Le plan de mobilité de Bruxelles « Good Move » met Groen et Ecolo sur la défensive, après de vives protestations

Bruxelles panse ses plaies après une soirée agitée à Schaerbeek, où de vives protestations contre le nouveau plan de circulation « Good Move » ont fait deux blessés parmi les policiers et les pompiers. Résultat : Schaerbeek retire une partie du plan controversé. Ce matin, la ministre de la Mobilité, Elke Van den Brandt (Groen), qui a en charge le dossier, a condamné les violences, et s’en est également pris aux autres partis : « Des élus du PTB et du MR étaient présents dans la rue, cela me met en colère. » Les deux partis sont dans l’opposition et protestent vivement contre le nouveau plan de mobilité bruxellois. Mais il y a beaucoup plus : le PS a également supprimé le plan dans certaines parties de la capitale. Après la taxe kilométrique, c’est un autre dossier pour lequel les Verts d’Ecolo et Groen sont diamétralement opposés au PS. Mais les choses se dégradent aussi au niveau du gouvernement wallon pour Ecolo, notamment sur la limitation à 100 kilomètres par heure sur autoroute. Les Verts, déjà en guerre ouverte contre le MR, sont plus que jamais sur la défensive.

Dans l’actualité : Émeutes à Schaerbeek, où les gens démolissent les panneaux de signalisation.

Les détails : le plan Good Moove est temporairement « gelé ».

  • Mercredi dernier, les 19 bourgmestres de Bruxelles ont rejeté le projet de la ministre régionale, Elke Van den Brandt, d’organiser deux journées sans voiture en 2023. Particulièrement révélateur de l’ambiance qui règne dans la capitale en ce moment.
  • Car c’est là que le nouveau plan de mobilité de Van den Brandt et de la coalition bruxelloise – le plan « Good Move » – est mis en œuvre progressivement. Et cela a déjà donné lieu à une foule de débordements et de réactions de colère dans les conseils communaux bruxellois. Mais hier à Schaerbeek, on vient de franchir une nouvelle étape : des scènes de révolte pure et simple, qui ont pris la forme de démolition de panneaux de signalisations auxquels les protagonistes ont bouté le feu, tout en bombardant d’œufs les pompiers qui tentaient d’éteindre l’incendie. Un pompier a ainsi été blessé à l’œil.
  • En deux jours, la manifestation schaerbeekoise a complètement déraillé. Les images d’un soulèvement populaire, avec pas mal de vandalisme et d’incendies criminels, ont atteint les médias nationaux. Et la pression a fonctionné : le conseil communal de la ville est revenu sur une partie du plan de mobilité.
  • Le plan Good Move a très vite été un boulet au pied pour les Verts. Il y a plusieurs semaines, le député bruxellois Juan Benjumea (Groen) s’était gravement blessé, la nuit, en roulant à vélo contre un bloc de béton. Un bloc qui avait été déplacé plus tôt par les opposants au plan de mobilité. Cette anecdote est presque devenue une métaphore de la situation : Ecolo et Groen sont menacés de se casser les dents sur cette question. En effet, la contestation est profonde, notamment dans les quartiers les plus populaires de la capitale.
  • La figure de proue du plan Good Move, le ministre Van den Brandt, a pris la parole ce matin sur Radio 1 pour s’insurger : « C’est une forme de vandalisme qui ne peut être légitimé. Les gens sont très inquiets, mais cela ne légitime pas la violence. Des groupes de personnes profitant d’un mécontentement légitime pour recourir à la violence, nous ne pouvons l’accepter. »
  • Ce faisant, elle s’en est prise à ses collègues qui se trouvaient parmi les militants, mentionnant nommément le PTB et le MR : « Vous avez une responsabilité démocratique, il ne faut jamais que les policiers ou les pompiers soient attaqués. »

La vue d’ensemble : Les attaques viennent de gauche et de droite.

  • Quoi qu’il en soit, il est frappant de voir avec quelle véhémence le PTB s’est jeté sur cette protestation. Dans quasiment toutes les communes, les dirigeants communistes mènent le soulèvement populaire, en utilisant un langage fort : par exemple, le chef de groupe du PTB à Jette a déclaré que « les bobos » en faveur du plan devraient être « bâillonnés » au conseil communal.
  • Auparavant, le parti s’était montré radicalement opposé à la taxe kilométrique dans la capitale – le plan Smart Move – autre cheval de bataille des Verts. Le fait que le parti soit simultanément présent aux manifestations pour le climat, ce week-end, a provoqué des reproches chez les Verts : « Quelle hypocrisie ! Quand on se bat, littéralement, lors d’une manifestation pour les voitures, en pleurant sur le climat quelques jours plus tôt », fustige-t-on.
  • Mais la protestation ne vient pas seulement de la gauche, où le PTB tente de développer un véritable thème pour aller chercher les voix de la communauté musulmane, contre les « riches bobos blancs des quartiers chics » de Bruxelles. Il y a aussi la classe moyenne qui se plaint amèrement. Le Syndicat neutre des indépendants a publié ses « propres recherches » au début du mois, présentant des chiffres selon lesquels pas moins de deux tiers des petites et moyennes entreprises bruxelloises envisagent de quitter Bruxelles, après avoir interrogé 150 commerçants. La fiabilité de ces chiffres reste à démontrer, mais ils ont fait la une de la presse francophone et apportent de l’eau au moulin des opposants.
  • Il en va de même pour le MR, le principal parti d’opposition dans la capitale, qui attaque férocement les Verts : « Cette opposition à Good Move démontre une incompréhension et une colère contre un plan qui n’a pas été préparé et que les Bruxellois ont découvert lors de sa mise en œuvre. Il faut tout remettre à plat et refaire le travail avec les Bruxellois », a répondu la cheffe de file Alexia Bertrand (MR), après les émeutes d’hier.
  • Outre cette tenaille de l’opposition, il existe également un véritable mouvement citoyen actif, qui suscite une résistance très farouche : entre autres, l’association sans but lucratif « Mauto Defense », avec un grand groupe d’adeptes sur Facebook, appelle systématiquement à la « révolte » contre le plan. Et leurs partisans utilisent habilement les pouvoirs fragmentés de Bruxelles : ils se présentent à chaque conseil municipal dans l’un des 19 arrondissements, menant des protestations locales, avec des militants qui ne vivent pas du tout dans cet arrondissement. Et les administrations locales, où souvent Ecolo et Groen sont beaucoup moins dominants qu’au niveau régional, ne sont pas insensibles à un groupe hurlant à leur porte, ou à leur conseil communal.

