Après le sevrage du gaz naturel, il restera le GNL : l’Europe n’en à pas fini avec la Russie

Si l’Europe se passe de mieux en mieux de gaz naturel russe, elle a augmenté ses importations de GNL depuis le même pays. Une situation difficile, car garder Poutine comme fournisseur offre à ce dernier des moyens de pression, mais passer à d’autres sources pourrait s’avérer plus coûteux, tout en privant d’autres pays de ce précieux GNL.

Pourquoi est-ce important ?

L'Union européenne s'est rendu compte bien tard de l'ampleur de sa dépendance énergétique en général et vis-à-vis de Moscou en particulier. L'UE a, en 8 mois, fait des efforts énormes pour se trouver des alternatives et d'autres sources d'approvisionnement afin de tarir cette manne financière de la Russie. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, et de valves à fermer.

Les faits : Le sabotage présumé des gazoducs Nord Stream, le mois dernier, a en quelque sorte précipité les choses : l’Union européenne n’a jamais consommé si peu de gaz naturel russe.

Une dépendance chasse l’autre

  • Les importations par gazoducs ont diminué de moitié, passant de 105,7 milliards de m3 au cours des neuf premiers mois de l’année dernière à 54,2 milliards de m3 au cours de la même période cette année, selon les chiffres de la Commission européenne.
  • Mais pendant ce temps, les importations de GNL (gaz naturel liquéfié) ont considérablement augmenté, y compris depuis la Russie. Toujours selon des chiffres issus de la Commission, entre janvier et septembre 2022, les pays de l’UE ont importé 16,5 milliards de mètres cubes (mmc) de GNL russe, contre 11,3 mmc sur la même période l’année dernière. Si l’échelle de cette hausse n’est pas vraiment comparable à celle du tarissement des gazoducs, il n’empêche que l’UE en est toujours à abandonner une dépendance pour en embrasser une autre.
  • La France, les Pays-Bas, l’Espagne et la Belgique ont été les principaux importateurs de GNL russe en 2022, selon une analyse du groupe de surveillance du marché de l’énergie Montel. L’Hexagone seul représente la moitié de cette hausse de consommation. Seuls deux pays d’Europe – le Royaume-Uni et la Lituanie – ont complètement arrêté les importations de GNL russe.
  • Au total, Montel estime que les importations européennes de GNL russe ont augmenté de 21 % en glissement annuel au cours des neuf premiers mois de 2022. Quant au mois d’octobre, il représente à lui seul une hausse de 10% en glissement annuel.
  • Ce GNL ne provient pas de la société d’État russe Gazprom, mais de la société privée Novatek qui exploite le terminal GNL de Yamal, dans le nord-ouest de la Sibérie, dont le géant français de l’énergie TotalEnergies est un actionnaire minoritaire rappelle Politico. Mais elle est aussi suspectée de liens étroits avec le Kremlin, selon le Center on Global Energy Policy de l’université Columbia.

L’enjeu : difficile pour l’Europe de stopper ses importations de GNL russe, d’autant que cela aurait des répercussions bien au-delà de ses frontières.

Le risque de devenir un concurrent déloyal

  • Selon Anne-Sophie Corbeau, chercheuse à Columbia, il est logique que l’UE jette un voile pudique sur ce nouveau problème gazier. Car en coupant cette source russe, l’Union devrait se tourner vers d’autres sources de GNL, plus chères, mais aussi indispensables aux économies asiatiques, qui n’ont pas forcément les moyens de soutenir une guerre des tarifs si les Européens se mettent à convoiter ce gaz: « Les prix seraient stratosphériques et ce serait extrêmement mauvais non seulement pour l’Europe, mais aussi pour de nombreux pays qui ne pourraient plus se permettre d’acheter du GNL. » De quoi provoquer une nouvelle crise donc, alors que l’économie n’est nulle part au beau fixe.
  • Mais il est aussi évident qu’en continuant à dépendre de Moscou, les États européens nourrissent indirectement l’effort de guerre russe en Ukraine, tout en laissant aussi à Vladimir Poutine un levier bien utile pour faire pression sur l’un ou l’autre pays en jouant avec les valves, comme il savait si bien le faire avec ses gazoducs.

« Alors que l’UE parle de sanctions et d’embargos, la réalité est que très peu de choses sont faites pour réduire les importations de GNL. L’Europe doit agir maintenant et arrêter ce financement absurde et contre-productif de la machine de guerre russe. »

Svitlana Romanko, directrice du groupe de campagne ukrainien Razom We Stand citée par Politico
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