Le Pérou suffoque: des citoyens font la file toute la nuit pour acheter de l’oxygène en pénurie

Le Pérou fait actuellement face à une pénurie d’oxygène, une ressource qui s’y négocie désormais à prix d’or alors que le pays est le deuxième le plus touché d’Amérique du sud par la pandémie.

En Amérique latine, on parle beaucoup de la situation au Brésil, le deuxième pays le plus touché au monde par le coronavirus. Mais le cas du Pérou a également de quoi interpeller. Les bonbonnes d’oxygène y sont actuellement en pénurie, une catastrophe qui mène à une spéculation historique sur les prix du gaz médical.

Un ‘crime’, une ‘trahison à la patrie’, commente dans une enquête du Monde Pilar Mazzetti, médecin et présidente du ‘commando Covid-19’ chargé de la lutte contre la pandémie. Le secteur hospitalier souffre énormément de cette pénurie, alors que 10.000 patients sont actuellement alités. Le pays a franchi la barre des 200.000 malades et 5.903 victimes ce jeudi 11 juin.

Selon le président du conseil des ministres, Vicente Zeballos, la demande d’oxygène dans les hôpitaux est de 40 % supérieure à la production disponible. 216 tonnes d’oxygène sont utilisées quotidiennement alors qu’il en manque 136 à l’appel. Un manque qui ne fait qu’augmenter au fil des jours.

L’arbre qui cache la forêt

Ces chiffres ne représenteraient même pas la réalité catastrophique. Selon le porte-parole de la sécurité sociale Essalud, Cesar Chaname, la demande a connu une augmentation exponentielle de ‘500 à 600 %’ depuis le début de la pandémie. ‘Au Pérou, il faut rappeler que les patients ont des comorbidités importantes (obésité, surpoids) et nécessitent de hautes doses d’oxygène, parfois pendant plus de vingt jours’, explique-t-il.

C’est la capitale Lima qui concentre la majorité des patients, avec plus de 70 % des cas de coronavirus recensés. Les chaînes de télévision nationales y montraient la semaine dernière des images presque apocalyptiques, des files d’attente de plusieurs dizaines de mètre se créant devant les fournisseurs d’oxygène. Certains y restent des heures, ou même toute une nuit, pour espérer repartir avec le Saint-Graal. Tous veulent soigner des membres de leur famille malades.

Des dizaines de personnes font la queue pour remplir ou acheter des bonbonnes d’oxygène à Lima, le 3 juin. Face à cette demande massive, des bouteilles de 10 mètres cubes d’oxygène sont vendues à 6.000 soles (1.779 dollars) et des recharges à 50 soles (15 dollars) le mètre cube. (EPA-EFE/Paolo Aguilar)

10 fois plus cher

Évidemment, qui dit demande accrue, dit explosion des prix. Selon le bureau du défenseur des droits, le prix du ballon d’oxygène de 10 mètres cubes coûterait désormais entre 3.500 et 6.000 soles, environ 900 à 1.500 euros. Soit dix fois le prix du gaz médical au début de la pandémie, le 5 mars. Une somme inaccessible pour de nombreux Péruviens qui ont perdu leur emploi, la faute à la crise. Un cercle vicieux dont profite le marché noir, mais qui ne représenterait toutefois ‘que 2 % à 3 % de l’oxygène en circulation’, selon Cesar Chaname.

Dans cette triste affaire, c’est le gouvernement du président Martin Vizcarra qui est pointé du doigt pour ne pas avoir anticipé cette catastrophe. Il a pourtant été informé d’une pénurie à venir le 4 avril, révèle un rapport publié le 6 juin.

Il aura fallu atteindre le 4 juin pour que le gouvernement prennent des mesures d’urgence: requalifier l’oxygène comme un ‘bien public’ et une ‘ressource d’intérêt stratégique’. L’oxygène médical remporte désormais la priorité sur l’oxygène industriel. Des annonces qui restent toutefois bien trop tardives et ‘insuffisantes’, selon le défenseur des droits Walter Gutierrez. Il appelle à l’adoption de ‘mesures contraignantes’.

Les choses ne risquent pas non plus de s’arranger avec la reprise économique. Le Pérou va redémarrer certaines activités stratégiques dès ce mois de juin, qui nécessiteront à leur tour des réserves d’oxygène et empiéteront ainsi sur le secteur de la santé. Le pays a depuis annoncé l’importation de gaz médical de Colombie, Chili et Equateur. Reste à voir si ces déclarations suffiront à rassurer les milliers de patients dans le besoin.

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