La culture intensive des algues : la solution pour nourrir la population mondiale, régénérer les océans, et contrecarrer le changement climatique en même temps ? Ça n’est pas si simple

La culture intensive des algues pourrait épargner des terres cultivables, tout en produisant plus de nourriture et en captant plus de CO2 que les cultures terrestres. C’est du moins ce qu’avancent ses partisans. Dans le monde scientifique, on s’inquiète de l’enthousiasme des apprentis sorciers.

À défaut de replanter des milliers d’hectares de forêts pour reverdir la planète, on peut faire de même avec les océans. C’est une des idées promues par la Climate Foundation, la société à but non lucratif de Brian von Herzen. CEO de la société, mais aussi titulaire d’un diplôme de physique à l’Université de Princeton et d’un doctorat en sciences planétaires de l’Institut de technologie de Californie, il voit dans la permaculture marine la solution à tous nos grands problèmes.

Culture intensive des algues

Son idée : des fermes géantes en pleine mer, consacrée à l’algoculture, la culture en masse d’algues marines. Selon lui, c’est là une manière d’apporter de la nourriture saine à l’humanité sans déboiser de nouvelles zones naturelles. Mais aussi d’absorber davantage de CO2 dans l’atmosphère, tout en offrant un nouvel abri à de nombreuses espèces animales qui vivent dans les forêts d’algue. Le projet suscite l’enthousiasme : l’année dernière, la Climate Foundation a remporté un million de dollars offert par la fondation XPRIZE, qui récompense des développements technologiques susceptibles d’apporter des « percées radicales pour le bienfait de l’humanité ». Une fondation sponsorisée, entre autres, par un certain Elon Musk.

Un prototype de ferme a été construit au large de l’île philippine de Cebu, dans l’océan Pacifique. Il se compose d’un grand anneau métallique d’une quarantaine de mètres de diamètre. Divisé en douze compartiments, il abrite des pousses d’algues comestibles. Or, ces algues poussent bien plus vite que la majorité des cultures terrestres ; certaines espèces de varechs comestibles peuvent gagner 50 cm par jour.

De la lumière, du CO2 et des eaux froides

Mais pour cela, elles ont besoin de trois choses : de CO2 à absorber – comme toutes les plantes – mais aussi de lumière et d’une eau assez froide à leur goût, et chargée en nutriments. Or ces deux derniers points entrent en contradiction, car les eaux de surface, où la lumière perce, sont de plus en plus chaudes. C’est un problème à l’échelle mondiale : tous les pays où l’algoculture traditionnelle est répandue, en particulier en Asie, sont confrontés à une diminution des rendements à cause du réchauffement des océans. Depuis 2011, la production d’algues aux Philippines a ainsi chuté d’environ 20%.

C’est là que ça coince : une algoculture intensive et rentable a besoin à la fois de la lumière des eaux de surface, et de la fraicheur et la richesse nutritive des eaux plus profondes. L’équipe de von Herzen qui s’occupe de l’atoll artificiel a pour l’instant mis au point une solution ingénieuse : l’anneau de culture est mobile, et peut plonger à 120 m de profondeur pour nourrir sa récolte. Sauf que, cuisiné par The Guardian, von Herzen – qui n’est pas sur place, mais vit en Australie – a admis qu’à terme, il était envisagé d’amener l’eau froide jusqu’aux algues et non l’inverse. « Il n’y a rien d’artificiel à restaurer un processus naturel régionalement », estime-t-il, faisant référence à l' »upwelling« , un phénomène de remontée des eaux profondes. « Nous restaurons un processus naturel. »

Des effets secondaires considérables ?

Ça n’est pas si simple : ça n’est pas une manne miraculeuse de nutriments qu’on ferait ainsi remonter pour nourrir les algues, mais des ressources qui, actuellement, servent à d’autres, ailleurs. Sur les côtes voisines des Philippines, ou peut-être à l’autre bout du monde. C’est comme si on siphonnait la fertilité du champ du voisin. En outre, les eaux stratifiées de l’océan piègent d’énormes quantités de CO2. Est-ce vraiment une bonne idée de le perturber et de le remonter vers la surface, alors qu’on essaie justement d’en absorber un maximum via les algues ? Et ça n’est pas tout, selon l’océanologue Andreas Oschlies, interrogé par le quotidien britannique : « Certains des animaux marins qui aiment vivre dans les forêts d’algues forment des coquilles de carbonate de calcium, un processus qui émet du CO2. Cela peut annuler 10-30% de l’absorption de CO2 par les algues. « Cette méthode a seulement un potentiel très limité de séquestration du carbone et le risque d’effets secondaires considérables. »

Un coup dans l’eau, l’algoculture intensive en pleine mer ? C’est possible, mais il est probable que les algues forment un élément essentiel d’un futur équilibre entre l’humanité et la planète. On les néglige en Europe, mais les algues sont très nutritives pour nous, tout en pouvant servir d’engrais, tant sur les champs que pour la pisciculture. Reste à trouver les méthodes pour en produire assez, tout en étant certain que ça soit bénéfique à l’océan.

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