La prochaine guerre civile américaine est-elle en préparation ?

C’est un titre dramatique. Malheureusement, il ne vient pas de nous : c’est l’opinion de plus de la moitié des Américains, qui pensent que dans les prochaines années, une guerre civile va se déclarer dans leur pays. On peut douter que ce soit vraiment le cas, mais cela en dit long sur l’état d’esprit qui règne aux États-Unis. Le système politique n’y est plus capable de dialogue et de compromis. Cela signifie qu’il n’y a pas d’issue immédiate.

Only in America

Only in Amrica. Seulement en Amérique. Ceci est apparu sur Fox News cette semaine : « Video shows Utah child, 4, shoot at police outside McDonald’s drive-thru. » (« Une vidéo montre un enfant de 4 ans de l’Utah tirant sur la police devant le drive-in de McDonald’s).

On ne peut même pas imaginer un titre comme ça, même pour un mauvais film d’horreur. Mais c’est la brutale et dure réalité. Alors que nous sommes déjà abasourdis et réduits au silence par des titres tels que « Uvalde, Texas, fusillade dans des écoles primaires : 21 morts, dont 19 enfants » ou « Déjà 308 fusillades de masse aux États-Unis recensées jusqu’au 5 juillet 2022, plus de fusillades que de jours de l’année », la dégénérescence de la société civile américaine continue de nous stupéfier.

Dans l’Utah, un père avait ordonné à son enfant de quatre ans – vous avez bien lu – de tirer sur la police lors de son arrestation. Et il a tiré. Nous pourrions appeler cela un énième fait divers, tant aux États-Unis l’anormal semble devenir la norme.

1 Américain sur 25 tirera sur quelqu’un

Dans cet état d’esprit, les résultats d’une enquête menée auprès de 8.620 Américains par le respecté cabinet d’études de marché Ipsos ne semblent même pas surprenants.

De nombreux Américains supposent que la situation va devenir complètement incontrôlable dans les prochaines années. Un nombre stupéfiant – un mot souvent utilisé de manière abusive dans le journalisme, mais qui est approprié ici – de 50% des Américains supposent qu’une guerre civile va éclater dans les prochaines années. Les émeutes du 6 janvier 2021 au Capitole ne seraient donc que le prélude à un véritable conflit armé. Près de 20% des sondés souhaitent s’armer en cas de troubles politiques au cours des prochaines années. En conclusion, un Américain sur 25, pense qu’il va tirer sur quelqu’un.

Le dialogue n’est plus possible

Il y a beaucoup de problèmes aux États-Unis, et le grand nombre d’armes en circulation n’est que l’un d’entre eux. Le pire, cependant, est la polarisation de la société en deux grands blocs idéologiques et que ces deux groupes ne se parlent plus, tous deux convaincus de leur bon droit. Quiconque a des connaissances aux États-Unis sait que les amitiés entre républicains et démocrates ne sont plus possibles. Il ne reste que deux options : rompre l’amitié ou éviter de parler de politique.

« The winner takes it all » aux États-Unis

En fait, il s’agit d’une conséquence du système « first past the post » qui caractérise les pays anglo-saxons. Après tout, il n’y a toujours qu’un seul gagnant aux élections et non un groupe de gagnants. Ce que l’un gagne, l’autre le perd. En Europe continentale, il est parfaitement possible pour plusieurs partis de se déclarer vainqueurs parce qu’ils ont tous progressé. Ce n’est pas le cas aux États-Unis, où toutes les élections ont un seul gagnant, que ce soit pour le Sénat, la Chambre des représentants ou la présidence.

Où sont les électeurs modérés ?

Aux États-Unis, vous avez de vrais militants d’extrême-gauche, des électeurs de centre-gauche, des électeurs de centre-droit et un grand groupe d’électeurs d’extrême-droite qui suivent des populistes comme Donald Trump. Leur choix est uniquement limité aux démocrates ou aux républicains et ils ne peuvent pas, comme en Europe continentale, voter pour un large éventail de partis. Il n’y a en fait pas d’autres choix, ce qui signifie que toute nuance dans le débat a maintenant disparu. Celui qui crie le plus fort gagne.

[A noter qu’il en a été autrement dans le passé aux États-Unis, où le compromis était possible, mais les mœurs ont changé pour des dizaines de raisons. C’est cependant un autre sujet.]

Et la réélection de Trump ?

Dans cet environnement toxique, la réélection de Donald Trump – qui, avec d’autres, a largement contribué à cette atmosphère – serait bien sûr le dernier clou dans le cercueil de la démocratie américaine. Selon une enquête approfondie du site d’information américain Axios, Donald Trump prépare une attaque contre le soi-disant « deep state », ou « État profond ». Il veut s’assurer que chaque vote démocrate – ou libéral, comme on dit aux États-Unis – est purgé à tous les niveaux, du haut en bas de la pyramide. L’ensemble du système de freins et de contrepoids sur lequel repose la démocratie américaine s’effondrerait alors plus que jamais.

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La polarisation est également possible en Europe

Il est clair que cette polarisation est également possible ici. Les élections présidentielles françaises sont une exception en Europe. Là aussi, comme aux États-Unis, on n’a que deux choix. Alors que le père Jean-Marie Le Pen a dû se contenter de 18% des voix en 2002, sa fille Marine Le Pen a remporté 41% des suffrages lorsqu’elle s’est présentée à la présidence contre Emmanuel Macron plus tôt cette année. Ici aussi, le clivage est une réalité.

La bénédiction de la représentation proportionnelle

En Europe continentale, nous avons un système politique différent, où chaque voix compte. Aux États-Unis, il est parfaitement possible que la personne qui obtient le moins de voix soit quand même élue. George W. Bush et Donald Trump ont tous deux reçu moins de voix que leurs adversaires respectifs Al Gore et Hillary Clinton, mais ils ont remporté plus de grands électeurs et donc la présidence. En Europe, chaque voix compte – bien qu’il existe des seuils électoraux – et vous pouvez voter pour un éventail beaucoup plus large de partis. Il est également beaucoup plus facile de créer un nouveau parti, comme l’a montré l’ascension de la NV-A. Ce n’est pas possible aux États-Unis.

En route pour les États-Unis d’Europe

Ce système de « représentation proportionnelle » crée une culture très différente, dont l’Union européenne est la preuve. Les États-Unis d’Europe vers lesquels nous nous dirigeons rapidement – les Britanniques l’ont bien vu – ont cette culture. Avec le temps, cela s’avérera être une bénédiction. La grande solidarité qui existe depuis que les Russes ont attaqué l’Ukraine et depuis le Brexit est admirable.

La coopération des gouvernements nationaux entraîne souvent de nombreuses frustrations. L’exemple le plus récent est le spectacle hallucinant donné en Italie par Mario Draghi. Mais cette coopération devra plus que jamais s’intensifier dans les organisations supranationales. Certainement lorsqu’il s’agit de défis gigantesques comme le Covid, l’imprévisible Russie ou le changement climatique, qui domineront nos vies au cours des 50 prochaines années. Se tirer dessus lors de réunions politiques n’est pas vraiment la voie à suivre.


Xavier Verellen est un auteur et un entrepreneur. Il est propriétaire de la société de conseil PaloAlto33 (www.paloalto33.be) et de la scale up QelviQ (www.qelviq.com).

(CP)

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