Le gouvernement de Liz Truss n’a pas deux mois qu’il est déjà plongé dans une tourmente alimentée par l’inflation, les prix de l’énergie en forte hausse, et la dégringolade de la livre. Mais l’esprit insulaire exacerbé qu’a pris le pays depuis le Brexit ne doit pas nous faire oublier que la vulnérabilité économique du royaume britannique peut entrainer des conséquences qui se feront ressentir des deux côtés de la Manche.
La situation britannique, avec une réforme fiscale d’urgence supposée soulager les ménages, mais qui passe mal sur le plan économique, pourrait contenir les germes d’une crise beaucoup plus grave, et qui s’étendrait au système bancaire parallèle. Soit toutes les institutions qui ne sont pas des banques à proprement parler, comme les assureurs, les sociétés d’investissement et les fonds de pension. Celles-ci ne sont pas soumises aux mêmes obligations que le monde bancaire traditionnel, et en particulier à l’obligation de détenir des liquidités pour se prémunir contre les chocs du marché.
Des banques endurantes, des fonds de pension beaucoup moins
Ces institutions sont donc fort vulnérables aux variations des taux d’intérêt, et le risque de voir les banques centrales relever ceux-ci à nouveau est très fort, alors qu’elles devront aussi intervenir dans l’autre sens pour soutenir les marchés. Ce qui pourrait déclencher un cercle vicieux, s’alarme Iain Clacher, professeur de retraites et de finances à l’Université de Leeds: « Si l’on n’a pas cette vision de la finance non bancaire et du système dans son ensemble, on assiste à une sorte de bulle. Et elles se produisent très lentement, mais quand elles tournent mal et vont dans l’autre sens, cela peut arriver très vite et c’est ce que nous venons de voir », explique-t-il dans Politico
La crise qui a vu la livre tomber à un niveau record par rapport au dollar a commencé lorsque le gouvernement britannique a dévoilé un mini-budget qui a effrayé les investisseurs et provoqué une importante liquidation sur le marché obligataire. Les fonds de pension britanniques, qui détiennent environ 1.000 milliards de livres sterling d’actifs, se sont retrouvés à devoir vendre davantage d’obligations d’État pour répondre aux appels de fonds. Il a fallu que la Banque d’Angleterre s’engage à racheter jusqu’à 65 milliards de livres sterling pour que les fonds de pension gagnent du temps et que le système ne se grippe pas. Or, ce n’est pas un problème typiquement britannique.
Une pile de 41.000 milliards de dollars qui pourrait s’effondrer
Les institutions non-bancaires demeurent fragiles à cause de leur manque de liquidités en cas de changements soudains, en particulier de hausses à répétition des taux d’intérêt. Et il s’agit potentiellement d’un problème mondial, d’autant que celles-ci ont vu leur taille exploser depuis la crise financière. Le Fonds monétaire international a indiqué cette semaine que les actifs des fonds d’investissement à capital variable ont quadruplé depuis 2008 et s’élèvent désormais à 41.000 milliards de dollars. Bien assez de dominos pour une chute vertigineuse, à la moindre secousse.
Le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board), qui dirige les efforts déployés au niveau mondial pour mettre en place un cadre réglementaire, avait déjà alerté dès le début de la pandémie sur le danger que les institutions non-bancaires pouvaient représenter pour l’économie mondiale. Une situation que la Grande-Bretagne a bien failli traverser, et qui doit servir d’avertissement. Jon Cunliffe, gouverneur adjoint de la Banque d’Angleterre, a écrit dans une lettre adressée aux députés britanniques jeudi dernier que la crise des fonds de pension « souligne la nécessité » d’une réglementation internationale des établissements non-bancaires: « Il est important que nous nous assurions que les non-banques, en particulier celles qui utilisent l’effet de levier, soient résilientes aux chocs. S’il n’est peut-être pas raisonnable d’attendre des acteurs du marché qu’ils s’assurent contre tous les résultats extrêmes du marché, il est important que des leçons soient tirées et que des niveaux appropriés de résilience soient assurés. »
Or, dans l’UE, ce genre d’enjeu est aussi d’actualité, car de nombreux États se voient sollicités à venir en aide aux grands fournisseurs d’énergie confrontés à la forte hausse des matières premières, le gaz et le pétrole en particulier. « Nous avons en quelque sorte échangé un certain risque de crises financières contre un risque plus élevé de moments d’instabilité sur les marchés », résume Steven Kelly, chercheur associé principal au programme de stabilité financière de l’université de Yale, cité par Politico. « Nous n’avons peut-être pas de panique bancaire, mais nous avons des explosions bizarres de négociants en matières premières et de fonds de pension. »