La Chine se détache du modèle de la Silicon Valley: ce que cache la répression contre ses fleurons technologiques

Depuis des mois maintenant, Pékin a opéré un tournant. Laisser des sociétés tentaculaires faire la loi, c’est terminé. À l’instar des GAFAM, certaines sociétés chinoises deviennent tellement imposantes qu’elles pensent se situer au-dessus du Parti communiste chinois (PCC). Grave erreur?

Pourquoi est-ce important ?

Depuis la fin des années 90, la Chine a comme modèle la Silicon Valley en ce qui concerne ses géants technologiques. Un modèle de réussite qui montre aujourd'hui ses limites en Occident: une situation de monopole, une richesse qui dépasse largement certains États, et en fin de compte, des entreprises qu'il devient très compliqué de contrôler. La Chine ne compte pas tomber dans le même piège vis-à-vis de ses Big Tech, particulièrement celles qui vont voir ailleurs pour être côtées en bourse au Nasdaq. C'est le principal enjeu de la vague de pressions et de régulations qui émane de Pékin.

Les premières victimes

  • Tout a commencé en octobre dernier avec Alibaba. Son célèbre fondateur, le fantasque Jack Ma, commençait à se sentir au-dessus du régime chinois et de ses lois. Ses critiques répétées contre Pékin qu’il accusait de vouloir tout réguler lui ont valu une mise à l’écart. Pendant de longs mois, plus aucune apparition publique. Certains craignaient même le pire. Le Parti communiste a lancé dans la foulée une procédure antitrust contre Alibaba et a fait reporter l’introduction en bourse d’Ant Group, la maison-mère. Ce qui était censé être la plus grande introduction en bourse de l’histoire s’est transformée en une chute verticale dans le classement des milliardaires pour son fondateur.
  • Ce fut ensuite le tour de Tencent, le Facebook chinois. En mars dernier, Xi Jinping a tenu un discours sans équivoque: « Certaines entreprises de plateforme se développent de manière non standardisée, ce qui présente des risques. Il est nécessaire d’accélérer l’amélioration des lois régissant les économies de plateforme afin de combler les lacunes et les failles en temps voulu. » En plus des situations de monopole, le président chinois craint pour la sécurité des données qui pourraient tomber aux mains des étrangers (comprendre : des Américains), mais aussi des activités financières.
  • Et puis est venu le tour de Didi, en juillet, quelques jours après son introduction en bourse aux États-Unis de 4,4 milliards de dollars. Les régulateurs ont ordonné un examen de sécurité et ont fait bannir l’application DiDi des plateformes en ligne.
  • Plus tard ce mois-ci, le gouvernement s’est attaqué au secteur privé de l’éducation, lançant un nouveau cadre réglementaire très strict pour les entreprises qui tentent de s’y implanter. Selon le régime, « l’éducation était détournée par le capital ».
  • Enfin est venu le tour de Meituan, une plateforme de restauration en ligne. Pékin a obligé que les travailleurs y gagnent au moins le revenu minimum. Cela a fait chuter le cours de l’action du géant de la restauration qui faisait déjà l’objet d’une enquête antitrust.

Tant Alibaba que Tencent, Didi ou dernièrement Meituan ont déclaré vouloir collaborer avec les autorités. « Ce n’est pas parce que vous êtes une entreprise technologique très prospère que vous êtes au-dessus du PCC », explique à Bloomberg Michael Witt, professeur affilié principal de stratégie et de commerce international à l’Insead à Singapour. « Ant Group et Jack Ma l’ont découvert par eux-mêmes l’année dernière, et il est surprenant que DiDi n’ait pas compris le message. »

Les années dorées

  • Les big tech chinoises ont d’abord imité le modèle de la Silicon Valley. Aidé par du capital occidental et des entrepreneurs innovants, dont beaucoup ont fait leurs études à l’étranger, le pays a vu des versions chinoises d’Amazon et EBay (Alibaba), Facebook et AOL (Tencent), Google (Baidu) ou encore Twitter (Weibo) apparaitre.
  • Pendant longtemps, le régime chinois a été très permissif. Les licornes chinoises pouvaient faire à peu près tout ce qu’elles souhaitaient, même aller installer des adresses fictives sur les îles caribéennes pour pouvoir se tourner vers les bourses américaines.
  • Assez rapidement, ces licornes sont devenues Big Tech. Et elles n’ont plus grand-chose à envier à leurs voisines occidentales. Au contraire, tant Apple que Facebook ou Snapchat s’inspirent de certaines fonctionnalités de WeChat ou Alipay. Cette dernière application gère tout de A à Z: de la livraison de tout ce qui s’achète au paiement en ligne en servant de relais avec les services publics.
  • C’était l’âge d’or des Big Tech chinoises. Ces grandes entreprises engloutissaient la concurrence à coup de rachats. Ses fondateurs devenaient des rock stars à l’instar de Jack Ma. C’était le modèle de la Silicon Valley poussé à son extrême.
EPA-EFE/NIU JING CHINA OUT

Le pari risqué de la Chine

  • Depuis l’année dernière, la Chine a graduellement fait savoir que la récréation était terminée. Reprendre le contrôle pour ne pas se retrouver dans la même situation que l’Occident et le pouvoir tentaculaire des GAFAM qu’il devient très compliqué de réguler.
  • La Chine n’est pas l’occident. Elle est dirigée par le Parti communiste chinois qui depuis sa création a toujours voulu tout contrôler, réguler.
  • Pour Angela Zhang, directrice du Centre de droit chinois de l’Université de Hong Kong, citée par Bloomberg, la régulation soudaine de la chine est même une forme de leçon pour l’Occident: « L’affaire contre Alibaba n’a pris que quatre mois à l’autorité antitrust chinoise, alors qu’il faudra des années aux régulateurs américains et européens pour s’en prendre à des entreprises technologiques telles que Facebook, Google et Amazon, qui sont prêtes à se battre bec et ongles. »
  • Certains estiment que cette poussée fiévreuse de régulation de la Chine est une bonne chose: cela redynamisera le secteur, tout en fixant des limites aux géants des technologies.
  • Sauf qu’il est difficile de croire que la Chine veuille réguler ses géants technologiques au point de les détruire ou de les faire fuire. Cet énorme coup de pression se fait d’ailleurs ressentir sur les marchés boursiers. Depuis février, au moins 1.000 milliards (1 billion) de dollars d’actifs sont partis en fumée sur les marchés chinois. Et ce chiffre ne reflète que les pertes dans les secteurs des technologies et de l’éducation.
  • Sans ses fleurons, impossible pour Pékin d’atteindre ses objectifs économiques ambitieux et de développer sa classe moyenne.

Pékin et le PCC mettent en garde à leur manière: ils veulent garder le contrôle. Une pression qui a ses limites et qui est peut-être avant tout une affaire de communication. Il faut donner l’image que personne n’est au-dessus du régime. Seuls les prochains mois et les prochaines années nous montreront à quel point le PCC était sérieux.

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