dangerosité de son arsenal. Ali Khamenei, 83 ans, reste partisan d’une ligne faisant de son pays une puissance régionale, quitte à rendre impossible toute relation stable avec l’UE. Mais elle risque aussi de déclencher de nouvelles sanctions. Peut-être le guide suprême estime-t-il que de meilleures relations la Russie et la Chine suffiraient à compenser.
- En échange de son aide en Ukraine, l’Iran a fait pression pour avoir accès à l’armement russe moderne, en particulier dans le domaine aérien, comme par exemple en achetant des chasseurs modernes Su-35. Téhéran espère ainsi rattraper son retard face à des rivaux tels qu’Israël, mais aussi les pays arabes du Golfe, officiellement alliés des États-Unis.
- Une stratégie à laquelle Moscou rechigne, car Poutine n’a aucun intérêt à se fâcher maintenant avec l’Arabie saoudite par exemple. Les pays de l’OPEP, dont Riyad est un des membres les plus influents, semblent plus tentés par la solidarité entre producteurs de pétrole que par les appels des États-Unis à mettre plus d’or noir sur le marché fin de compenser l’embargo sur la production russe.