« Le début de la fin pour le Premier ministre » : Alexandre De Croo a mis étonnamment le feu aux poudres d’un 1er mai sous haute tension

Rien ne va plus entre les socialistes et les libéraux, au sein de la coalition Vivaldi. Le Premier ministre a lancé un week-end d’hostilités entre les rouges et les bleus. Alexander De Croo voulait absolument répondre à Conner Rousseau (Vooruit), mais aussi contrarier le PS et Ecolo avec cette revendication éprouvée de limiter les allocations de chômage dans le temps. À Charleroi, Paul Magnette (PS) a vu rouge un jour plus tard : « Quand on est Premier ministre, on n’attaque pas les partenaires de la coalition. Quand on est Premier ministre, on respecte l’accord de coalition », a-t-il fulminé. Entre-temps, la colère des socialistes face à l’attitude du Premier ministre reste vive : « Veut-il faire quelque chose, ou juste une année de campagne supplémentaire ? », s’interroge-t-on à propos des retraites et de la réforme fiscale. Ce matin, Georges-Louis Bouchez a encore mis de l’huile sur le feu : « Le PS n’est plus un parti sérieux, c’est un parti avec des discours vides de sens. » Mais les socialistes répondent aux libéraux cyniquement : « Et avec qui les libéraux feront-ils une coalition après les élections ? Oui, avec nous. »

Dans l’actualité : Tout le monde célèbre son 1er mai.

Les détails : Aujourd’hui, tous les partis veulent absolument faire passer un message au 1er mai. Seul le cd&v s’est retenu. Mais cette inflation des discours et des propositions sur le « travail » a mis le feu aux poudres au sein de la coalition fédérale.

L’action : le Premier ministre De Croo passe lui-même à l’attaque.

  • Un Premier ministre détendu, sans costume ni cravate, mais en chemise blanche, avec une brise dans les cheveux, a entamé les hostilités avec la locale libérale de Blankenberge. Tous les libéraux flamands se sont réunis dimanche soir, la veille du 1er mai.
  • Tant le Premier ministre que son vice-premier Vincent Van Quickenborne (Open Vld) se sont rendus dans la station balnéaire. Ce n’est pas une coïncidence : De Croo est venu y faire un discours fort. C’est là, plus d’un an avant les élections, que le Premier ministre a fait sa mue pour devenir un véritable directeur de campagne :
    • « Je sais que certains disent : ‘Le 1er mai appartient aux socialistes. Aux rouges. Ne vous en mêlez pas’. Mais ce n’est pas vrai. Au regret de ceux qui le revendiquent, le 1er mai est aussi une tradition libérale. »
    • « Nous sommes le parti des travailleurs. Cela signifie que nous devons veiller à ce qu’il reste toujours plus aux personnes qui travaillent qu’à celles qui ne travaillent pas. Pour moi, cela devrait être la priorité de la réforme fiscale ».
    • « Les personnes qui perçoivent un salaire de subsistance bénéficient d’une liste de tarifs sociaux : sur l’énergie, chez le médecin, pour le loyer, la garde d’enfants. Tout ce que vous voulez, vous pouvez l’obtenir en bénéficiant d’un rabais substantiel. La seule condition est de ne pas travailler. Toutes ces concessions sont une grande toile d’araignée qui piège les gens pour qu’ils n’aillent pas travailler. C’est une politique antisociale ».
    • « J’entends également que d’autres partis estiment que le chômage sans fin n’est plus acceptable. Je suggère donc que nous commencions à soumettre cette question au gouvernement dans les semaines à venir », a-t-il ajouté en faisant référence aux socialistes flamands.

La réaction : Paul Magnette (PS) riposte vigoureusement.

