« Avec le MR dans cette coalition, on ne peut pas gagner avec la Vivaldi »

L’épisode wallon de vendredi dernier entre Crucke et Bouchez déborde sur le fédéral. Certains protagonistes de la Vivaldi sont exaspérés par les libéraux francophones et surtout les méthodes de leur président.

Dans l’actu: après la tempête, le MR joue l’apaisement dans le dossier Crucke.

  • Le décret pour « une fiscalité plus juste » en Wallonie laissera des traces. Non seulement au sein du MR qui a montré une division en interne. Le ministre wallon du Budget Jean-Luc Crucke n’a pas voulu reculer devant la protestation des députés wallons et du président du MR. Pour éviter une crise politique aux yeux de tous, le texte a finalement été approuvé. Difficile à avaler pour Bouchez qui s’est immiscé personnellement dans le dossier.
  • Les conséquences vont au-delà des disputes internes. Les partenaires de la majorité wallonne – PS et Ecolo – l’ont clairement montré durant cette séquence: ce décret était à prendre ou à laisser. Si le MR n’en voulait pas, il pouvait tout simplement aller voir ailleurs. Le MR était donc coincé.
  • En Wallonie, le MR a beaucoup moins de marge manoeuvre encore qu’au fédéral pour jouer la particip-opposition. Le parti libéral est beaucoup moins indispensable.
  • Finalement, le MR a voulu faire passer un message d’apaisement à la sortie du bureau de parti de ce lundi. Non, il n’y a pas eu de crise au sein des libéraux francophones, circulez. Il fallait inventer quelque chose: lors d’un prochain litige, Willy Borsus, ministre de l’Économie et numéro 2 wallon, devra être consulté.

L’essentiel: la crise wallonne réveille de vieux démons au fédéral. Ces moments de friction entre partenaires ne sont pas quelque chose de neuf.

Flashback: une coalition sans le MR, cela a déjà été envisagé.

  • Cela reste l’un des moments cruciaux de la formation de la Vivaldi : allons-nous garder Georges-Louis Bouchez et son parti à bord, ou pas ? Nous sommes en septembre 2020 et sept partis tentent de former un gouvernement arc-en-ciel sous la direction d’Egbert Lachaert (Open Vld) et de Conner Rousseau (Vooruit). Et face à ce qu’il se prépare, il y a un homme qui devient fou : le président du MR.
  • Cinq partis se réunissent en secret : PS, Vooruit, Groen, Ecolo et CD&V. Ils sont d’accord pour dire que Bouchez est allé trop loin, et que son parti devrait être remplacé par le cdH. C’est parfaitement possible : cette coalition dispose d’une large majorité du côté francophone. Il en va de même pour le gouvernement wallon : là aussi, une coalition avec PS, Ecolo et cdH est parfaitement réalisable, tant sur le plan mathématique qu’idéologique.
  • Paul Magnette (PS) passe un appel téléphonique à Maxime Prévot (cdH). Ce dernier semble vouloir venir, et est prêt. Mais cette solution échoue par la suite.
  • L’Open Vld ne veut pas lâcher Bouchez. Lachaert ne peut s’y résoudre. Un mois plus tôt, ils avaient tout fait pour prouver que la famille libérale était « une et indivisible ». Il fallait montrer l’image d’une famille unie, car un peu plus tôt, les anciens préformateurs Magnette et Bart De Wever (N-VA) avaient suggéré à Lachaert de former un gouvernement sans les libéraux francophones. Lachaert et Bouchez ont ensuite torpillé ensemble cette aventure entre le PS et la N-VA en se rapprochant.
  • Et puis, il y a un deuxième argument politique : cela risque de compromettre sérieusement les chances de voir émerger un Premier ministre libéral : sans famille, l’Open Vld est beaucoup moins fort dans cette gigantesque partie de poker.
  • Magnette hésite, il y a un malentendu avec Rousseau sur le timing, et l’échange échoue. Bouchez a été vert pendant quelques heures, mais la coalition sous sa forme actuelle a finalement aboutie.

