Tant le Kremlin que la Maison-Blanche sont prêts à conclure un nouvel échange de prisonniers, qui permettrait ainsi au journaliste américain Evan Gershkovich de rentrer chez lui. En revanche, la contrepartie exigée pour le journaliste du Wall Street Journal est élevée, voire potentiellement impossible à satisfaire.
Le Kremlin veut un nouvel échange de prisonniers : des Américains innocents en échange d’un tueur à gages du FSB
Pourquoi est-ce important ?
Âgé de 32 ans, Gershkovich était journaliste au Wall Street Journal depuis 2022 et travaillait depuis plusieurs années à Ekaterinbourg, en Russie. Le 29 mars de cette année, il a été arrêté par des agents du service de renseignement russe FSB et incarcéré à la prison de haute sécurité de Lefortovo. Officiellement, il était suspecté d'espionnage, bien qu'aucune preuve tangible n'ait été présentée, comme c'est souvent le cas en Russie. Il est devenu vite clair que la Russie cherchait à obtenir quelque chose en échange de Gershkovich : un nouveau processus d'échange de prisonniers.L’essentiel : Après l’échange entre une joueuse de basket et un trafiquant d’armes, voici celui entre un journaliste et un tueur à gages.
- Le Kremlin est déterminé à faire sortir de sa cellule allemande le tueur à gages russe Vadim Krasikov. Le 23 août 2019, en plein jour, Krasikov a abattu Zelimkhan Khangoshvili, un militant tchétchène pour la liberté, dans le parc Kleiner Tiergarten à Berlin. Krasikov s’est enfui à vélo, qu’il a jeté, ainsi que l’arme du crime, des vêtements et une perruque, dans la rivière Spree.
- Krasikov a rapidement été arrêté et présenté devant la justice. Mais personne ne savait vraiment qui il était. Il s’est identifié comme Vadim Sokolov, ce que l’ambassade russe a confirmé. Deux ans d’enquête, notamment menée par la plateforme d’investigation Bellingcat, ont révélé sa véritable identité : Vadim Krasikov, tueur à gages au service du FSB. Krasikov travaillait plus précisément pour Vympel, l’unité d’élite du FSB chargée de traiter les dissidents à l’étranger.
- En décembre 2021, Krasikov a été condamné pour ce meurtre qualifié de terroriste par la justice allemande. Le Russe a été condamné à la réclusion à perpétuité. Il purge sa peine dans une prison de haute sécurité en Bavière.
Levier supplémentaire
L’échange : Le nom de Krasikov est associé à chaque éventuel échange de prisonniers, y compris lors de celui de la joueuse de basket-ball américaine Brittney Griner. Mais avec l’arrestation de Gershkovich, la Russie dispose d’un levier supplémentaire pour obtenir la libération de son tueur à gages.
- Avant même la condamnation de Krasikov, Poutine avait donné l’ordre à Nikolai Patrouchev, secrétaire du Conseil de sécurité nationale et l’un de ses conseillers les plus fidèles, de réfléchir à un échange de prisonniers. Les États-Unis, de leur côté, essaient depuis longtemps de faire revenir Paul Whelan, un ancien marine condamné en Russie à 16 ans de prison pour espionnage. Mais Whelan ne pèse pas suffisamment pour être échangé contre Krasikov, l’accord n’a donc pas encore été conclu.
- Maintenant que la Russie a également arrêté Gershkovich en plus de Whelan, elle a plus de chances de récupérer Krasikov dans un échange de deux contre un. Mais il reste encore quelques obstacles à surmonter. Tout d’abord, les États-Unis doivent décider si l’échange de deux Américains contre un tueur à gages de sang-froid est bien approprié.
- Lors de l’échange entre la joueuse de basket Brittney Griner et le trafiquant d’armes russe Viktor Bout, des critiques avaient également fusé, accusant les États-Unis de s’être laissés duper par cette transaction. Cependant, pour la Russie, l’accord Whelan & Gershkovich contre Krasikov est considéré comme « deux espions contre un ». Un accord équitable, même s’il n’existe aucune preuve de l’espionnage des deux Américains.
- De plus, Krasikov est détenu dans une prison allemande, pas américaine : les avocats du gouvernement allemand ont déjà indiqué l’année dernière que, selon la loi, les meurtriers condamnés ne peuvent pas être échangés.
Quelle garantie ?
Les chances : Y a-t-il la moindre possibilité de réussite dans cet échange ?
- En juillet, le président américain Joe Biden a exprimé son soutien à un échange qui permettrait la libération de Gershkovich. Cependant, le vice-Premier ministre russe, Sergueï Riabkov, avait précédemment déclaré que cela ne serait possible qu’une fois que le journaliste aurait été présenté à la justice et condamné.
- Il est bien connu que la Russie est un partenaire imprévisible en matière d’échanges de prisonniers. Il n’est donc pas certain qu’elle soit disposée à échanger à la fois Whelan et Gershkovich ; maintenir l’un d’entre eux en détention (probablement Whelan) serait une garantie pour un échange ultérieur.
- Du côté occidental, beaucoup de choses dépendent aussi de la position de l’Allemagne. L’échange d’un tueur à gages condamné en Allemagne contre un journaliste américain n’est pas très reluisant pour l’Allemagne. Il est probable que les États-Unis doivent encore trouver une solution astucieuse pour rendre cet accord possible. Et même alors, il faudra attendre la condamnation effective de Gershkovich.
(SR)