Et maintenant ? Y aura-t-il un règlement de comptes entre le PS et Ecolo/Groen avant 2024?

  • Comme indiqué, Groen et Ecolo sont à peu près les seuls à défendre sans relâche le plan de mobilité. Ce faisant, ils utilisent comme modèle d’autres grandes villes : Gand, en particulier, est citée à maintes reprises. Car, « là aussi, les protestations ont été vives au début ». Seule et unique différence : là-bas, le conseil communal n’a jamais fait marche arrière pendant sa mise en œuvre, même après des protestations. Le plan a même été adopté avec une certaine obstination, ce qui, des années plus tard, n’a fait que renforcer les gains symboliques de l’écologiste local Filip Watteeuw (Groen).
  • De son côté, Vooruit a réagi via le leader local Hannelore Goeman. Ce dernier a parlé d’une « disgrâce totale » à Schaerbeek. « Arrêtez de détruire nos quartiers. Ce type de violence doit être traité avec sévérité. » Mais en coulisses, l’enthousiasme pour Van den Brandt et les Verts est bien moindre au niveau du gouvernement. C’est un secret de polichinelle que le secrétaire d’État, Pascal Smet (Vooruit), se considère comme l’homme qui a préparé et élaboré bon nombre des plans que les Verts mettent en œuvre aujourd’hui, lors d’une législature précédente. Il voit avec tristesse comment les Verts tentent aujourd’hui de faire passer ses projets pour les leurs de manière insidieuse.
  • Mais il y a plus. Au PS, l’autre grand acteur du pouvoir dans la capitale, on a regardé avec méfiance comment Ecolo et Groen ont pris de l’ampleur en 2019 : les socialistes ont à peine pu se maintenir à la tête du gouvernement bruxellois, avec le ministre-président Rudi Vervoort (PS). Mais après trois ans de législature, un certain nombre de membres du parti socialiste pensent que Vervoort est trop « mou » avec les Verts, leur donnant beaucoup trop de liberté.
  • Le PS a donc fait marche arrière dans plusieurs endroits de la capitale lorsqu’il s’agissait d’appliquer ce qu’il considère comme un « diktat vert ». À Anderlecht, des personnes du PS se sont jointes à la manifestation et ont partiellement inversé le plan. Mais surtout à Koekelberg, où règne le président du PS à Bruxelles, le puissant Ahmed Laaouej, ils ont reçu un signal clair : il n’y a pas de soutien ici. Et justement, le chef de groupe PS au Parlement bruxellois, Ridouane Chahid, patron d’Evere, a déclaré sans détours dans Le Soir « qu’il n’y aura pas, à Evere, de plan de circulation dans l’esprit de Good Move ».
  • Il s’agit d’une lutte de pouvoir interne au sein du PS bruxellois : Philippe Close (PS), en tant que bourgmestre de la capitale, est un fervent partisan du plan. Tout cela mène à la succession de Vervoort : qui reprendra son rôle, et avec quelle coalition ? Il s’agit, pour l’instant, d’un combat qui oppose Close à Laaouej.
  • La position du PS rappelle fortement le dossier de la taxation kilométrique, l’autre grand trophée des verts qui semble, quant à lui, perdu. Toutefois, cette décision figurait dans les plans du gouvernement bruxellois, et Vervoort l’a donc également défendue sur le papier. Mais les protestations ont été vives du côté du PS en Wallonie, et tout autant en Flandre : Vervoort et cie ont dû revoir leurs ambitions, et reporter le plan Smart Move à la prochaine législature. En privé, le PS n’était pas mécontent : il ne voulait vraiment pas « accorder » Ecolo et Groen un tel cadeau.
  • Entre-temps, les plans d’Ecolo au sein du gouvernement wallon semblent connaitre le même sort. Le ministre de la Mobilité, Philippe Henry (Ecolo), y avait préparé une réforme fiscale pour les voitures, qui taxait les voitures les plus polluantes. Mal préparé, et critiqué juridiquement, le plan est enterré conjointement par le MR et le PS, ses partenaires au gouvernement wallon. Et son plan « Air Climat », qui comprend notamment la réduction de la vitesse sur les autoroutes à 100 kilomètres par heure, ne semble pas non plus susciter beaucoup d’enthousiasme.
  • Si les Verts et le MR sont en guerre ouverte sur à peu près tous les dossiers – nucléaire, mobilité, sociétaux – le PS pourrait jouer, discrètement, un vilain tour aux écologistes.
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