Comment le top manager de Quick-Step, Patrick Lefevere, a commis l’erreur la plus courante en matière de stratégie

23 août 2019. Ce jour-là, Patrick Lefevere, de loin le manager cycliste le plus réputé de tout le peloton, signe un contrat avec l’étoile montante Remco Evenepoel. C’est ce contrat qui symbolise l’erreur la plus courante en matière de stratégie : perdre le cap sur un objectif clair et baser toute l’organisation autour de celui-ci. C’est ce qui explique pourquoi les choses ne vont vraiment pas bien cette année et continueront d’être difficiles à l’avenir.

Dimanche, la plus belle journée de l’année cycliste nous attend avec la course de toutes les courses : le Tour des Flandres. La course de ce dimanche est unique pour deux raisons. Nous avons au départ un vainqueur du Tour qui, après avoir participé à A Travers les Flandres, est plus que jamais co-favori. Et pour la première fois de mémoire d’homme, on n’attend absolument rien de la brigade bleue toujours ultra-dominante : Quick-Step alias « le Wolfpack ».

Le meilleur depuis 20 ans … en une seule compétence

Lefevere est sans doute le meilleur directeur sportif du peloton depuis vingt ans. Si l’on prend uniquement la période depuis 2003 – date à laquelle Quick-Step est devenu le sponsor principal – il a remporté les six classiques flamandes du printemps 37 fois avec ses coureurs. A savoir Het Nieuwsblad, Kuurne-Brussels-Kuurne, A Travers les Flandres, le Tour des Flandres, Gand-Wevelgem et E3-Harelbeke. Cela représente un taux de victoire de 32%. Dans le classement World Tour, Quick-Step n’a jamais quitté le top 3 au cours des 10 dernières années. En 2018 et 2019, ils ont même été numéro un. Pourtant, aujourd’hui, même Intermarché-Wanty-Gobert est au-dessus d’eux. Ils doivent pour l’instant se contenter de la septième place.

Quick-Step est synonyme de courses d’un jour. Leurs chefs d’équipe et leurs stars sont conscients de l’importance des classiques et ils marquent constamment des points. Il y a eu Johan Museeuw, Tom Boonen, Philippe Gilbert, Niki Terpstra, ou encore Kasper Asgreen par la suite.

Cette année, ça ne marche pas. Il est vrai qu’il y a un certain nombre d’excuses valables, comme les maladies et un certain nombre d’accidents qui font que tout le monde n’est pas au top de sa forme ce printemps. Mais la principale raison est sans doute le changement de stratégie de l’équipe depuis 2019.

La stratégie d’hier: claire comme de l’eau de roche

Pendant vingt ans, les objectifs étaient clairs : le printemps déterminait le succès de l’équipe et l’argent des sponsors. Comme cerise sur le gâteau, il y avait le Tour de France, où Quick-Step était en quête de victoires d’étape et, si possible, du maillot vert. Il n’y avait plus de stress pour l’équipe car il s’agissait d’extras sympathiques. Le gros travail était fait.

La stratégie du chef d’équipe Lefevere pendant toutes ces années était conforme à la formule parfaite de Jim Collins, qui, dans son best-seller From good to great, a lancé le principe du hérisson, une version déguisée du bon sens : « Cobbler, stick to your last ». Autrement dit, faites ce que vous connaissez, en fonction de votre expérience ou de vos compétences. Et ne vous aventurez pas dans l’inconnu.

Il s’agit de trouver une réponse à 3 questions:

  • Dans quel domaine êtes-vous le meilleur ou pouvez-vous devenir le meilleur ?
  • Qu’est-ce qui vous motive et vous passionne ?
  • Quel est le paramètre économique qui vous permet de payer vos factures ?

La stratégie d’aujourd’hui: trouble

En cyclisme, il existe de nombreuses disciplines, allant du keirin au cyclisme sur route. Au sein du cyclisme sur route, il existe également deux grandes disciplines : les courses d’un jour et les courses par étapes. Tout directeur sportif sait qu’il s’agit de deux sports complètement différents. Ce sont les rouleurs contre les grimpeurs, les hommes puissants contre les poids légers, les pavés contre les montagnes.