  • La relation amour-haine entre le PS et l’Open Vld est depuis longtemps une relation où l’amour fait de plus en plus défaut. Il est loin le temps où Magnette et De Croo se tenaient sur les marches du Palais d’Egmont au début de la Vivaldi, s’auto-congratulaient et « rompaient avec les précédents gouvernements des disputes ».
  • Au contraire, l’agacement face à la manière dont l’Open Vld utilise la fonction de Premier ministre et le kern pour définir son programme et pousser le PS sur la défensive, est vigoureux au boulevard de l’Empereur, le siège du PS. À cela s’ajoute la manière souvent brutale avec laquelle De Croo et Van Quickenborne traitent les ministres socialistes francophones lors des derniers conclaves budgétaires. À plusieurs reprises, Magnette a déclaré publiquement « que la méthode De Croo n’est pas bonne » : le PS est plus que fatigué par « les intimidations et les cris ».
  • Depuis décembre de l’année dernière, ce sentiment est allé crescendo : au sein du PS, le sentiment est que le Premier ministre a été largement responsable du licenciement de la secrétaire d’Etat Eva De Bleeker (Open Vld), et qu’il a personnellement déclenché une guerre avec les socialistes sur les pensions pour détourner l’attention de son échec. Le fait que leur ministre des pensions, Karine Lalieux (PS), ait été sévèrement mise en difficulté a contraint Magnette à qualifier soudainement le kern de « lieu de travail hostile aux femmes ».
  • À l’Eden de Charleroi, lundi, l’espace était trop exigu pour laisser entrer tous les militants du PS. Magnette y a parlé un langage de guerre assez systématique chez lui et a tracé une ligne rouge ferme sur la limitation du chômage dans le temps :
    • « Nous assistons à une grande offensive. Le Premier ministre l’a commencée hier en disant que le problème, ce sont les chômeurs. C’est digne d’un leader de la droite flamande, pas d’un Premier ministre ».
    • « Un Premier ministre n’attaque pas ses partenaires, il se met juste au-dessus de la mêlée et défend l’intérêt général, n’oppose pas les travailleurs aux chômeurs et respecte l’accord de coalition ! »
    • « La limitation des allocations n’est pas dans cet accord de coalition. Nous n’en discuterons donc pas, punt aan de lijn. Non, si on veut rendre le travail attractif, il faut augmenter les salaires et financer l’opération en faisant contribuer les plus riches. »
    • « La droite et l’intelligentsia s’attaquent aux malades, aux handicapés, aux retraités et aux chômeurs… Nous, socialistes, avons augmenté les pensions et les prestations sociales, et nous en sommes fiers. La grande bataille qui s’annonce est celle de la justice fiscale ».

Et pour couronner le tout : Georges-Louis Bouchez (MR) en rajoute une couche.

  • Ce week-end encore, le MR a convoqué tout le monde pour sa fête du 1er mai à Tour & Taxis, à Bruxelles. Bouchez y a prôné son slogan favori « taxer moins pour gagner plus » : le vieux mantra libéral des baisses d’impôts.
  • « Défendre la solidarité, c’est différent de défendre les allocations. Si on veut défendre la solidarité, il faut baisser les impôts et défendre tous ceux qui font l’effort de se lever le matin pour aller travailler », a appuyé Bouchez.
  • Sophie Wilmès (MR) était l’autre grande protagoniste de la journée. Elle faisait sa réapparition publique après avoir démissionné du gouvernement fédéral pour s’occuper de son époux, malade. Plus d’un an plus tard, Sophie Wilmès reste la femme politique la plus populaire en Belgique francophone. Dans un discours estampillé bleu foncé, elle a apporté son soutien à Bouchez et a annoncé qu’elle établirait la liste à Bruxelles pour la Chambre l’année prochaine.
  • Ce sera un exercice intéressant, car l’actuelle ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib (MR), qui est devenue très rapidement populaire, devrait également figurer sur cette liste. L’Open Vld espère aussi une coopération avec Alexia Bertrand (Open Vld, ex-MR) pour obtenir une place sur une liste commune MR-Open Vld. Mais Wilmès en veut-elle à la libérale flamande ? Cela reste à voir.
  • Comme si les escarmouches de ces derniers jours ne suffisaient pas, Bouchez s’est à nouveau emporté sur LN24 ce matin. Il a notamment remis en question les prochains points importants de l’agenda de la Vivaldi :
    • Il a tenté de complètement ridiculiser le slogan « taxer les riches » utilisé par Magnette et Raoul Hedebouw (PTB), à l’occasion du 1er mai : « Je suis aussi contre la guerre et pour la paix. L’eau, ça mouille et le feu, ça brûle. Mais j’aimerais parler de montants. À partir de quand les socialistes veulent-ils taxer plus ? »
    • « Nous sommes déjà le pays où les impôts sont les plus élevés au monde. Le PS et Ecolo importent des slogans des Etats-Unis, ici, dans le pays le plus égalitaire et le plus taxé de la planète. »
    • « Que le PS regarde comment ça se passe en Chine ou au Venezuela, les pays qui sont la référence de leur nouvelle boussole, Raoul Hedebouw. Le PS n’est plus un parti sérieux, avec des discours vides de sens. »
    • “Le problème de ce parti est qu’il ne défend que les travailleurs sans emploi en oubliant tous les autres”, a-t-il encore poursuivi.
    • « Quatre formations politiques sur sept évoquent une réforme du travail et du chômage. Seul le PS, avec Ecolo comme appendice, bloque cette réforme. Ces deux partis sont identiques. Pour le PS, le chômage est devenu ce que le nucléaire est pour les verts. Ils savent que c’est inéluctable, mais ils ne font rien pour des raisons populistes.”
    • Les réformes ? « Tout est lié. Les socialistes bloquent le gouvernement. Tant qu’il n’y aura pas de réforme du marché du travail, il n’y aura pas de réforme des pensions ou de la fiscalité. Le parti socialiste, c’est le maître du blocage ».

