Craignant un possible arrêt des livraisons, la société énergétique italienne Eni a cédé aux exigences de Moscou. Dans le même temps, elle se met en porte-à-faux avec les recommandations de Bruxelles.
Eni a annoncé qu’elle allait ouvrir « dans les prochains jours » un compte libellé en euros et un libellé en roubles auprès de Gazprombank « sans préjudice de ses droits contractuels, qui prévoient toujours un paiement en euros ». Elle a précisé qu’il s’agirait une situation « temporaire ».
Il s’agit toutefois bien d’une technique demandée par Moscou pour que ses clients européens paient son gaz en monnaie russe, comme l’exige Vladimir Poutine depuis début avril.
Eni a ajouté qu’elle avait rejeté une demande du fournisseur russe Gazprom Export visant à modifier son contrat d’approvisionnement à long terme existant. Le mois dernier, les sociétés polonaise PGNiG et bulgare Bulgargaz avaient rejeté des demandes similaires et avaient vu leur approvisionnement en gaz coupé.
Craignant de connaître pareil sort, le groupe italien a donc décidé de se conformer aux exigences russes: les obligations de paiement seront considérées comme remplies avec le dépôt initial en euros, la conversion se fera dans les 48 heures sans aucune implication de la banque centrale russe (sanctionnée par l’UE).
Moscou plutôt que Bruxelles
Pour Eni, contrôlée à 30,3% par l’État italien, la procédure dans laquelle elle va s’engager « ne devrait pas être incompatible avec les sanctions existantes » à l’égard de Moscou. Elle a tenu à souligner le fait que, de son côté, elle continuerait de payer en euros.
Toutefois, Eni ne respecte pas les recommandations émises par la Commission européenne. Celle-ci a toujours indiqué qu’ouvrir un compte en euros/dollars et un autre en roubles auprès de Gazprombank constituerait une violation des sanctions européennes imposées à Moscou. Si elle ne l’a pas explicité dans une mise à jour de ses orientations publiée lundi, elle ne l’accepte toujours pas. Bruxelles invite les clients européens à uniquement « ouvrir un compte en devises prévues par le contrat, de faire un paiement dans cette devise et de faire une déclaration en disant que cela clôt le paiement pour la livraison de gaz concernée ».
Mardi, peu avant l’annonce de la société italienne, le porte-parole en chef de la Commission a à nouveau indiqué que l’ouverture d’un deuxième compte libellé en roubles auprès de Gazprombank allait « au-delà de ce que nous avons dit être autorisés dans les orientations données aux États membres » et contrevenait ainsi aux sanctions.
Rappelons toutefois que la tâche de poursuivre les entreprises énergétiques qui contreviennent aux indications de la Commission européenne incombe aux gouvernements nationaux, car ce sont eux qui sont chargés de faire appliquer le régime des sanctions de l’Union européenne. Or, la décision d’Eni « a été partagée avec les institutions italiennes », a souligné le groupe, ajoutant qu’il s’agissait d’éviter « une rupture potentielle de l’approvisionnement » en gaz.
Les responsables politiques italiens disent que la situation actuelle est floue et estiment donc ne pas être en total désaccord avec la Commission. Il y a deux semaines, Mario Draghi, réclamant que la Commission exprime un avis juridique clair sur la question, avait pourtant assuré que son pays suivrait les indications de Bruxelles, promettant « qu’il n’y aurait pas de distinction entre l’Italie et les autres ».