Pourquoi les partis francophones de Bruxelles, menés par le PS, se préparent à une réforme de l’État : il est question de tracer sa propre voie, en réponse à la Flandre mais aussi à la Wallonie

Le PS continue de travailler sur une réforme de l’État, même si Paul Magnette (PS) a littéralement prétendu le contraire, lors de sa réception du Nouvel An. L’accent reste mis sur Bruxelles, et sur le futur destin institutionnel de la capitale. Le vieux débat sur les régions et communautés revient inévitablement dans le processus. Sous la houlette du patron du PS bruxellois, Ahmed Laaouej, les présidents des partis francophones de Bruxelles se sont réunis « en secret » pour chercher une position commune. Le fait que cette réunion ait fuité dans la presse est révélateur : les positions pour 2024 sont également sensibles à Bruxelles, et pas seulement vis-à-vis des Flamands. En effet, la Wallonie a sa propre dynamique, qui s’affirme aussi par rapport à Bruxelles : preuve en est la répartition de l’argent du plan de relance européen, où Bruxelles a été lésée, avec la bénédiction du ministre-président wallon, Elio Di Rupo (PS). Les politiciens bruxellois, y compris ceux du gouvernement, ne veulent pas se laisser faire : des propositions visant à élever leur région au niveau de la Flandre et de la Wallonie doivent être préparées. Mais les demandes des dirigeants flamands à Bruxelles, qui souhaitaient être impliqués, ont été ignorées par Laaouej.

Dans l’actualité : Une réunion « secrète » des dirigeants francophones bruxellois est si secrète qu’elle fait l’objet d’une fuite, dans La Libre.

Les détails : PS, MR, Ecolo, Les Engagés et DéFI se sont réunis dans la capitale pour trouver une position commune autour d’un nouveau cycle de réformes de l’État, la septième donc.

  • « Je l’ai toujours dit : j’essaierai toujours de former un gouvernement sans la N-VA. Nous ne parlerons certainement pas de confédéralisme. Le PS ne sera jamais un partenaire pour parler d’un avenir confédéral de la Belgique, car ce n’est pas un avenir pour la Belgique. » Devant les caméras de Terzake, la semaine dernière, Paul Magnette (PS) a été plutôt affirmatif.
  • Cela correspondait parfaitement au message qu’il avait déjà donné cet été, à la suite d’un congrès régionaliste qui s’était tenu au PS à l’époque : « Pas de nouvelles réformes de l’État » est la ligne officielle du parti de Paul Magnette. Question de ne pas faire de surenchère en 2024 avec le belgiciste autoproclamé qu’est Georges-Louis Bouchez (MR).
  • Cela a été immédiatement suivi d’un congrès du PS à huis clos, une singularité. La raison est simple : Magnette a une peur bleue qu’on parle de lui comme de Conner Rousseau, le président des socialistes flamands. Ce dernier est systématiquement accusé d’avoir une ‘bromance‘ avec Bart De Wever (N-VA), comme si les deux avaient déjà scellé un accord pré-électoral pour une coalition en 2024. Le week-end dernier, Rousseau a d’ailleurs tenté de casser cette image en s’en prenant vertement à la N-VA lors de ses vœux.
  • Pour le PS, il est donc quelque peu maladroit que l’on apprenne aujourd’hui par une fuite qu’à Bruxelles, sous la houlette du PS, on travaille sur les contours d’une septième réforme de l’État, après la sixième qui a été finalisée en 2011, avec Elio Di Rupo (PS) comme Premier ministre.
  • Selon La Libre, mardi dernier, Ahmed Laaouej (PS), Céline Fremault (Les Engagés), David Leisterh (MR), Rajae Maouane (Ecolo) et François De Smet (Défi) se sont réunis, accompagné chacun d’un sherpa, pour apporter une réponse aux éventuelles revendications flamandes : trouver une ligne commune, « face au front uni des Flamands », pour négocier ensuite. Par contre, le PTB n’était pas convié. Une réunion a déjà eu lieu en novembre, et une autre suivra avant Pâques.
  • La présence de deux présidents de parti aux côtés du poids lourd du PS, Laaouej, avec Maouane et De Smet, ainsi que les dirigeants du MR et des Engagés à Bruxelles, en dit long sur le poids de la réunion. Sur le fond, aucun des participants n’a voulu dire quoi que ce soit, mais Laaouej a répété ce qu’il avait déjà déclaré ce week-end : “Les francophones bruxellois ont des intérêts communs, le premier étant de garantir à Bruxelles son statut de région à part entière. »
  • Et ce faisant, Laaouej, l’un des principaux adversaires de Magnette en interne en 2020, face à un éventuel accord avec la N-VA, a immédiatement mis un filet d’huile sur le feu : « De l’unité de notre parti dépendra grandement notre capacité à faire face aux assauts et à l’arrogance d’une certaine Flandre qui regarde Bruxelles avec un mélange de mépris et d’avidité.”

