La demande d’une pause dans les normes environnementales d’Alexander De Croo ulcère les écologistes : vers une crise gouvernementale ?

Dans la prolongation de son discours à Berlin, lundi, pour un « European Industrial Deal », Alexander De Croo a enclenché la deuxième, hier soir, sur Terzake (VRT). Comme Emmanuel Macron, il demande qu’on ne mène pas trop de combats environnementaux à la fois. Les écologistes n’en croient pas leurs yeux.

Dans l’actu : Alexander De Croo précise sa pensée autour de « l’European Industrial Deal ».

  • Lundi, en Allemagne, devant des entrepreneurs allemands, De Croo a plaidé pour un « European Industrial Deal » aux côtés du « Green Deal », l’énorme plan européen visant à attirer les investissements pour la transition énergétique et atteindre la neutralité carbone en 2050.
  • Mais hier soir, Alexander De Croo a jeté un pavé dans la mare sur la VRT. Pour le Premier ministre, « il faut faire un choix. Est-ce bien le moment de tout faire en même temps ? », s’interroge-t-il, à propos de la lutte contre les émissions de CO2, combinée à la restauration de la biodiversité ou au renforcement des règles en matière d’azote. Ce dernier point est un dossier très épineux dans le nord du pays, qui a presque fait chuter le gouvernement flamand.
  • « C’est pourquoi je demande à ce que l’on appuie sur pause. N’allons pas trop loin avec des choses qui, au sens strict, n’ont rien à voir avec le réchauffement climatique. Ces autres sujets sont aussi importants, mais ils doivent être davantage étendus dans le temps », suggère le Premier ministre.
  • Par cette proposition, il rejoint le président français Emmanuel Macron, qui demandait, le 11 mai dernier, « d’accélérer la réindustrialisation » française et européenne, en ne se mettant pas une charge environnementale supplémentaire sur le dos : « On est devant les Américains, les Chinois ou toute autre puissance au monde. On s’est donné les objectifs 2030 et 2050 pour décarboner, réduire les phytos, etc. J’appelle à la pause réglementaire européenne. Maintenant, il faut qu’on exécute. Il ne faut pas qu’on fasse de nouveaux changements de règles parce qu’on va perdre tous les acteurs. »

Les réactions : les partenaires bouche bée, l’opposition surprise.

  • L’appel du Premier ministre a suscité une pluie de réactions, surtout parmi le partenaire écologiste, totalement déconcerté. « Par où commencer… je ne sais même pas du coup. Juste : ce n’est pas la position du gouvernement fédéral », a immédiatement tweeté la ministre du Climat Zakia Khattabi (Ecolo).
  • Jean-Marc Nollet, coprésident d’Ecolo, peinait également à trouver les mots : « Les déclarations d’Alexander De Croo sont hallucinantes. Je n’ai pas d’autre mot. L’érosion de la biodiversité est aussi préoccupante que le dérèglement climatique. »
  • Du côté de Groen, Nadia Naji, ne reconnaissait pas la Vivaldi dans les mots du libéral : « Il y a peut-être de la place pour les climatosceptiques à la table du gouvernement flamand, pas au sein de la Vivaldi. »
  • Pour le président des socialistes, Paul Magnette (PS), De Croo trahit l’accord de gouvernement : « Une fois de plus, le Premier ministre ne respecte pas son propre accord de gouvernement. Nous n’atteignons pas nos objectifs climatiques. Ce n’est donc pas une pause qu’il faut, mais une accélération ! »
  • Du côté de l’opposition et de la ministre flamande du Climat, Zuhal Démir, qui avait elle aussi lancé un appel pour une pause dans les normes, on s’est dit « surprise » par « le virage fédéral » qui est « une bonne chose » mais « insuffisant ».
  • Tranchant, le président de DéFI François Desmet achevait le Premier ministre et la Vivaldi : « Ce discours est-il si étonnant ? Jamais un gouvernement n’a autant sponsorisé les énergies fossiles. Jamais notre politique énergétique n’a été aussi erratique. Jamais on n’a vu un leadership climatique aussi faible. Sept partis, mais aucune vision climatique. Dramatique. »

Le contexte : le Premier ministre se mue en libéral de l’Open VLD.

  • Parmi les réactions des partenaires, une constante, sans doute bien résumée par Rajae Maouane (Ecolo) : « Les propos de ce représentant de l’Open Vld sont très étonnants. Vivement que le Premier ministre réagisse et rappelle le positionnement du gouvernement. »
  • C’est toute l’ambigüité qui touche la fonction du Premier ministre à un certain moment, comme nous l’analysions hier : à quel moment de la législature faut-il reprendre sa casquette de parti ? De plus en plus d’indices laissent penser que ce moment est venu pour Alexander De Croo.
  • Le congrès du parti, il y a deux semaines, l’avait en partie montré, De Croo faisant une sortie sur la limitation du chômage dans le temps, qui avait ulcéré ses partenaires socialistes.
  • En Allemagne, lundi, De Croo a également rendu un vibrant hommage au nucléaire, ce qu’on n’avait jamais entendu de sa bouche de toute la législature.
  • De Croo se positionne, lui aussi, pour les prochaines élections, avec une stratégie déjà clairement établie : un discours positiviste et volontariste face au pessimisme immodéré de l’opposition. Cela vaut sans doute aussi en matière industrielle, vis-à-vis de ses partenaires : ne comptez pas sur De Croo pour défendre la décroissance.

