La croissance américaine fonce-t-elle droit dans un mur? Un voyant symbolique de la récession est dans le rouge

La courbe des taux de rendement des obligations à deux et à dix ans est sur le point de s’inverser – un signe précurseur historique de la récession. La Fed s’apprête à augmenter ses taux d’intérêt de 0,5 point de pour cent – un coup de frein à la relance post-covid, et donc à la croissance? Ces éléments planent comme un nuage noir sur l’économie américaine, mais le marché du travail pour l’heure tourne encore à plein régime.

Ce lundi, un indicateur important, suivi de près par le marché, est en passe de finalement passer au rouge : la courbe de rendement sur les obligations d’Etat est à 0,18 points de pour cent de s’inverser. C’est-à-dire que le taux de rendement sur les obligations à 10 ans sera moins élevé que celui sur les obligations à deux ans. En d’autres mots, les investisseurs voient moins d’opportunités économiques à long terme, et sont plus nerveux quant au court terme.

En général, le taux à deux ans est moins élevé, car les événements qui auront un impact sur l’économie sont plus prévisibles que sur dix ans. Un investissement sur dix ans comporte plus de risques, en soi – même si les obligations de l’Etat américain sont assez sûres. Donc les investisseurs estiment qu’il y a actuellement plus de risques à court terme qu’à long terme.

Depuis plusieurs semaines, la différence s’amenuise. Et cet indicateur est particulièrement craint, car presque à chaque fois que la courbe s’est inversée, la récession a suivi. Après les récentes déclarations de Mohamed el-Erian, et celles de Carl Icahn, parmi d’autres voix écoutées dans le monde économique, cet indicateur vient donc renforcer l’idée que l’économie se dirige tout droit vers la récession.

0,5 points de base sur les taux d’intérêt : la Fed ne fait pas de cadeaux

La récession, en deux mots, est la chute du PIB pendant deux trimestres consécutifs. Depuis la fin de la première vague de coronavirus et les confinements mondiaux, l’économie est cependant en pleine relance. Grâce aux taux d’intérêts quasi nuls, les entreprises avaient accès à de l’argent « gratuit », ce qui a permis de faire augmenter la croissance, de manière continue.

Mais dans un contexte de crise des prix de l’énergie, l’inflation bat des records depuis plusieurs mois. Cela est un risque pour l’économie, car les prix élevés peuvent freiner la consommation, et grappiller les bénéfices des entreprises, et donc freiner ou réduire la croissance.

Cependant, la Réserve fédérale, ou Fed, a une arme en main pour freiner l’inflation : l’augmentation des taux d’intérêts. Il y a deux semaines, elle a effectivement augmenté le taux d’intérêt directeur, de 0,25 points de base (ou points de pour cent). Mais désormais, elle tablerait sur 0,5 points de base, lors de la prochaine réunion (le 3 et 4 mai), et ce taux pourrait être appliqué à six reprises durant le reste de l’année.

Une telle augmentation fait cependant peur aux entreprises. Prêter de l’argent coûtera beaucoup plus cher, et une telle augmentation est considérée comme un véritable coup de frein à main dans la relance post-covid. Ces deux éléments (un resserrement sec de la Fed, et l’inversement de la courbe des taux de rendement sur les obligations) sont donc des nuages noirs qui planent actuellement sur l’économie américaine.

Tout n’est pas noir

D’un autre côté, des signes positifs persistent encore. Le marché du travail reste en position de force, et les données du mois de mars devraient venir conforter cette tendance, rapporte le média The Streets. Les entreprises recrutent massivement, car il y a une pénurie de main-d’oeuvre, et le taux de chômage est bas. Lors de la conférence de presse de la Fed, pour la récente hausse des taux d’intérêt, le président de l’institution Jerome Powell a maintes fois réitéré que le marché de l’emploi était en position de force, et que donc l’économie supporterait les hausses, et qu’au final l’inflation passera sans trop de dégâts. A voir cependant, si nous basculons dans la récession, si les entreprises pourront continuer à embaucher de la sorte, ou si elles devront réduire la voilure car moins de fonds seront disponibles.

D’autres voix non plus ne déclarent pas la récession de sitôt. « Il est très difficile d’imaginer pourquoi le secteur privé se sentirait contraint par un taux d’intérêt d’environ 2% d’ici la fin de l’année de réduire ses dépenses au point de faire basculer l’économie dans la récession », explique Ian Shepherdson de Pantheon Macroecnomics à The Streets. Mais certains pans de l’économie pourraient avoir plus de mal. « Nous nous attendons à une chute brutale de l’activité du marché immobilier au cours des prochains mois, les acheteurs potentiels réagissant à la détérioration massive de l’accessibilité financière au cours des derniers mois. »

Jeffrey Roach, économiste pour LPL Financial, s’attend également à une suite positive. « Nous pensons toujours qu’une croissance supérieure à la tendance est très probable en 2022 et que les risques de récession restent faibles, même s’ils ont augmenté », estime-t-il. Il se base notamment sur les dépenses des consommateurs, toujours fortes même si en baisse. Les impacts réels de l’invasion ne se retrouvent pas encore dans les données économiques, continue-t-il. Mais en mars tout de même, les paiements via carte de crédit par exemple sont déjà en baisse, « pouvant indiquer une baisse de la croissance et la lourde charge que représente la hausse des prix pour les consommateurs ».

Au final, le mot d’ordre sera sans doute « attendre et voir ». La période actuelle est également marquée par un climat général d’incertitude, ce qui joue également sur les perspectives économiques.

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