L’essentiel : la Vivaldi panse donc ses plaies, tout en disposant d’une semaine pour faire retomber la poussière.

  • Est-ce parce que l’équipe fédérale est en vacances pendant une semaine que les choses se sont envenimées de cette manière ? Le fait est qu’avec la fin des vacances de Pâques dans l’enseignement flamand et le début des vacances dans l’enseignement francophone, une autre « période de repos » est soudainement arrivée, rue de la Loi : lors de la première semaine des vacances francophones, à partir du 1er mai, le niveau fédéral est à nouveau en congé. Le parlement ne se réunit pas et le travail gouvernemental est mis en veilleuse. Une conséquence politique absurde de la modification du calendrier scolaire du côté francophone.
  • Le repos sera toutefois bien nécessaire pour calmer les esprits. Car avant même les hostilités, plusieurs membres du gouvernement mettaient en garde contre l’escalade des mots, devant la difficulté de la tâche à venir.
  • Le fait que l’Open Vld n’ait pas parlé via son président Egbert Lachaert mais ait envoyé De Croo dans les tranchées n’est certainement pas passé inaperçu. « Après 44 ans, De Croo découvre soudainement le 1er mai. Mais va-t-il faire un discours lui-même ? Et répondre aux présidents de parti ? Déjà ? », se questionnait un partenaire de la coalition.
  • Les propositions de Rousseau visant à obliger les chômeurs à reprendre un emploi après deux ans s’adressaient principalement au niveau flamand : « C’était à Jan Jambon (N-VA) de répondre et d’expliquer pourquoi le VDAB restait si timide. C’est là qu’il voulait faire pression, et non sur De Croo et le fédéral », ce que les socialistes francophones n’ont visiblement pas compris non plus, en s’attaquant au président de Vooruit, le parti frère.
  • Mais le timing choisi par le Premier ministre, à plus d’un an des élections, a également inquiété plusieurs autres personnalités au sein de la Vivaldi : « C’est le début de la fin du Premier ministre. Lorsque vous entrez en conflit comme cela, vous ne pouvez plus parvenir à un consensus. Vous revenez alors à la tête d’un parti », a fait remarquer un éminent Vivaldiste.
  • « Il ne veut donc plus de réforme fiscale ? Et plus d’intervention majeure dans les pensions non plus ? Cette façon de faire ne vous mènera de toute façon nulle part », a déclaré un vice-premier ministre.
  • Chez les socialistes eux-mêmes, l’analyse est très sèche. « De Croo veut-il encore faire quelque chose ? Ou veut-il passer une année entière à faire campagne ? Pour faire quoi ensuite ? Former un nouveau gouvernement avec… des socialistes. »