De quoi il s’agit : La prochaine réforme de l’État concernera de toute façon Bruxelles.

  • Le fait qu’il y ait beaucoup de réflexion à Bruxelles pour mieux organiser les choses politiquement, et plus logiquement, n’est pas nouveau. Du côté francophone surtout, les partis sont convaincus que l’enchevêtrement institutionnel de la capitale est beaucoup trop compliqué.
  • Après tout, Bruxelles n’est pas aujourd’hui une région à part entière, comme la Flandre et la Wallonie : elle se situe officiellement à un niveau inférieur. Car en même temps, il y a les communautés, flamande et française, qui gèrent une grande partie des affaires liées aux personnes, comme la culture et surtout l’éducation. En outre, il existe trois commissions communautaires : la commission communautaire flamande VGC, la commission communautaire française COCOF, et la commission communautaire commune COCOM, chacune avec ses propres organes.
  • Cette dernière gère par exemple une partie des soins de santé à Bruxelles. À ce propos, pendant la crise sanitaire, on a découvert qu’il y a neuf ministres de la Santé en Belgique. Un exemple frappant qui montre la complexité de nos institutions.
  • Ce qui entre aussi en ligne de compte ici : du côté francophone, il y a la perception que les Flamands de la capitale ont un pouvoir politique disproportionné, par rapport à leur poids électoral : le gouvernement bruxellois, comme le fédéral, est composé de manière paritaire. Il y a donc autant de ministres pour beaucoup moins d’électeurs : avec quelques milliers de voix du côté flamand, vous êtes un(e) homme / femme politique de premier plan avec un cabinet élargi.
  • En conséquence, un vieux débat revient souvent : s’agit-il maintenant d’un fédéralisme belge à deux, ou à trois ? La Belgique opte-t-elle pour une structure de régions (à trois donc : la Flandre, la Wallonie et Bruxelles) ou pour une structure de communautés (avec uniquement des francophones et des Flamands) ? En Flandre, la communauté et la région coïncident largement, même physiquement, dans un seul gouvernement. En Belgique francophone, il n’y a jamais eu cette fusion, parce que les Bruxellois se voient différemment, et la dynamique à Namur, dans le gouvernement wallon, a pris sa propre direction.
  • Les négociations communautaires menées par Paul Magnette et Bart De Wever en 2020 semblaient aller dans le sens du système des régions : plus d’autonomie pour Bruxelles, en échange de plus de (con)fédéralisme, telle était l’essence de l’accord. Magnette a aussi présenté officiellement cela dans ses projets fin 2020 comme un fédéralisme avec « trois ou quatre » régions à part entière, les communautés ayant largement disparu.
  • Ainsi, même après l’échec de la bourguignonne (PS-N-VA), la direction d’une nouvelle réforme de l’État avait été fixée en 2020 : une Bruxelles plus forte et plus simple, un régionalisme à part entière et, en échange, une plus grande autonomie pour la Flandre. Entretemps, Magnette a fortement retracé ce raisonnement, afin de créer une distance entre lui et la N-VA.

La vue d’ensemble : Quelque chose est en train de bouger en Belgique francophone.

