‘Le yuan numérique peut aider à renforcer la surveillance et le contrôle de l’État’

La Chine a lancé il y a quelques mois sa propre monnaie numérique. Après 6 ans de développement, des projets pilotes ont été lancés dans 4 grandes villes du pays. Une loterie est même organisée pour gagner des yuans numériques. Mais derrière cette monnaie se cache surtout une nouvelle manière de contrôler la population.

Les yuans numériques n’ont rien à voir avec les cryptomonnaies comme le Bitcoin, qui est indépendant de l’État et qui n’est ni contrôlé ni émis par une seule institution. Le Yuan numérique est au contraire une monnaie digitale créée par la banque centrale (CBDB). Cela signifie qu’elle est gérée par une institution qui appartient à l’État et qui suit les directives financières du gouvernement.

Toutes les transactions sont compilées dans un registre numérique, de sorte qu’il est possible de savoir qui a utilisé quelle somme d’argent à quel endroit. Des données qui sont impossibles à connaitre lors de l’utilisation d’argent liquide. L’État n’a également pas le droit de regard sur les transactions réalisées grâce à un compte dans une banque privée.

Contrôle financier

Pour la Chine, cela a toujours été un problème. Le gouvernement communiste estime que l’absence de données sur les transactions l’empêche de contrôler sa politique financière. L’État s’inquiète surtout du développement des services de paiements de grandes entreprises technologiques comme Alipay du Ant Group ou de WeChat Pay de Tencent. Ils prennent une trop grande place dans l’économie chinoise et risquent, en cas de grosses crises, de la déstabiliser.

‘Le yuan numérique peut aider à renforcer la surveillance et le contrôle de l’État sur l’économie et la société’, a déclaré Frank Xie, professeur de commerce à l’Université de Caroline du Sud, à CNN. ‘Il renforce la centralisation de l’autorité. C’est peut-être la raison fondamentale pour laquelle il a été fortement poussé et précipité par l’État.’

En outre, la Chine voudrait, grâce au Yuan numérique, pouvoir contrôler les sorties de capitaux hors du pays. L’année dernière, ce sont 50 milliards de dollars en cryptomonnaie qui ont été transférés à l’étranger, alors que le pays limite les achats de devise étrangère à 50.000 dollars par an par citoyen. L’utilisation de yuan numérique donnerait un aperçu des fuites de capitaux.

‘Anonymat contrôlé’

À l’heure actuelle, les tests grandeur nature se font dans 4 villes : Shenzhen, Suzhou, Chengdu et Xiong’an. 2 milliards de yuans numériques (environ 252 millions d’euros) sont en circulation. 20 millions de yuans devraient s’y ajouter prochainement grâce à la grande loterie organisée par JD.com. L’entreprise chinoise devient la première plate-forme en ligne à accepter la monnaie numérique pour ses échanges. Pour fêter cela, la banque centrale chinoise offre 100.000 enveloppes de 200 yuans, qui seront distribués via JD Digits, le service financier en ligne de JD.com, explique la CNBC.

La banque centrale affirme que la monnaie présente un ‘anonymat contrôlé’. Cela signifie que les deux parties d’une transaction n’ont pas de données sur l’autre, mais les informations privées restent compilées dans les registres de la banque centrale, qui peut y avoir accès à tout moment.

La Banque centrale européenne voudrait également lancer sa propre monnaie numérique, mais la collecte des données privées est l’un des points de blocage. La BCE a précisé que l’euro numérique serait contrôlé en dernier ressort, mais il est fortement possible que les transactions soient toutes enregistrées dans le livre de la banque centrale. Sa présidente, Christine Lagarde affirme cependant que la protection de la vie privée des utilisateurs était essentielle.

Le Yuan face au Dollar

Si la Chine est l’une des premières banques centrales à développer sa monnaie numérique, ce n’est pas seulement pour le contrôle des transactions financières en Chine. C’est également pour faire face au dollar américain. Si le conflit économique qui les oppose se renforçait, le pays communiste pourrait tout simplement être coupé de la monnaie la plus utilisée au monde. Le dollar représente en effet 88% des règlements internationaux. En outre, le service international de transfert d’argent SWIFT pourrait ne plus être accessible depuis la Chine.

Les particuliers et entreprises pourraient alors utiliser le yuan numérique pour faire leurs achats en dehors du commerce national. Le pays serait alors un peu moins dépendant du système financier américain.

Le gouvernement explique également que le yuan numérique donnera la possibilité aux personnes qui n’ont pas accès à un compte en banque d’utiliser tout de même les services de paiements numériques. Cela concerne, par exemple, la dirigeante de Hong Kong, Carrie Lam, qui selon ses dires s’est vue refusée un compte en banque, le mois dernier, à cause des sanctions américaines. Une solution non négligeable dans une société chinoise utilisant de moins en moins du cash dans ses transactions.

Toutefois, les analystes financiers ont des doutes sur le succès du yuan numérique. En Chine, 800 millions de citoyens, soit plus de la moitié de la population, utilisent déjà des services de paiement mobile comme Alipay et WeChat Pay. Ces outils financiers n’offrent pas les mêmes garanties que la monnaie de la banque centrale, mais ils proposent des services similaires. En outre, ils garantissent beaucoup plus d’anonymat que le yuan numérique, ce qui est un énorme avantage pour des transactions importantes ou pour des virements vers l’étranger.

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