De plus, Lefevere n’a jamais dit nulle part qu’il rêvait de gagner le Tour. Ce n’est pas un rêve dévorant comme c’était le cas pour quelqu’un comme Richard Plugge de Jumbo-Visma ou Dave Brailsford lorsqu’il a commencé chez Sky, maintenant Ineos. Ce feu sacré omniprésent est essentiel pour atteindre ce grand objectif. Toute l’organisation, toute l’équipe doit être consciente de cela et ce n’est absolument pas le cas chez Quick-Step lorsqu’il s’agit du Tour de France, le seul tour qui compte vraiment.

En outre, ces deux disciplines ont un prix différent. Les lieutenants pour le Tour sont bien plus chers que ceux pour les classiques. On parle d’un facteur de trois. Quick-Step n’a pas cet argent et ne peut pas suivre les barons de l’acier d’Ineos et les cheikhs des Émirats arabes unis lorsqu’il s’agit de mettre sur pied une équipe décente pour le Tour. Evenepoel devra faire cavalier seul, car Mauri Vansevenant et Ilan Van Wilder sont trop légers quand on les compare aux meilleurs coureurs comme Sepp Kuss, Jonas Vingegaard, Marc Soler, Rafal Majka ou Joao Almeida chez Jumbo-Visma et UAE. Ce dernier, d’ailleurs, vient de Quick-Step. Cela montre que Lefevere ne voulait pas à tout prix une équipe pour le Tour, car Almeida est un talent absolu en montagne.

En résumé, Quick-Step ne connaît qu’un seul métier : le travail d’un jour, le patron en est passionné et c’est pour lui la garantie de rassurer ses sponsors. Pour gagner un grand tour, la réponse aux trois questions ci-dessus est trois fois négative.

Evenepoel devrait poursuivre son rêve dans une autre équipe

Il est clair que la carrière d’Evenepoel prendrait une meilleure tournure en allant vers une équipe qui cherche un candidat pour le podium du Tour – parce que la victoire finale pourrait être un cran trop haut. Pourquoi pas Movistar, où le vieux briscard Valverde sera bientôt parti ou pourquoi pas Israel Start Up Nation où il pourra prendre la place de Froome ? Cela permettra à Lefevere de se concentrer à nouveau sur les choses qu’il sait faire: gagner des classiques.

Et si Lefevere faisait une offre pour van Aert ?

Tout le monde dit qu’il y a une équipe qui peut jouer sur les deux fronts : Jumbo-Visma. Mais ça reste à voir. Là aussi, il y a de la friture sur la ligne. N’aurait-il pas été tellement plus agréable pour nous, Belges, que Jumbo aille au Tour avec Wout van Aert comme leader afin qu’il puisse glaner cinq étapes au lieu de rouler au service de Roglic, qui a somme toute peu de chances face à son jeune rival slovène ?

Et qu’en est-il de Pogacar lui-même ? Bien sûr, ce wonderboy est capable de gagner tous les monuments, mais il devra le faire TOUT seul. Son équipe est faite pour le Tour et ne peut pas être au top dans les 2 disciplines principales du cyclisme sur route.

Isopix

Si Jumbo ne veut pas faire de van Aert son seul leader, peut-être devraient-ils en parler à Lefevere. Là, il pourrait devenir le nouveau Tom Boonen, la plaque tournante de l’équipe. Il y a 95% de chances que cela n’arrive pas, mais il y aurait quand même beaucoup de choses à dire à ce sujet.

La stratégie est un choix

La stratégie, c’est un choix. Pas seulement ce que vous faites, mais surtout ce que vous ne faites pas. Dans le livre récemment publié Top athletes are CEOs, j’essaie d’expliquer pourquoi la stratégie est l’une des compétences essentielles qui sépare le champion du super champion.


Xavier Verellen est un auteur et un entrepreneur. Son livre Top athletes are CEO, qui montre que le leadership fait la différence entre les champions et les super champions, sera en vente dans les magasins Standaard Boekhandel à partir du mardi 5 avril ou en ligne via topsporterszijnceos.businessam.be.

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