Les banquiers juniors inversent les rapports de force à Wall Street, s’octroyant ainsi des salaires à 6 chiffres

C’est à cause (ou grâce) à la fuite d’une présentation PowerPoint en mars que les jeunes de Wall Street voient leur salaire augmenter. Pour pallier au manque des jeunes recrues – et compenser les conditions de travail difficiles – c’est dans les salaires que les grandes banques ont vu une solution. Qu’un jeune diplômé en finance gagne aujourd’hui un salaire annuel de 6 chiffres semble être devenu la nouvelle norme.

Pourquoi est-ce important ?

: La confiance croissante dans la reprise économique donne du fil à retordre aux banquiers. Des clients qui auraient pu être hésitants à faire des acquisitions et d'autres opérations au début de la pandémie réclament maintenant l'attention des banquiers. Cela surcharge les banquiers seniors, toujours plus en manque de nouvelles recrues.

Pénurie et fuite d’informations

Les jeunes diplômés qui veulent réussir à Wall Street le savent très bien, pour sécuriser une carrière fructueuse en finance, il faut passer par une institution prestigieuse et faire ses armes pendant au moins deux ans, à raison de 100 heures par semaine. De par leur attrait et prestige, ce sont les institutions bancaires qui se font encenser par les jeunes diplômés. Mais depuis la pandémie et le télétravail obligatoire, les conditions de travail des jeunes banquiers se sont fortement détériorées, rendant ce rythme effréné encore plus insoutenable. D’autant que les transactions ont explosé en 2021, avec 2 300 milliards de dollars d’opérations de fusion et d’acquisition annoncées dans le monde au cours des six premiers mois de l’année. Les banquiers ont du mal à suivre le rythme et la pression monte pour embaucher davantage de nouvelles recrues.

La position dominante que les employeurs exerçaient sur les jeunes travailleurs a d’autant plus basculé en mars, raconte Bloomberg, lorsqu’une présentation PowerPoint décrivant les rigueurs de la vie à Wall Street, notamment les semaines sans sommeil et les demandes incessantes de diaporamas, a fuité depuis les bureaux de Goldman Sachs. Cette information, bien que connue, a fait l’effet d’une bombe dans le secteur, car il était maintenant prouvé, en chiffres et par des internes, que les conditions de travail étaient affolantes.

La surenchère

Les entreprises ont d’abord exprimé leur sympathie, mais en plein cœur d’une pénurie de recrues, les banques ne pouvaient pas se permettre de perdre leur attrait. Elles ont donc trouvé qu’une augmentation salariale suffirait à satisfaire les revendications. En l’espace de quelques mois, le prix à payer pour un jeune diplômé d’université dans une banque de haut niveau a rapidement augmenté, atteignant les 100 000 dollars – sans compter les bonus. Finalement, même Goldman Sachs a cédé, en août, surenchérissant avec des salaires à 110 000 $, reconnaissant ainsi que seul son nom prestigieux ne suffisait pas à s’approprier les meilleures recrues. Pas plus d’une semaine plus tard, ce fût au tour de Evercore Inc. de s’emparer de la pôle position en offrant des salaires de 120 000$. Guggenheim Partners et Bank of America Corp. ont, eux aussi, rejoint la course.

Source: Bloomberg

Cette pratique soulève quelques questionnements

Si l’on ne doute pas qu’une telle augmentation systémique n’engendrera finalement pas une si grande différence sur les bilans d’entreprise, il est tout de même étonnant de voir des patrons aguerris de Wall Street perdre une telle marge de terrain face à des apprentis.

Quant à la question d’augmenter les salaires plutôt que de soulager la charge de travail, Blankfein y répond avec un avertissement. Blankfein a dirigé Goldman Sachs pendant 12 ans en passant par un boom bancaire, un effondrement, puis la reprise. Il dit à ce sujet: « Peu importe la profession vers laquelle un jeune se dirige – le travail acharné et les heures éreintantes sont nécessaires pour apprendre. » Lorsque les emplois recommenceront à être moins sûrs, les anciens responsables seront heureux de s’assurer que les nouveaux venus le savent.

Grâce à ces augmentations, les banquiers débutants sont sur le point de gagner près de cinq fois, voire plus, le salaire médian des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur. En gonflant les salaires dès le départ, les banques risquent d’exacerber l’écart salarial avec les autres secteurs pour les années à venir. Néanmoins, si l’on calcule le salaire d’une heure de travail (en se basant grossièrement sur un salaire annuel de 120 000$ (bonus exclus), et une semaine de 100 heures), celui-ci est de 25$. Libre à chacun de déterminer si cela compense les immenses sacrifices qu’un banquier semble devoir faire.

Il semble finalement que la seule chose plus difficile à négocier qu’un salaire astronomique dans cette industrie du gain, soit le temps libre.

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