Après avoir acheté américain plutôt qu’européen pour moderniser sa force aérienne, la Défense belge aimerait beaucoup se greffer au projet de « Système de combat aérien du futur » européen, pour l’instant porté par la France, l’Espagne et l’Allemagne seulement. Un opportunisme qui passe mal, outre-Quiévrain.
Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation : « Je ne vois pas pourquoi je donnerais du travail aux Belges aujourd’hui »

Pourquoi est-ce important ?
Alors que notre force aérienne n'a pas encore ajouté à son ordre de bataille les F-35 achetés aux Américains, la ministre de la Défense Ludivine Dedonder a lancé la réflexion sur l'avion de combat qui lui succédera. Sa préférence semble aller au SCAF, le « Système de combat aérien du futur » transeuropéen, un projet soutenu par la France, l'Allemagne et l'Espagne.Le couac : sauf qu’en France, on trouve fort de café que des pays qui ont fait le choix d’acheter américain s’intéressent soudainement au SCAF, au risque de mettre leur gain de sel dans un projet qui a déjà eu bien du mal à décoller.
- Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation, qui prend en charge la partie française du projet, s’y est en tout cas déclaré très défavorable alors qu’il était auditionné par la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat français ce mercredi.
- « C’est déjà difficile de faire un avion à trois » rappelle le PDG, qui craint que rajouter d’autres interlocuteurs ne fasse que prolonger les débats sur le cahier des charges, qui furent déjà compliqués. D’autant que la phase 1B du développement du SCAF a été lancée le 28 avril dernier à Madrid. Celle-ci consiste à réaliser un démonstrateur, pour un coût global d’un peu moins de 3 milliards d’euros.
- Pour rappel, le SCAF dans son ensemble consiste au développement d’un nouvel avion de chasse de 6e génération, le NGF (pour new generation fighter), qui aurait des capacités furtives et qui serait capable d’opérer en collaboration avec des drones, dans le cadre d’un réseau de combat qui les connectera (le cloud).
« L’ambition, c’est que les avions européens travaillent entre eux. Mais comme la majorité des avions européens sont américains, la problématique se pose. […] Pourquoi est-ce que je ferais de la place dans mon bureau d’étude à des sociétés que j’ai vu agir, derrière leur gouvernement, pour acheter du F-35 ? Je vais retirer de l’emploi de France pour aller le mettre dans des pays qui ont fait le choix des capacités du F-35 ? Sur le thème de dire ‘oui, mais grâce à ça demain j’achèterai Européen’, il n’y a que ceux qui le disent qui peuvent le croire. »
Éric Trappier
L’argument nucléaire de l’oncle Sam
Une suggestion qui passe d’autant plus mal que les deux partenaires de la France dans le projet SCAF achètent déjà américain. L’Espagne possède des F-18, et surtout l’Allemagne a récemment rejoint le club F-35, en confirmant l’achat de 35 de ces chasseurs-bombardiers, qui seront livrés entre 2026 et 2029. Or, la principale caractéristique du F-35 – un avion qui est loin d’avoir fait ses preuves – reste qu’il est conçu entre autres pour l’emport d’une arme nucléaire, forcément américaine.
- « Je rappelle que l’Allemagne est obligée par les Américains d’acheter du F35, pour être capable de tirer un armement nucléaire américain qui se trouve dans les mains du président américain », relance le PDG. « Et il n’y a rien de secret. Mais je ne suis pas sûr que ça soit le concept français, je suis même sûr du contraire. »
- Une pique qui pourrait être destinée à notre pays, dans lequel, c’est un secret de polichinelle, des armes nucléaires américaines sont présentes. Ce qui a pesé lourd dans le choix d’adopter le F-35 et pas un de ses concurrents européens. Un choix qui d’ailleurs, en France, passe encore assez mal alors qu’une bonne partie de notre nouveau matériel terrestre doit venir de l’Hexagone dans le cadre d’une coopération stratégique.
« Pour l’instant ça n’est plus un problème de négociations [avec les Espagnols et les Allemands], c’est un problème de faire le travail. Si on rouvre la porte trop vite… J’entends dire ‘on pourrait donner du travail aux sociétés belges tout de suite.’ Non. Si on me l’impose, je me battrai, je ne vois pas pourquoi je donnerais du travail aux Belges aujourd’hui. »
Eric Trappier