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Pourquoi les agitations militaires de la Chine autour de Taïwan cachent une forme d’impuissance

Pourquoi les agitations militaires de la Chine autour de Taïwan cachent une forme d’impuissance
Annabelle Chih/Getty Images

Des exercices militaires « sans précédent ». Alors que la presse emploie les grands mots, les marchés restent étonnamment calmes. L’agitation chinoise autour de Taïwan après la visite de Nancy Pelosi masque en fait une certaine frustration. Parmi les spécialistes et les premiers intéressés – les habitants – personne ne croit vraiment à un conflit majeur, en tout cas pas à court terme.

Pas moins de 6 zones d’exercices, des tirs de missiles balistiques, et même le franchissement de la ligne médiane du détroit de Taïwan. Quiconque s’approcherait des zones d’exercices se mettrait en grave danger, a prévenu Pékin. De leur côté, les autorités taïwanaises et l’état-major américain ont qualifié ces exercices militaires de « hautement provocateurs ».

Nous voilà donc au bord d’un conflit ouvert entre Taïwan et la Chine ? Et si les États-Unis interviennent, la 3e guerre mondiale n’est-elle plus très loin ? Posons-nous quelques secondes.

Identité

Les rêves de réunification de Xi Jinping entre la Chine continentale et Taïwan sont pour l’instant restés lettre morte depuis son accession au pouvoir en 2012. Pire, l’île et sa « métropole » n’ont jamais semblé si distantes. De 2008 à 2016, Taïwan a été présidée par Ma Ying-jeou, favorable à un rapprochement avec Pékin. Mais le résultat n’a pas été celui qui était espéré.

Craignant un manque d’indépendance de leur pays, la réponse électorale des Taïwanais a été radicale : l’indépendantiste Tsai Ing-wen a été élue haut la main, et réélue cinq ans plus tard sans problème.

Plus de 60% des Taïwanais s’identifient désormais comme seulement taïwanais. Moins de 10% comme uniquement chinois, et un peu plus de 30% se sentent partagés par les deux identités. Ces tendances ne cessent de s’écarter.

Économie

Il y a aussi la réalité économique. Un conflit ouvert entre les deux pays serait un désastre pour les deux économies. Entre janvier et juin de cette année, les importations chinoises de produits taïwanais ont représenté 122,5 milliards de dollars. La Chine a besoin, entre autres, des puces taïwanaises de TSMC, et Taïwan a besoin de l’immense marché chinois.

C’est le sens de l’interview du patron du géant des puces électroniques accordée à CNN. Si Pékin envahit Taïwan, l’économie chinoise sera bloquée, a averti Mark Liu, dont l’entreprise fournit plus de la moitié des semi-conducteurs dans le monde. Ces puces sont indispensables à la construction de smartphones, de voitures électriques ou encore… de missiles.

Militaire

Sur le plan militaire justement. Il ne fait pas de doute que la Chine domine largement son adversaire en termes de capacités. Mais Taïwan a plusieurs atouts. Premièrement, géographiques, un débarquement restant toujours une opération risquée sur le plan militaire.

Ensuite, l’armée taïwanaise n’est pas l’armée ukrainienne. Cela fait de longues années que l’île se fournit en armes et en systèmes anti-missiles.

Ce qui nous porte au 3e point: Taïwan bénéficie du soutien de l’armée la plus puissante du monde, celle des États-Unis.

Voire encore davantage : un probable soutien militaire de l’Occident qui a récemment resserré ses liens suite à l’invasion russe de l’Ukraine. Si le patron de l’OTAN s’est bien gardé de tout commentaire, étant bien occupé avec le conflit ukrainien, voire avec les échauffourées entre la Serbie et le Kosovo, le Haut représentant de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell n’a pas eu cette retenue : « Il n’y a aucune raison d’utiliser une visite comme prétexte à une activité militaire agressive dans le détroit de Taïwan. Il est normal et habituel pour les législateurs de nos pays de voyager à l’étranger. » Aucun mot, bien sûr, sur l‘attitude peu responsable de Pelosi, qui a surtout fait de cette visite un enjeu électoral interne, à l’approche des midterms.

Mais si Taïwan n’est pas l’Ukraine, la Chine n’est pas non plus la Russie. Un conflit ouvert entre l’Occident et l’Empire du Milieu serait un désastre pour l’économie mondiale. Tout le monde en ressortirait perdant. Cela reste bien-sûr un frein pour Pékin.

Pression interne

Non, ces exercices militaires répondent plus à un besoin de calmer un certain nationalisme chinois. Sur les réseaux sociaux chinois, beaucoup se demandent pourquoi la Chine a laissé atterrir l’avion de Nancy Pelosi.

En tout cas, les menaces chinoises précédant l’atterrissage ne semblent avoir eu aucun effet sur la présidente de la Chambre des représentants, et certains rédacteurs en chef estiment que « c’est un coup dur pour Xi Jinping », à l’approche du 20e Congrès du Parti communiste, qui doit acter, en principe, le 3e mandat du président chinois, cet automne.

Depuis, les médias d’État diffusent en masse des images des exercices militaires, vues des centaines de millions de fois sur les réseaux sociaux. Sur Weibo, de nombreux Chinois s’en satisfont. Un moyen de calmer les foules.

Nous laisserons le dernier mot aux habitants de Taïwan, qui sont un autre thermomètre de la situation sur place. En octobre 2021, un sondage a demandé aux Taïwanais s’ils craignaient un conflit ouvert entre la Chine et leur pays : près de 65% des répondants estimaient un conflit comme peu ou pas du tout probable.

Dans tous les cas, Taïwan et les Etats-Unis ne devraient pas répondre aux agitations chinoises, se satisfaisant largement de la politique du statut quo.

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