L’Irak voit des manifestants descendre dans la rue alors que les prix des denrées alimentaires augmentent suite à la guerre en Ukraine. Des manifestations liées à l’alimentation ont ensuite eu lieu en Albanie et au Sri Lanka, ce qui démontre que les effets de cette guerre se propagent. Étant donné que l’un des principaux moteurs du printemps arabe était le coût élevé des denrées alimentaires et d’autres produits de première nécessité, ces manifestations pourraient avoir un impact mondial.
Les marchés irakiens ont été largement épargnés par l’inflation galopante de ces derniers mois. Mais les autorités du pays ont confirmé que l’invasion russe en Ukraine a considérablement augmenté le coût des denrées alimentaires dans la région, tout en provoquant également des pénuries. Le prix de la farine est passé de 35.000 dinars irakiens (IQD) ou 22 euros pour un sac de 50 kg à 45.000 IQD (28 euros). Le prix du riz a augmenté de 10 % et celui de l’huile de cuisson a doublé. Les consommateurs irakiens ont accumulé des réserves par crainte de nouvelles pénuries et hausses des prix, et les commerçants ont profité de la situation pour augmenter leurs bénéfices.
Le gouvernement irakien a déjà pris des mesures pour faire face, distribuant de la nourriture aux plus démunis tout en prévoyant de la rationner pendant le mois de Ramadan (du 2 avril au 2 mai). Le gouvernement a également pris des mesures rapides sous la forme d’une allocation mensuelle d’environ 60 euros pour les retraités dont le revenu est inférieur à un million de dinars irakiens (625 euros) par mois, afin de les aider à payer leur nourriture. Les fonctionnaires qui gagnent moins d’un demi-million de dinars par mois reçoivent également une telle allocation.
En outre, une suspension temporaire des droits de douane sur les biens de consommation, les matériaux de construction et les produits alimentaires étrangers a été introduite pour une période de deux mois afin de maintenir les prix à un niveau bas. Dans la région kurde d’Irak, le gouvernement régional du Kurdistan a pris des mesures d’urgence, notamment la fermeture des magasins à Erbil (la capitale de la région), afin d’éviter que des commerçants malhonnêtes ne pratiquent des prix excessifs.
La Turquie et l’Iran limitent leurs exportations
Les importations irakiennes en provenance de Russie et d’Ukraine, deux des plus grands producteurs mondiaux de produits énergétiques et agricoles, ont chuté de façon spectaculaire. La situation a également été aggravée par les pays voisins, l’Iran et la Turquie, qui, selon des sources irakiennes, ont limité leurs exportations de denrées alimentaires vers l’Irak pour donner la priorité à leur propre approvisionnement national.
Bien que l’Irak fasse partie de ce que l’on appelle le Croissant fertile, une région célèbre pour ses terres agricoles très productives et son accès à l’eau, une série de grands chantiers menés au cours des trois dernières décennies a épuisé les réserves d’eau et les cultures de la région. Cela va de l’assèchement des marais irakiens par Saddam Hussein aux barrages construits par la Turquie et l’Iran en amont des grands fleuves, qui ont provoqué une grave sécheresse qui avait déjà mis sous pression le secteur agricole irakien et réduit la production alimentaire du pays.
Méfiance à l’égard du système politique
L’occupation américaine de l’Irak a laissé en héritage tout un nouveau système d’élites politiques ; les dirigeants irakiens se disputent le partage des revenus du pays et accordent des faveurs à leurs amis et à leur famille. Les Irakiens manifestent régulièrement depuis l’occupation américaine de 2003, principalement contre la corruption du gouvernement, le manque de services de base, le chômage de masse et – ces dernières années – l’ingérence iranienne. Le tout nouveau Premier ministre irakien, Mustafa Kadhimi, un indépendant, a été élu après les manifestations d’octobre 2019, lorsque les Irakiens ont rejeté les partis traditionnels.
Mais la méfiance à l’égard du système politique persiste. Les dernières élections parlementaires irakiennes d’octobre 2021 ont vu le taux de participation le plus bas jamais enregistré en Irak depuis 2003, avec 41 % des suffrages exprimés, ce qui a créé une crise de légitimité pour le prochain gouvernement irakien, qui n’a d’ailleurs pas encore été révélé.
Le principal problème est qu’il n’existe pas de stratégie gouvernementale nationale claire et progressiste, ce qui entrave gravement le développement du pays et affaiblit l’État irakien, en particulier face à des défis tels que la hausse mondiale des prix des denrées alimentaires. Ce qui rend cette manifestation remarquable, c’est qu’elle intervient à un moment où tous les gouvernements sont censés faire davantage pour soutenir leurs citoyens face à la hausse mondiale des prix.
Les protestations commencent à s’étendre
Étant donné que deux des principaux moteurs du printemps arabe étaient le coût élevé des denrées alimentaires et d’autres biens, ainsi que l’accès limité à l’eau, les dernières manifestations pourraient avoir une portée mondiale. Les Irakiens pourraient être les premiers d’un mouvement global de protestation contre la hausse des prix, alors que le conflit entre la Russie et l’Ukraine se poursuit.
L’Albanie a été le premier pays à voir des manifestation similaires à celles qui ont lieu en Irak, puis ce fut le tour du Sri Lanka. La Banque mondiale a mis en garde contre l’inflation liée à la guerre en Ukraine, qui pourrait entraîner d’autres manifestations, voire des émeutes.