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Pourquoi la Biélorussie n’attaquera pas l’Ukraine par le nord malgré les gesticulations de Loukachenko

Pourquoi la Biélorussie n’attaquera pas l’Ukraine par le nord malgré les gesticulations de Loukachenko
Depuis avril, la Biélorussie a décrété une mobilisation partielle et multiplie les exercices à grand spectacle. (Photo by Stringer/Anadolu Agency via Getty Images)

Lundi dernier, l’annonce par le président biélorusse Alexandre Loukachenko du déploiement d’un groupe armé commun avec les troupes du Kremlin a fait craindre une extension du conflit russo-ukrainien. Mais il est très improbable qu’il ose passer ce cap. Il n’a rien à y gagner, tout à perdre, et ce n’est pas ce que Poutine attend de l’armée de Minsk.

De nouvelles troupes russes s’installent en Biélorussie dans le cadre de ce groupement combiné annoncé en grande pompe, juste au moment où la Russie intensifiait ses frappes sur les villes et les civils d’Ukraine, vraisemblablement en représailles à l’attaque contre le pont de Crimée. Le ministère de la Défense de Minsk a lâché le nombre de 9.000 Russes, sans que l’on puisse savoir combien sont déjà arrivés. Mais les quelques images qui en fuitent, et analysées par des journalistes biélorusses basés à l’étranger, tendent à faire penser qu’il s’agit d’appelés fraîchement enrôlés, et non des troupes professionnelles de Moscou ou des mercenaires qui lui servent maintenant de soldats d’élite.

Des soldats – néophytes – mais pas de chars

Les observateurs du pays relèvent aussi que ces soldats russes arrivent sans équipement lourd, les trains les acheminant vers l’ouest ne portant que des camions et des véhicules utilitaires, et non des engins de combat. Au contraire, tous les trains chargés de matériels lourds observés partaient vers l’ouest. Les stocks de la Biélorussie servent visiblement à équiper l’armée russe. Quant aux soldats, ils ne sont pas là pour ouvrir un nouveau front contre l’Ukraine en attaquant par le nord, comme en février, mais vraisemblablement là pour s’entrainer et remplacer les troupes russes déjà présentes précédemment, dans un système de rotation. Il ne s’agit nullement d’une montée en puissance de l’armée russe dans son pays satellite.

Quant à l’armée biélorusse, elle se retrouve donc privée de ses propres chars et véhicules blindés au profit du grand frère russe ; ce n’est pas une situation propice à une entrée en guerre. D’autant qu’elle n’est pas considérée comme fiable par Moscou, ni d’ailleurs par son propre gouvernement, entré dans une logique croissante de répression depuis les élections largement truquées en 2020 qui ont vu une énième victoire totale du président Loukachenko. Les flux logistiques russes passant par la Biélorussie ont déjà été victimes de sabotage, et des Biélorusses proches de l’opposition combattent dans les rangs ukrainiens. Une entrée en guerre équivaudrait à donner un nouveau coup dans une structure déjà dangereusement bancale.

Le pire endroit possible pour mener une attaque

En outre, attaquer l’Ukraine sur sa frontière nord relèverait du suicide, pour ces soldats déjà peu motivés. Car la géographie y est impropre à toute attaque : c’est là que s’étendent les marais du Pripiat, un territoire recouvert par une forêt dense parsemée d’étangs, de tourbières et de ruisseaux, et qui s’étend sur 480 km d’ouest en est et 225 km du nord au sud, soit pas moins de 98.419 km2 de part et d’autre de la rivière Pripiat. C’est la plus grande étendue marécageuse d’Europe, un refuge inestimable pour la biodiversité, et une zone totalement impropre à des mouvements de troupes massifs, surtout en hiver. Quant aux quelques chemins praticables, ils ont tous été densément fortifiés par les Ukrainiens durant ces derniers mois. Mines, barbelés et bunkers font ressembler les points de passage à de véritables forteresses.

Mais pourtant, l’armée biélorusse gesticule et multiplie les démonstrations martiales mettant en scène de nouvelles recrues à l’entrainement. Celles-ci fleurissent sur les réseaux sociaux où elles font plus rire qu’autre chose. Loukachenko a en outre réitéré ses déclarations sur des mesures déjà en application, comme la mobilisation partielle, active depuis avril, ou encore l’armement des pompiers.

Des gesticulations destinées à l’Occident

Pour des journalistes biélorusses tels que Tadeusz Giczan, il ne s’agit pas tant de menacer l’Ukraine d’une entrée en guerre du pays, mais plutôt d’un plan de communication qui vise les pays occidentaux afin d’y faire monter la crainte d’une extension du conflit aux frontières de l’UE. Celui-ci fait d’ailleurs remarquer que le ministère biélorusse de la Défense communique pour la première fois dans différentes langues de l’UE, en anglais, mais aussi en espagnol.

Bref, jusqu’à preuve du contraire, on assiste plus à une fuite en avant rhétorique avec bien peu d’arguments qui vont dans le même sens sur le terrain qu’à un véritable moment fatidique dans cette guerre. À moins que Loukachenko s’entête, et qu’il fonce dans une vraisemblable catastrophe militaire qui pourrait fort bien lui coûter son pouvoir.

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