Le contexte : le dossier du nucléaire, tout un symbole.

  • Le récent spectacle dans le dossier sur l’énergie nucléaire – un dossier qui n’est toujours pas terminé – est considéré par beaucoup rue de la Loi comme symptomatique de ce qui ne va pas dans cette coalition. « Il n’est tout simplement pas possible de gouverner normalement avec un tel fauteur de troubles », nous glisse un président de la Vivaldi à propos de Bouchez.
  • Ceux qui pensaient qu’un Premier ministre libéral, Alexander De Croo (Open Vld), serait mieux placé pour tenir en respect le parti frère francophone sont passés à côté de l’essentiel : Bouchez semble avoir oublié les « liens familiaux » et n’hésite pas à remettre ouvertement De Croo à sa place. Et à plusieurs occasions.
  • L’Open Vld en souffre idéologiquement : alors qu’un sondage montre une fois de plus que les électeurs sont largement favorables au maintien de l’énergie nucléaire, le parti a officiellement dit adieu aux centrales la semaine dernière.
    • Le sondage montre également que peu de personnes souhaitent réellement une sortie définitive du nucléaire : seuls 15 % des Belges sont favorables à l’arrêt de l’énergie nucléaire dans ce pays à court terme. 63 % veulent continuer, dont 33 % préfèrent les petites centrales et 30 % veulent garder deux réacteurs ouverts. En Flandre, le chiffre de ceux qui veulent en finir avec l’atome n’est que de 13%.
  • De Croo a fortement soutenu sa ministre de l’énergie verte, Tinne Van der Straeten (Groen), tandis que Bouchez résiste toujours, jusqu’à adopter exactement la même ligne que la N-VA et Bart De Wever. « De tous les partis au gouvernement, le MR est le meilleur représentant des Flamands », a retweeté sans vergogne Bouchez, reprenant une citation que Rik Torfs avait fait circuler sur Twitter ce week-end.
  • Ce week-end, la bataille dans ce dossier s’est poursuivie sans relâche : les deux présidents de parti, De Wever et Bouchez, ont mis en évidence un article de HLN.be, où 80 employés d’Engie Electrabel contredisent ouvertement leur PDG, Thierry Saegeman.
    • Philippe Hendrickx, ingénieur chez Engie, a notamment déclaré « que les centrales peuvent rester ouvertes ». « Tous les experts ici ont fait cette analyse et disent que c’est possible », a-t-il déclaré.
    • C’est frappant, car Saegeman s’est présenté à la télévision ce dimanche dans De Zevende Dag, et s’est révélé être le meilleur porte-parole du gouvernement que la Vivaldi ait jamais eu. En résumé : non, les centrales nucléaires sont irrécupérables, et oui, il faut mettre toute la pression sur le gouvernement flamand pour qu’il autorise maintenant la centrale au gaz de Vilvorde : cette sortie s’inscrivait parfaitement dans le cadre fédéral.
    • Saegeman a habilement réussi à contrôler la communication : l’intervention des 80 employés d’Engie n’est apparue dans le journal que ce lundi matin.

Les sondages : Ils nous disent en fait ce que tout le monde sait déjà : il n’y a aucune chance de victoire pour les vivaldistes flamands.