  • On sait donc que les politiciens bruxellois en particulier se préparent à un nouveau cycle institutionnel. « Au sein du gouvernement bruxellois, nous nous sommes mis d’accord sur ce point : nous voulions organiser des discussions, au moins pour bien connaître le point de vue de l’autre et se préparer », nous explique un membre du gouvernement. « Et l’intention était aussi d’y associer les Flamands de Bruxelles ».
  • Ce qui entre certainement en ligne de compte ici : à Bruxelles, les partis francophones ont également le sentiment que les liens avec la Wallonie ne sont plus si évidents. La distribution de l’argent européen pour la relance, soit 4,5 milliards d’euros, a été un signal d’alarme à cet égard. Dans ce domaine, Bruxelles, avec Rudi Vervoort (PS) comme ministre-président, a tiré la courte paille. Mais selon les initiés, c’est surtout Elio Di Rupo (PS), le ministre-président wallon, qui l’a poussé dans le fossé, suivi par Jan Jambon (N-VA), le ministre-président flamand.
  • En outre, il existe de nombreux autres dossiers, tels que le projet de loi sur la taxe kilométrique ou l’abattage rituel, qui montrent qu’on voit les choses différemment entre les sections wallonnes et bruxelloises du PS, mais aussi d’Ecolo.
  • Il s’agit donc pour les Bruxellois de trouver leur propre structure, qui est aussi plus « détachée » de la Wallonie. Mais cela nécessiterait-il la disparition totale de toutes les communautés ? Aucun parti francophone ne plaide officiellement en ce sens : tous veulent officiellement que cette « Fédération Wallonie-Bruxelles » continue d’exister malgré tout. Laaouej l’a rappelé haut et fort ce week-end.
  • Du côté flamand, à Bruxelles, Groen, Vooruit et Open Vld ont déjà demandé à Laaouej de rejoindre la table et de préparer officieusement le dossier : il n’y a pas eu de réponse. Mais les trois partenaires gouvernementaux veulent renforcer la région, tout en réduisant fortement les pouvoirs des communautés. « L’argent joue également un rôle : la Flandre injecte désormais des millions d’euros par an dans l’enseignement néerlandophone de la capitale. Les Bruxellois flamands ne veulent pas perdre cela », rappelle un Bruxellois de premier plan.
  • Les deux autres acteurs, la N-VA mais certainement aussi le CD&V, ne veulent absolument rien savoir de la réduction des communautés dans la capitale. « Une capitale doit avoir des liens forts avec les grandes communautés linguistiques flamande et francophone, sinon ce n’est pas une capitale », tel est le mantra de la N-VA. Là-bas, d’ailleurs, ils notent subtilement que Laaouej ne se décharge pas non plus visiblement des communautés, ce que Magnette semblait vouloir faire.
  • Par ailleurs, la N-VA se montre agréablement surprise par la « fuite » de la réunion secrète. « Pour dire simplement ‘non’, vous n’avez pas besoin d’avoir des réunions. Vous dites juste « non ». Seuls ceux qui assument ces négociations aiguisent leurs couteaux », entend-on au sommet.

C’est officiel : Nous sommes le pire élève de la classe de l’UE.

  • Les nouveaux chiffres de l’agence européenne de statistiques, Eurostat, confirment ce que la rue de la Loi savait déjà : la Belgique a désormais officiellement le pire budget des États membres. Le déficit atteint 5,1 % du PIB, alors que la moyenne en Europe n’est « que » de 3,3 % du PIB.
  • Le fait que ces chiffres européens ne soient pas bons est un phénomène général : après tout, la crise énergétique a frappé durement toute l’UE. Les budgets se sont détériorés presque partout au troisième trimestre. Mais ce qui est également frappant, c’est que trois pays ont enregistré un excédent. Les Pays-Bas voisins affichent un excédent de 0,4 %, le Portugal de 1,3 % et l’Irlande même de 3,1 %.
  • La Commission européenne s’était auparavant montrée très critique à l’égard du budget belge et notamment de ses mesures énergétiques, qu’elle jugeait beaucoup trop peu ciblées. Il s’agit singulièrement de la baisse de la TVA sur l’énergie qui coûte des milliards, mais qui ne cible pas réellement les plus faibles.

Les calculs ne sont pas bons : L’Agence de la dette anticipe un coût supplémentaire de la dette, dû à la hausse des taux d’intérêt : 10 milliards d’euros.

  • La hausse des taux d’intérêt coûte cher à un gros débiteur comme la Belgique. En effet, maintenant que la Banque centrale européenne a relevé ses taux d’intérêt, pour faire face à l’inflation, il est soudainement beaucoup plus coûteux d’emprunter.
  • Ça fait beaucoup de bruit. Sur l’ensemble des obligations émises par la Belgique l’an dernier, appelées OLO, il faudra payer au fil des ans quelque 10 milliards d’euros d’intérêts de plus qu’en 2021. Ce chiffre a été calculé par l’Agence de la dette et rapporté dans L’Écho. Ces OLO étaient toujours en cours à un taux d’intérêt de 0,2 % en 2021. Mais l’année dernière, le taux était de 3,2 %. Au total, 44 milliards d’euros de ces OLO ont été émis et donc empruntés.
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