Non, nous ne gérons pas bien notre budget

Les nuances sur l’état de nos finances publiques sont déplacées. La situation est dramatique et le prochain gouvernement sera confronté à un énorme défi budgétaire.

Selon les nouvelles estimations du Comité de suivi, un groupe de fonctionnaires qui surveille le budget, le gouvernement fédéral doit faire un effort budgétaire de 800 millions pour maintenir son budget sur la trajectoire promise à l’Europe. Cela peut donner l’impression que notre budget est raisonnablement sur la bonne voie. C’est ce que le Premier ministre a fait savoir depuis New York, affirmant que « la Belgique va dans la bonne direction sur le plan budgétaire ». Bien entendu, tout dépend de la définition que l’on donne à l’expression « bonne direction ».

Pas vraiment la bonne direction

Aujourd’hui, notre budget est effectivement en meilleure santé aujourd’hui qu’il ne l’était lors de l’exercice 2020. C’est tout à fait logique, étant donné que les mesures de soutien temporaires nécessaires à l’époque pour surmonter la crise ont été supprimées depuis lors. Il s’agit tout simplement d’une politique budgétaire sensée : en période de crise, le gouvernement intervient en apportant un soutien temporaire, après la crise, ces mesures temporaires sont supprimées et le budget revient alors à la situation d’avant la crise. Ce dernier point, en particulier, est trop souvent « oublié » dans notre pays. Un déficit budgétaire de 5 % du PIB, soit 30 milliards d’euros, est prévu pour 2024 pour l’ensemble de nos gouvernements. Ce chiffre reste structurellement plus élevé qu’avant la crise (2 % en 2019). Et c’est également le plus gros déficit budgétaire en Europe, car d’autres pays ont mieux géré leurs budgets que nous (alors qu’ils ont également subi une crise du Covid).

De plus, de nombreuses factures supplémentaires sont attendues dans les années à venir. Au cours de la prochaine législature, le vieillissement entraînera une augmentation des dépenses en matière de pensions et de soins de santé de 1,5 milliard par an. La hausse des taux d’intérêt du marché augmentera les charges d’intérêt sur la dette publique d’un milliard chaque année. Enfin, des milliards supplémentaires sont nécessaires pour rattraper le retard accumulé en matière d’investissements publics et de dépenses de défense.

Si nous ne faisons rien, notre dette publique va exploser

L’idée que nous nous en sortons raisonnablement bien avec nos finances publiques peut être jetée à la poubelle si l’on examine d’un peu plus près la dynamique de la dette à laquelle nous pouvons nous attendre dans les années à venir. Des simulations assez simples de la dynamique de notre dette publique montrent clairement que l’état de nos finances publiques est tout à fait dramatique et que, sans une intervention sérieuse, la situation deviendra incontrôlable.

La croissance économique et l’évolution des taux d’intérêt sont des facteurs cruciaux à cet égard. Une croissance plus forte rend la dette publique plus facile à gérer, des taux d’intérêt plus élevés la rendent plus difficile. Les simulations supposent que les taux d’intérêt du marché se stabilisent aux niveaux actuels, autour de 3 % pour les échéances plus longues (ce qui reste faible dans une perspective historique) et que la croissance nominale se maintienne à 3 %. Quant à la dynamique de notre dette, elle est alors très simple : si nous ne faisons rien dans les années à venir, notre dette publique explosera. Dans un tel scénario, nous partons d’un déficit assez élevé, qui est ensuite creusé par l’augmentation de la facture du vieillissement. Dans ce cas, la dette publique atteint 400 % du PIB en 2070 (avec une stratégie active de décroissance, c’est encore pire). Pour être clair, il s’agit d’une simple simulation et non d’une prédiction. Si les choses devaient réellement évoluer de la sorte, nous serions inévitablement confrontés à des problèmes bien plus tôt.

En absorbant totalement les coûts supplémentaires liés au vieillissement, nous pourrions stabiliser le déficit primaire (le déficit budgétaire hors charges d’intérêt). Cela nécessiterait un effort budgétaire de 1,5 % du PIB, soit 9 milliards, d’ici 2030 (et d’autres efforts par la suite). Même dans ce cas, la dette publique continuerait à augmenter progressivement, pour atteindre environ 250 % du PIB en 2070.

Si nous parvenons à éliminer le déficit primaire d’ici 2030 et à maintenir l’équilibre par la suite (c’est-à-dire en absorbant également les coûts du vieillissement), nous pourrions stabiliser la dette publique aux niveaux actuels. Mais cela nécessiterait un effort budgétaire de l’ordre de 5 % du PIB d’ici 2030, soit 28 milliards en euros d’aujourd’hui. Aucun gouvernement ne s’est approché d’un tel effort budgétaire au cours des 40 dernières années.

Des nuances déplacées

Compte tenu de l’ampleur des défis budgétaires à relever, les nuances de la situation sont pour le moins déplacées. La secrétaire d’État au Budget, Alexia Bertrand, estime que nous sommes toujours sur la bonne voie pour ramener le déficit budgétaire combiné à 3 % du PIB d’ici 2026. Pour ce faire, elle s’en remet principalement au prochain gouvernement. Ramener le déficit à 3 % d’ici 2026 nécessitera un effort budgétaire de 13 milliards d’euros à partir d’aujourd’hui. Ce qui relativise d’emblée l’effort sur la table pour les semaines à venir (entre 600 millions et 1,2 milliard). L’état de nos finances publiques est tout simplement dramatique. Ce n’est pas en espérant que le prochain gouvernement y remédie que nous irons dans la bonne direction.

La réponse pour les prochains gouvernements réside dans la combinaison difficile d’efforts de consolidation et de réformes structurelles pour contenir les dépenses de pensions et de soins de santé, et renforcer la croissance. Quoi qu’il en soit, ne rien faire n’est plus une option.


L’auteur Bart Van Craeynest est économiste en chef au Voka et auteur de « België kan beter« .

(JM)

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