L’essentiel : la Vivaldi va-t-elle connaitre une crise gouvernementale de plus ? « De Croo devra choisir, gouverner ou faire campagne ».

  • Depuis hier soir, les réactions des Verts vont crescendo : d’abord sans voix, ils mettent maintenant clairement en cause la position du Premier ministre. La question est de savoir jusqu’où ils vont aller ? Jusqu’à retirer la prise ? Les Verts ont tellement avalé de couleuvres sous cette législature que le vase est déjà bien plein.
  • En chute libre dans les sondages, il reste à voir si être tenu pour responsable de la chute du gouvernement est un calcul judicieux. Mais les écologistes doivent aussi pouvoir regarder leur base dans les yeux : quid d’un gouvernement qui renoue avec le nucléaire, qui augmente considérablement les achats en matière de défense et qui, désormais, veut sélectionner à la carte son combat environnemental.
  • Du côté de Vooruit, on s’étonne surtout de la tactique du Premier ministre. « Le Premier ministre va devoir choisir. Veut-il encore gouverner ? Ou se contente-t-il de faire campagne ? Il aura besoin de la première option pour continuer à faire la seconde de manière crédible », note un socialiste flamand.
  • Au PS aussi, on fait cette analyse : « Alexander est bien trop intelligent pour ne pas avoir fait exprès de provoquer un clash. Mais à quoi cela sert-il ? », se demande-t-on. En tout cas, les sondages ne sont pas défavorables aux socialistes. Ils peuvent se permettre un clash et même des élections. Jouer au poker est donc possible. Du côté de la droite flamande de la Vivaldi, les cartes sont différentes : l’Open Vld et le cd&v font des scores horribles.
  • Chez les bleus, un bureau de parti houleux a éclaté lundi devant les scores faméliques des sondages. Ceci expliquant peut-être cela : De Croo opère sa mue. Et désormais, on serre les rangs derrière le Premier ministre :
    • Le vice-président Jasper Pillen (Open Vld) a déclaré « qu’au lieu de s’enflammer, les dirigeants écologistes feraient mieux de réfléchir attentivement à la déclaration du Premier ministre De Croo ». Il a qualifié Nollet de « dogmatique et hallucinatoire ».
    • L’ancienne présidente Gwendolyn Rutten (Open Vld) a également apporté son soutien à De Croo : « Plus les Verts poussent des cris et plus ils répondent de manière déraisonnable à des questions et préoccupations légitimes, plus la Flandre sait que De Croo a raison ».
  • Au cd&v, qui a depuis longtemps choisi la carte de l’agriculture (intensive), on se rallie à la ligne de De Croo, que le ministre flamand de l’Agriculture Jo Bourns (cd&v) soutient « sans réserve ». « Le bon sens paysan nous mènera plus loin que des plans idéologiques qui n’ont pas été confrontés à la réalité », a-t-il déclaré.
  • Reste que la sortie de De Croo répond surtout à un débat régional et européen. Elle se fait dans le cadre d’un nouveau plan pour la restauration de la nature et d’une nouvelle loi sur les pesticides défendus par le commissaire européen Frans Timmermans : la Flandre s’est déjà prononcée contre, la Wallonie et Bruxelles pour, la Belgique fédérale, elle, pourrait s’abstenir si une position commune n’est pas trouvée. De nombreux autres Etats membres ne sont eux non plus pas prêts à suivre les propositions du commissaire.

En gros, De Croo n’engage pas vraiment la responsabilité de son gouvernement sur cette question. Il ne sera donc à aucun moment question de vie ou de mort. Par contre, De Croo saisit cette occasion pour redorer le blason bleu de l’Open VLD, qui est sous pression. Enfin, le Premier ministre montre le chemin que mènera son parti durant la campagne électorale.

Ailleurs : un nombre record d’infractions au code de la route en Belgique. Et la Flandre semble vouloir en faire plus que la Wallonie ou Bruxelles.

  • 510 000 infractions au code de la route par mois, pour un total annuel de plus de six millions. La grande majorité de ces infractions, soit 71 %, ont été constatées en Flandre, 22,3 % en Wallonie et seulement 6,5 % à Bruxelles. En décembre, on savait déjà que la Flandre, plus que les autres Entités fédérées, consacrait davantage d’efforts aux contrôles : 155 contrôles actifs en Flandre, contre seulement 25 en Wallonie.
  • Des chiffres choquants, estime le député fédéral Joris Vandenbroucke (Vooruit). « Ils prouvent une fois de plus que les politiciens wallons ne s’intéressent pas à l’amélioration de la sécurité routière. Pourtant, aucune autre région européenne ne fait aussi mal en matière de sécurité routière, à l’exception de quelques régions isolées de Pologne et de Roumanie. Le taux de mortalité en Wallonie est presque le double de celui de la Flandre », a-t-il déclaré à De Standaard.
  • La ministre wallonne de la sécurité routière, Valérie De Bue (MR), répond aux critiques formulées ces derniers mois à l’encontre de sa politique. Selon son cabinet, les Wallons « améliorent effectivement la sécurité routière de manière drastique, grâce aux radars supplémentaires et aux contrôles routiers ». Selon son porte-parole, la Wallonie compte 30 contrôles routiers, un nombre qui devrait être doublé d’ici à la fin 2023. La région installe également 100 radars supplémentaires chaque année.
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