  • En regardant le Grand Baromètre RTL-Le Soir-Ipsos de ce week-end, rien de surprenant. Le prix des chamailleries du côté francophone au sein de Vivaldi est payé par trois partis flamands :
    • Groen est devenu le plus petit parti du paysage politique, et passe sous le PVDA, qui progresse le plus.
    • Le CD&V n’arrive pas à se mettre sur les rails et oscille juste au-dessus de 10 %.
    • Le plus frappant : le Premier ministre est extrêmement populaire (bien que lui aussi soit en perte de vitesse) mais cela ne se traduit pas par un bon score de son parti.
    • Seuls les socialistes, du côté flamand, semblent avoir fait un net progrès par rapport aux profondeurs historiques dans lesquelles ils étaient tombés sous la direction de John Crombez (Vooruit). Tant Conner Rousseau (Vooruit) que Frank Vandenbroucke (Vooruit) sont très bien placés dans les listes de popularité, même au-dessus de Bart De Wever (N-VA).
  • Une nouvelle plus importante est que du côté francophone, le PS semble se redresser après les baisses précédentes : le parti est à nouveau le plus important, et de loin, en Wallonie. Un virage à gauche n’est pas surprenant : ce sondage ne rendra pas Magnette moins disposé à se battre pour sa position dans cette coalition.

Aujourd’hui : « Quelqu’un devrait rappeler Prévot ».

  • « Si nous voulons toujours en faire quelque chose, nous devons réfléchir très fondamentalement à la manière de procéder pour la suite », déclare aujourd’hui un architecte de la Vivaldi. « Parce que l’essence même de cette coalition était une coalition qui gouvernerait dans le respect des uns et des autres, qui montrerait qu’ils le font ‘différemment’, que ce serait un ‘travail d’équipe’. Il n’est plus question de cet esprit, et le Premier ministre semble s’y résigner. »
  • En outre, le fait que Joachim Coens, président du CD&V, se soit penché sur la formation du gouvernement dans Knack la semaine dernière et ait conclu « qu’en fait Paul Magnette aurait dû devenir Premier ministre », a suscité de nombreux commentaires.
    • « Eh bien, peut-être qu’il aurait dû mieux négocier alors. C’est surtout vrai à propos du cdH, d’ailleurs: tout le monde a demandé « sa famille » à la table, sauf Joachim. Et puis on se retrouve avec Bouchez parmi nous. Quelqu’un ferait mieux de rappeler Maxime Prévot (cdH) », déclare un collègue négociateur.
    • Plusieurs sources au sein de la Vivaldi, mais également au sein du gouvernement, ont suggéré qu’il faudrait peut-être envisager un changement si cette équipe voulait encore gouverner de manière cohérente et calme.
    • « Nous pouvons parfaitement conserver l’accord de coalition dans son intégralité. Et dans ce cas, il est tout à fait clair que le cdH, qui végète dans l’opposition, se rallierait à un gouvernement De Croo II. Vous résolvez alors enfin le problème Bouchez. Il est temps de penser à un changement. Avec le MR dans cette coalition, nous ne pouvons pas gagner avec la Vivaldi », dit une source haut placée.
    • Au CD&V, ils trouveraient un allié de plus, au lieu d’un ennemi, pour, entre autres, mettre en œuvre leur grande réforme fiscale que Vincent Van Peteghem (CD&V) prépare. Car c’est ce que Bouchez dénonce depuis des mois : le dossier des footballeurs professionnels n’était que le prélude à des contestations plus importantes.
    • « Ce n’est possible que si l’Open Vld obtient des garanties solides que les acquis de l’accord de coalition, y compris la loi de 1996, ne seront pas affectés. Et cela leur donnerait l’occasion de jouer enfin pleinement De Croo. Mais alors, Lachaert devrait ravaler son égo et admettre que toute cette fabrication de « un et indivisible était une absurdité », nous dit-on.
  • Pourtant, tout le monde se rend compte de la complexité de la manœuvre. Cela ne semble donc réalisable que si les deux grands acteurs du jeu fédéral sont sur la même longueur d’onde : Magnette et De Croo. Et de point de vue, rien n’est joué. Car il y a aussi de la friture sur la ligne entre le PS et l’Open VLD.
  • L’autre grand point de blocage, c’est bien sûr qu’avec la sortie du MR, le gouvernement fédéral prend un virage encore plus à gauche. Pas sûr que cela se transforme par de la clarté au profit du CD&V et de l’Open VLD. Mais les partenaires francophones PS et Ecolo sont eux clairement excédés.
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