Le débat fait rage dans tous les pays riches. Comment convaincre le plus grand nombre de se faire vacciner et comment percer les ultimes poches de résistance ? La carotte ou le bâton ? Sans doute aucun des deux.
Tout a déjà été fait pour étendre la campagne vaccinale au plus grand monde: les bouts de pizza, la bière, le cannabis, des permis de chasse et de pêche gratuits, des places de matchs de foot et autres chèques-cadeaux. Joe Biden est le dernier en date à tendre la carotte: il poussait chaque localité à donner une récompense de 100 dollars pour tous les nouveaux vaccinés. Et il a été entendu, dans plusieurs États.
Du côté du bâton, plus proche de nous, il y a la France et l’Italie. L’instauration d’un pass sanitaire obligatoire qui donne accès aux lieux de loisirs a fait beaucoup de bruit, et conduit à des manifestations qui ont pris chaque semaine un peu plus d’ampleur dans l’Hexagone.
Belgique
En Belgique, le mot d’ordre était « pas de pass sanitaire ». Pour une fois, notre pays n’allait pas copier son voisin du dessous, préférant instaurer un Covid Safe Ticket, qui donnera accès à partir du 13 août aux événements de plus de 1.500 personnes. Pas question d’imposer un pass sanitaire pour rentrer dans un bar ou un restaurant.
Sauf que les lignes sont en train de bouger, surtout en Flandre. Conner Rousseau, le président de Vooruit, d’où est issu l’intransigeant ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, a lancé une proposition pour étendre le Covid Safe Ticket. Les plus petits événements sont sa cible: les mariages, les team buildings, les banquets, les pendaisons crémaillères et autres fêtes groupées. Le Covid Safe Ticket n’a pas été prévu pour ce genre d’événements.
Il est appuyé côté flamand par le président du CD&V Joachim Coens: « C’est très important que cela soit sur la table, car il y a beaucoup de gens qui veulent permettre aux petites fêtes de continuer de manière sûre », a-t-il argumenté sur la VRT. Maintenant que beaucoup de personnes ont eu accès aux deux doses de vaccin, le président des démocrates-chrétiens estime qu’il ne s’agirait plus d’une mesure discriminatoire.
Les libéraux sont contre. Ils ne veulent pas tendre vers une société du pass. Sur Twitter Egbert Lachaert a pointé du doigt un danger qui guète une telle extension: « Bonne intention, mais l’appel pour le laissez-passer ne fera que grandir et si nous ne mettons pas une limite, nous finirons dans une société dont nous ne voulons pas. Il existe effectivement des alternatives. »
Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, est depuis le début sur cette même ligne. Ce qui fait réagir du côté francophone le député cdH Georges Dallemagne: « Je comprends que Georges-Louis Bouchez, en tant que libéral, mette en avant la liberté de chacun. Mais je m’étonne que la gauche ne rappelle pas plus l’importance de la solidarité. » Et d’ajouter: « On présente le pass sanitaire comme une restriction des libertés alors que c’est en fait un pass pour plus de libertés. La Belgique doit s’inspirer de ce que font la France mais aussi l’Italie. »
La carotte ou le bâton ? Aucun n’est vraiment conseillé…
Dans le Financial Times, plusieurs experts redoutent que l’incitant ou le moyen coercitif soit contre-productif. Dans le premier cas, la carotte pourrait être vue comme discriminatoire par toute une partie des vaccinés. Et puis cela récompenserait les retardataires, ce qui n’a finalement pas beaucoup de logique. Enfin, l’incitant pourrait être perçu comme un moyen de corruption, ce qui ferait hésiter encore plus l’hésitant.
Pour le moyen coercitif comme le pass sanitaire, c’est sans doute encore pire. Obliger quelqu’un à lui faire faire quelque chose le rend encore plus radical. Plus vous employez de moyens coercitifs, plus vous augmentez la poche de résistance. C’est ce que l’on voit actuellement en France avec les manifestations qui gagnent en ampleur et en intensité.
« On fait souvent la comparaison avec les Gilets jaunes alors je suis allé regarder les chiffres et c’est intéressant », analyse Jérôme Fourquet sur LCI. « Lors du troisième samedi de mobilisation des Gilets jaunes en décembre 2018, le ministère de l’Intérieur n’avait comptabilisé que 136.000 manifestants alors qu’ils étaient 205.000 le samedi d’avant, selon le même ministère » Et de résumer: « C’est-à-dire que la mobilisation des Gilets jaunes était allée en descendant assez rapidement alors que là elle monte crescendo puisqu’on rappelle qu’ils étaient 114.000 il y a trois semaines, 200.000 fin juillet et 237.000 le weekend dernier ». Une grande majorité des Français se montrent pourtant en faveur du pass sanitaire face à cette minorité bruyante. Mais le tout reste d’évaluer l’intensité de ce bruit. Dit autrement: met-il en danger toute la campagne vaccinale ?
Certes, l’intervention du président Macron a permis de relancer la vaccination à près de 400.000 premières doses quotidiennes à la mi-juillet, alors qu’elle stagnait à 150.000 par jour en juin. Mais depuis le mois d’août, la vaccination est déjà retombée à 175.000. Pour l’heure, seule 56% de la population est complètement vaccinée.
Les jeunes et les communautés
Mieux que la carotte ou le bâton, les experts préfèrent largement l’argumentation. Convaincre un public cible, à commencer par les jeunes. Si ces derniers font clairement face à moins de risques en contractant le Covid-19, leur nombre peut faire pencher la balance face aux poches de résistances radicalisées.
Pour la professeur Heidi Larson, directrice fondatrice du Vaccine Confidence Project à la London School of Hygiene & Tropical Medicine, le moyen le plus efficace est l’engagement communautaire: les responsables de la santé publique doivent prendre le temps de répondre aux préoccupations: « Allez vers les gens plutôt que de les forcer à venir vers vous, écoutez les gens et prenez leurs préoccupations au sérieux plutôt que de les rejeter. »
Pour les jeunes, utiliser de jeunes influenceurs fait certainement partie de la solution. Mais cet aspect est globalement négligé. Les tentatives restent pour l’instant très timides. Faire intervenir des vedettes de la télé ne touchera pas les jeunes, parce qu’ils ne la regardent pas.
La vaccination est aussi porteuse de discriminations. Au Royaume-Uni, des recherches de l’Office for National Statistics ont montré que les taux de vaccination étaient nettement inférieurs chez les personnes d’origine noire des Caraïbes et de l’Afrique, ainsi que chez celles vivant dans les zones les plus défavorisées et celles qui n’avaient pas l’anglais comme première langue.
C’est une tendance que l’on remarque aussi en Belgique sur la carte de la vaccination. Les grandes villes plus pauvres de Wallonie sont en deçà des taux de vaccination des villes plus riches flamandes. La capitale, multiculturelle et très disparate au niveau des richesses, fait également état d’un retard net par rapport aux autres régions du pays (58% de vaccinés complets contre 84% en Flandre et 75% en Wallonie). Au sein même de Bruxelles, il y a une très forte disparité entre les communes les plus pauvres et les plus riches.
Pour éviter davantage de discriminations encore, il est impératif, disent les experts, d’aller à la rencontre de ce public cible. Avec un message adapté en s’appuyant sur des leaders d’opinion locaux. « Tout ce qui permet de vacciner quelqu’un est important, mais pour obtenir le plus grand nombre, nous devons le rendre pratique et non effrayant », conclut Maureen Miller, épidémiologiste des maladies infectieuses à l’Université Columbia à New York.
Pour aller plus loin:
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