Il y a une dizaine de jours, le gouvernement allemand annonçait l’arrivée d’une nouvelle taxe sur le gaz, censée permettre aux importateurs et aux distributeurs de supporter la flambée des prix sur le marché mondial et d’ainsi sécuriser l’approvisionnement du pays. Mais ça ne se passe pas comme prévu : même les entreprises qui n’en ont clairement pas besoin ont bien l’intention d’en tirer profit.
Pour rappel, cette taxe, de 2,4 centimes par kilowattheure, doit entrer en vigueur à partir du 1er octobre prochain et rester d’application (au moins) jusqu’au 1er avril 2024. Applicable tant auprès des entreprises que des particuliers, elle devrait coûter un peu plus de 500 euros supplémentaires (la TVA sur le gaz a été abaissée à 7%) à une famille avec deux enfants, consommant en moyenne 20.000 KWh.
Mais depuis plusieurs jours, les critiques pleuvent. L’opposition estime que ce nouveau prélèvement est totalement injuste. Et la majorité est bien contrainte de l’admettre.
D’une part, cette taxe ferait peser la flambée des prix du gaz sur les consommateurs, et ce sont surtout les plus bas salaires qui la sentiront passer. D’autre part, elle pourrait permettre à certaines entreprises profitant déjà de la crise d’en ressortir encore plus gagnantes.
Pour l’instant, douze entreprises (la liste est disponible ici) ont demandé à profiter de la taxe. Certaines n’ont pourtant aucun problème. On y retrouve par exemple le négociant en énergie Gunvor, basé en Suisse, qui a affiché un bénéfice record de 841 millions de dollars au cours des six premiers mois de l’année. OMV, EWE, VNG et Vitol (entre autres) sont aussi de la partie, alors que leurs derniers résultats financiers montrent qu’ils sont loin d’être mal embarqués. Dans la liste, on retrouve aussi, bien sûr, Uniper et Sefe (le nouveau nom de Gazprom Germania), deux entreprises réellement en difficultés qui ont dû être sauvées par le gouvernement ces derniers mois. Ce sont elles qui, normalement, devraient profiter au maximum du nouveau prélèvement.
Le gouvernement divisé
Au sein de la coalition au pouvoir, on a vite compris que, effectivement, la formule proposée était imparfaite. Dès lors, il faudrait la réviser. Mais chacun n’est pas d’accord sur les solutions à adopter.
Du côté des libéraux-démocrates (FDP), on souhaite que seules les entreprises qui « se retrouvent réellement en difficulté » à cause de la crise puissent profiter cette nouvelle taxe. Chez les écologistes (Grünen), on prône en revanche la création d’un impôt supplémentaire, visant les bénéfices excédentaires des gagnants de la crise.
De chaque côté, on est contre la proposition de l’autre, pour les mêmes motifs. Le FDP pense qu’il ne sera pas possible de mettre en œuvre l’idée des Verts. Quant à ces derniers, ils estiment qu’empêcher certaines entreprises de profiter de la nouvelle taxe sur le gaz est moralement juste mais juridiquement irréalisable car elles devraient tout être sur un même pied d’égalité à ce niveau.
Du côté des sociaux-démocrates (SPD), le parti du chancelier Olaf Scholz, on reste en retrait. On refuserait de se mouiller, se reposant sur le fait que la tâche incombe surtout aux ministres de l’Économie et des Finances, à savoir un écologiste (Robert Habeck) et un libéral-démocrate (Christian Lindner).
« Des entreprises qui ont gagné une fortune se sont engouffrées dans la brèche »
Alors que la parole avait jusqu’ici surtout été prise par d’autres hauts responsables de leur parti, les deux ministres se sont justement exprimés jeudi en fin de journée. Ils savent qu’ils marchent sur des œufs… mais ils campent sur leurs positions.
Interrogé par ZDF, Christian Lindner a reconnu que la formule actuelle n’est pas bonne, déclarant qu’une « mesure de solidarité ne peut pas servir à garantir que les entreprises individuelles maintiennent leurs rendements et en tirent des bénéfices ». Sa solution : une mesure « plus ciblée ». En droite ligne avec ce qui est proposé depuis quelques jours par son parti, donc.
Quant à Robert Habeck, il n’a pas mâché ses mots. S’il a assuré que la taxe en question était « en principe la bonne décision », il a déploré le fait que certaines entreprises se sont « engouffrées » dans la brèche. « Elles ont vraiment gagné beaucoup d’argent et n’ont pas besoin de la contribution de la population », a-t-il déclaré. « Il n’est certainement pas moralement correct que des entreprises qui – permettez-moi de le dire franchement – ont gagné une fortune, disent ensuite : ‘oui, et pour les quelques pertes de revenus que nous avons, nous demandons l’aide de la population, qui doit aussi nous donner de l’argent' ».
Dénoncer cela, c’est une chose, régler le problème, c’en est une autre. Car Robert Habeck qu’il restait un obstacle « relativement élevé » à franchir : éviter les poursuites qui surviendraient en cas de modification de la taxe. Et purement et simplement supprimer la taxe (c’est le désir des chrétiens-démocrates, dans l’opposition) n’est pas une solution, selon lui. Car le problème initial reviendrait alors à la figure de l’Allemagne: « Certaines entreprises et certains citoyens connaîtront un effondrement de l’approvisionnement en gaz. »
Avec cette nouvelle taxe sur le gaz, le gouvernement allemand semble s’être créé son propre casse-tête, qui lui promet bien des maux de crâne dans les jours à venir. Petite épine hors de son pied tout de même : RWE, initialement candidate, a annoncé que, finalement, elle ne prétendrait à profiter du prélèvement. Il faut dire que le géant allemand n’est pas à plaindre. La flambée des prix a dopé ses profits : au premier semestre, elle a affiché un résultat opérationnel (Ebitda) de 2,8 milliards d’euros. Le groupe vise les 5,5 milliards sur l’année.