À quelle vitesse le marché du travail américain se remettra-t-il de ce cataclysme historique?

Jamais dans l’histoire des États-Unis, autant d’Américains n’avaient perdu leur emploi en si peu de temps. La question qui hante les quelque 20 millions de nouveaux chômeurs est désormais la suivante: est-ce temporaire ou permanent?

Du paradis à l’enfer

Le contraste ne pourrait pas être plus grand. Avant le bouleversement de la crise du coronavirus, le chômage américain était à son plus bas niveau depuis cinquante ans. C’était un trophée que le président Donald Trump souhaitait brandir dans sa campagne de réélection. Mais en avril, le taux de chômage est monté en flèche, passant de 4,4 % en mars à 14,7 % en avril. Sur les 156 millions de personnes prêtes à travailler, 23 millions n’ont pas d’emploi. C’est le plus haut niveau depuis 1948, l’année où l’on a commencé à mesurer le chômage. Le graphique monte si rapidement qu’il est presque impossible de le voir (la ligne verticale à l’extrême droite). D’autres indicateurs font également un bond vers des records historiques inquiétants.

Taux de chômage aux États-Unis depuis 1948 – graphique Fed St Louis

Bien pire que pendant la crise financière

Selon les experts, le taux de chômage réel est encore plus élevé car de nombreux demandeurs d’emploi qui étaient à moitié disponibles ont quitté le marché du travail et ne sont donc plus repris dans les chiffres. Si l’on inclut cette catégorie, le taux de chômage atteint 22,8 %, contre 17,2 % au plus fort de la crise bancaire en 2007-2009. Et ce, sans compter les employés qui ont encore un emploi pour l’instant, mais qui craignent pour leur avenir immédiat. Comparée au champ de bataille actuel, la crise bancaire paraît bien gentille. 9 millions d’emplois américains avaient été perdus en deux ans. Aujourd’hui, plus de 20 millions d’emplois ont disparu en… un mois.

Les emplois mal rémunérés dans l’industrie hôtelière ont en particulier souffert, conséquence logique et immédiate du lockdown. Mais dans d’autres secteurs également, les dégâts sont importants. Les 20 % de revenus les plus faibles représentent ainsi plus d’un tiers des pertes d’emploi. La pauvreté menace aujourd’hui de nombreux bas salaires. Les emplois les mieux rémunérés ont eux été moins supprimés. Le paradoxe veut que le salaire horaire moyen américain soit en hausse, de 1,3 à 30 dollars par heure. En temps normal, cela peut indiquer que les employés sont mieux payés. Mais dans ce cas, la cause est moins rose: les revenus les plus faibles sont les premiers à être poussés hors du bateau.

Une lueur d’espoir

Les emplois reviendront-ils bientôt? On ne peut exclure cette possibilité, malgré tous les rapports apocalyptiques, car la majorité des personnes concernées supposent qu’elles retrouveront du travail. Le taux de chômage américain est calculé sur la base d’enquêtes et plus de 85 % des chômeurs se sont placés dans la catégorie ‘perte d’emploi temporaire’. Seule une petite minorité parle de ‘perte d’emploi permanente’.

Et qui a une meilleure idée de leurs perspectives d’emploi que les chômeurs eux-mêmes? ‘Cela offre une lueur d’espoir’, a déclaré Larry Kudlow, conseiller économique du président Trump et ancienne personnalité de la télévision. ‘Cela ne garantit pas qu’ils retrouveront leur emploi, mais indique que le lien entre le travailleur et l’entreprise est toujours intact.’

Les chiffres dramatiques du chômage expliquent pourquoi tant d’États américains rouvrent leur économie plus tôt que ne le recommandent certains experts de santé publique. La pression exercée de bas en haut sur les gouverneurs s’accroît et, dans certains cas, conduit à des protestations d’extrême droite armées. La réouverture des magasins et des restaurants, entre autres, est une arme à double tranchant. À partir de juin, cette relance pourrait se traduire par de meilleurs chiffres sur l’emploi, indique Kudlow. Mais elle augmente également le risque d’une plus grande propagation du coronavirus. En attendant, les États-Unis doivent faire le deuil de plus de 80.000 personnes à cause de la maladie.

Une reprise en V, U ou en logo de Nike ?

Trump compte sur un solide coup d’accélérateur de l’économie au second semestre, ce qui donnerait aussi un coup de fouet à sa campagne de réélection. Cependant, la plupart des économistes considèrent qu’une reprise rapide en forme de V est peu probable. Car dans les prochains mois, l’activité économique continuera de souffrir de la distanciation sociale et d’autres mesures restrictives visant à contenir le coronavirus. Le gestionnaire d’actifs Candriam voit plutôt une reprise en forme de U, qui prendra un certain temps pour revenir à une activité économique ‘normale’.

Les économistes d’ING s’attendent eux à ce que l’économie américaine se contracte de 7 % en 2020. Mais des scénarios plus graves sont également évoqués. Dans le pire des cas – des fermetures prolongées en raison d’une réouverture trop rapide – les modèles d’ING suggèrent une baisse incroyable de 14,7% en 2020.

Le professeur d’économie new-yorkais et prix Nobel d’économie Paul Krugman n’a pas de V, U ou L, mais une autre courbe en tête. ‘Je suis presque sûr que le graphique ressemblera plus au logo de Nike’, a déclaré l’économiste bien connu sur Twitter. ‘La reprise sera donc beaucoup plus lente que le déclin initial. La question est: à quelle vitesse?’

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