Comment la hausse « dovish » des taux de la BCE signale la fin d’une ère

Au cours des dix-huit derniers mois, la Banque centrale européenne (BCE) a orchestré une série d’augmentations de taux d’intérêt rapides et radicales. Depuis le début de l’année, elle a également commencé à réduire graduellement ses achats de dette souveraine. Les pays dépendent donc plus que jamais des investisseurs individuels pour financer leur dette publique, une stratégie qui a réussi, comme le montre l’exemple de la Belgique. Mais quelles seront les conséquences à long terme ?

Le vocabulaire des analystes financiers ressemble parfois étrangement à celui des ornithologues. Les « faucons » désignent les décideurs favorables à une politique monétaire rigoureuse pour maîtriser l’inflation, tandis que les « colombes » préconisent une politique monétaire plus souple pour stimuler la croissance économique. Une hausse du taux directeur de la BCE est typiquement une action de « faucon » : emprunter à la BCE devient plus onéreux pour les banques (et, par extension, pour les citoyens et les entreprises), ce qui ralentit l’économie et freine l’augmentation générale des prix.

Toutefois, la récente hausse des taux de la BCE marque une rupture. Certes, les taux ont augmenté pour la dixième fois en un an et demi, mais Christine Lagarde, la présidente de la BCE, a également indiqué qu’il ne fallait plus s’attendre à de fortes hausses des taux à l’avenir. Le niveau actuel devrait suffire pour contrôler l’inflation. Une augmentation excessive des taux comporte en effet le risque d’une récession économique. Il s’agit donc d’une action « faucon » assortie d’une explication « colombe ».

Ruée sur les bons d’État

Ceci marque un autre signe que la BCE est en train de normaliser sa politique. Traditionnellement, une banque centrale agit en arrière-plan de l’économie : lorsque la liquidité est nécessaire, le taux directeur peut être ajusté à la hausse ou à la baisse, mais dans l’idéal, il demeure stable. Toutefois, depuis la crise financière de 2008, cette tendance a changé. Non seulement les taux ont été maintenus à des niveaux artificiellement bas pendant longtemps, mais la BCE a également utilisé l’assouplissement quantitatif comme nouvel outil pour injecter des liquidités et de la confiance dans l’économie, notamment par des achats massifs d’obligations, y compris de la dette publique.

Depuis le début de l’année, la BCE a progressivement mis un frein à cette politique d’assouplissement quantitatif. Les pays sont donc contraints de proposer des offres plus attractives pour trouver des acheteurs alternatifs pour leur dette. Récemment, la Belgique a ainsi émis un bon d’État à court terme avec un rendement record de 2,81 %, qui a généré pas moins de 22 milliards d’euros. L’Italie et la Grèce ont réussi des émissions similaires. À travers l’Europe, les banquiers constatent une affluence inédite de clients désireux d’investir dans les obligations d’État, effaçant leur image autrefois terne et ennuyeuse.

Une responsabilité partagée

Ce changement de cap de la BCE intervient alors que de nombreux États membres de l’Union européenne cherchent à refinancer une dette qui a explosé en raison des mesures de soutien pendant la crise du COVID-19 et, plus récemment, pendant la crise énergétique. La question se pose donc de savoir si le recours à des investisseurs privés sera suffisant à long terme pour compenser la baisse de la demande de la BCE en matière d’obligations d’État.

D’une part, il reste à voir si la demande des investisseurs pour les bons d’Etat restera élevée. Bien que le dernier bon d’Etat belge ait été accueilli avec enthousiasme, les nouveaux équilibres entre l’offre et la demande pourraient peser sur les taux d’intérêt, surtout pour les pays moins solvables.

D’autre part, il ne faut pas oublier que la réduction de l’assouplissement quantitatif retire également un soutien monétaire important à l’économie. Les politiques gouvernementales ne devraient donc pas entraver le rôle que jouent les banques dans le financement des entreprises et des citoyens. Une collaboration harmonieuse entre le système bancaire privé et les mesures gouvernementales sera nécessaire pour relever les défis économiques à venir.


Cet article est une opinion de Marc Danneels, directeur des investissements chez Beobank.

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