Les Jeux olympiques, belle occasion manquée de faire la promotion du yuan numérique à l’international

La Chine parie gros sur sa monnaie fiduciaire entièrement digitale et tente d’en rendre l’usage automatique en Chine, tout en séduisant les étrangers de passage. Mais ni l’un ni l’autre de ces objectifs n’est aussi simple à remplir, et les mesures anti-covid strictes font rater au pays une belle occasion de montrer sa réussite sur la scène internationale.

Pourquoi est-ce important ?

La Chine s'est lancée dans une expérience économique inédite qui, depuis, est scrutée par toutes les bourses nationales du monde : le yuan numérique, la première monnaie fiduciaire entièrement digitale, qui n'existe qu'en ligne et qui est directement réglementée par la Banque populaire de Chine (BPC), l'organisme central des finances dans l'Empire du Milieu.

La banque centrale chinoise fait tout pour inciter l’usage de cette monnaie numérique unique au monde, désignée sous l’acronyme e-CNY, en organisant par exemple des loteries. La semaine dernière, la BPC a lancé une application permettant aux utilisateurs de dix régions, dont les grandes villes de Shanghai et de Pékin, de s’inscrire et d’utiliser la monnaie numérique, rapporte CNBC. Mais celle-ci doit encore s’imposer, dans l’usage quotidien des Chinois d’abord, et sur le marché international ensuite.

Des JO en huis clos

Or, pour ce second objectif l’Empire du Milieu, misait sur un événement au retentissement international : les Jeux olympiques d’hiver, qui se tiendront à Pékin du 4 au 20 février prochain. L’occasion de faire venir dans le pays de nombreux sportifs, des délégations étrangères, et de profiter d’un afflux touristique non négligeable. Tant d’étrangers qui pourront découvrir l’usage de cette monnaie digitale utilisable via une application.

Du moins en théorie, car si la banque chinoise a bien déclaré que le e-CNY serait disponible à l’usage des étrangers de passage, ces JO risquent bien de ne pas attirer de foules venues d’ailleurs. L’approche dite « zéro Covid » de la Chine a conduit à des mesures strictes pour tenter d’éradiquer le virus en Chine – ce qui signifie que très peu de visiteurs étrangers assisteront aux Jeux olympiques d’hiver à Pékin. « Même si les autorités chinoises considéraient à l’origine les Jeux olympiques comme une occasion de montrer l’utilisation potentielle de la monnaie dans un contexte international, il est probable que peu de citoyens non chinois utiliseront ce portefeuille numérique lors des Jeux », estime Paul Triolo, responsable géo-technologique au sein de la société de conseil en matière de risques Eurasia Group.

En outre, plusieurs pays, dont les USA, ont annoncé qu’ils boycotteraient cette grande messe du sport en protestation du traitement infligé aux minorités ouïghoures en Chine.

Des applications privées compatibles mais plus pratiques

Quant au marché national, le yuan numérique s’y retrouve confronté… à la concurrence privée. Car si les Chinois sont déjà habitués aux applications bancaires numériques, les deux systèmes de paiement dominants en Chine sont WeChat Pay de Tencent et Alipay, qui est géré par Ant Group, filiale d’Alibaba. WeChat – qui pèse un milliard d’utilisateurs- a bien récemment annoncé que ses services supporteraient le yuan numérique, mais ce n’est pas pour autant que les consommateurs de Chine vont massivement adopter l’application gouvernementale. Pour utiliser WeChat ou Alipay, par exemple, il suffit de lier son compte bancaire à l’application. Mais pour utiliser le yuan numérique, les utilisateurs devront s’inscrire à une application distincte et la relier à leur WeChat ou Alipay ou utiliser l’application de yuan numérique.

« La grande question que nous nous posons est de savoir si les consommateurs vont l’utiliser ou non », s’interroge Linghao Bao, analyste consultant pour Trivium China. « À mon avis, il n’y a pas d’incitation forte pour les consommateurs à faire la transition. Je ne vois pas de forte incitation parce qu’il y a encore des frictions pour utiliser le yuan numérique. Vous devez télécharger l’application, vous inscrire, puis recharger votre portefeuille. Je ne suis pas sûr que les consommateurs veuillent passer par ces étapes supplémentaires ».

On a promis monts et merveilles sur le yuan numérique, comme on l’a aussi présenté comme un signe avant-coureur d’une apocalypse financière, voire d’une arme secrète devant assurer la conquête chinoise de l’économie mondiale. Mais les choses ne sont pas si simples : comme tout outil, le yuan numérique se voit confronté aux dures réalités du terrain, aux imprévus épidémiques, et à l’usage réel qu’en font ses utilisateurs.

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