Demain, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) réunira son kern pour passer en revue un certain nombre de dossiers. Le jobs deal semble être sur de bons rails : il va enfin se concrétiser. « Vous pouvez le sentir », confirment les sources gouvernementales. Mais avant tout, le budget de la défense doit être réglé. La Belgique est l’un des trois derniers pays de l’OTAN à ne pas annoncer un budget de 2% du PIB : la pression internationale est énorme. En fait, cette semaine, tous les partis, sauf un, étaient d’accord, y compris Groen. « Nous avons revu notre point de vue entretemps », voilà ce qu’on entend chez les Verts flamands. Et même le vice-premier ministre Ecolo, Georges Gilkinet, est fondamentalement prêt à changer de position. Mais un homme s’y oppose : Jean-Marc Nollet, coprésident d’Ecolo. « Ils doivent maintenant nous dire si c’est ‘oui’ ou ‘non’. Mais si vous jouez aux colombes de la paix, pourquoi fournissez-vous des armes depuis des mois à l’Ukraine ? », s’emporte-t-on dans la coalition.
Dans l’actualité : Le rapport de 59 pages du « groupe d’experts » présenté ce mercredi au gouvernement n’a pas vraiment impressionné la Vivaldi.
Les détails : le président du groupe d’experts, le gouverneur de la Banque nationale, Pierre Wunsch, est venu répéter l’analyse semestrielle qu’il avait faite quelques jours auparavant, avant de formuler toute une série de recommandations (plutôt vagues).
- Lors de la session de l’après-midi de mercredi, Wunsch est venu remettre un premier « rapport intermédiaire » du fameux « groupe d’experts » sur le pouvoir d’achat. C’était censé donner une impulsion au gouvernement fédéral qui, depuis des mois, veut « faire quelque chose » pour stopper les effets d’une guerre, de la flambée des prix de l’énergie et la spirale inflationniste, avant que cela ne fasse trop mal au porte-monnaie des citoyens.
- Mais Wunsch, sans surprise, n’a pas trouvé de formule magique. Au contraire. Son rapport se lit avant tout comme un avertissement classique à l’intention des responsables politiques. Car, pas plus tard que lundi, Wunsch – un libéral qui a été placé au poste de président par le MR – avait déjà fait une analyse similaire depuis son rôle à la Banque nationale. À ne pas oublier :
- L’indexation automatique protège largement les ménages, mais avec un certain retard.
- Ce sont surtout les entreprises qui vont payer le choc des prix de l’énergie.
- L’inflation va se refroidir, on peut en être raisonnablement sûr.
- L’économie ne s’arrêtera pas, mais reprendra à l’automne.
- Le déficit budgétaire est un vrai problème.
- Puis, à l’aide d’un grand nombre de powerpoints, Wunsch a souligné la vulnérabilité de certains secteurs par rapport à l’inflation. Mais dans leurs « réponses politiques », Wunsch et co. n’ont fait qu’enfoncer des portes ouvertes. Il y a, bien sûr, une référence au marché du travail qui doit être réformé. « Le moment est venu », écrivent les experts. Sans vraiment dire ce qu’il faut faire : c’est en effet une discussion politique sérieuse en soi, à laquelle le groupe d’experts idéologiquement hétérogène ne s’est pas risqué, au grand dam de certains partis gouvernementaux : « Quel est donc le sérieux de cette analyse ? », conteste un vice-premier ministre.
- En outre, le rapport contient toute une liste de mesures possibles. Celles-ci sont principalement destinées à intervenir à court terme : après tout, l’année prochaine, l’indexation automatique viendra résoudre presque complètement le problème du pouvoir d’achat, tel est le raisonnement. Pour la Vivaldi, c’est un peu le jeu des souhaits : presque tous les partenaires de la coalition peuvent choisir quelque chose dans la liste des propositions.
- Il convient toutefois de noter qu’il semble y avoir un consensus entre les experts sur les mesures « vertes » en particulier. Par exemple, il existe une proposition de déductions fiscales accélérées pour les investissements verts des entreprises. Et ils évoquent aussi, par exemple, une limitation de la vitesse à 100 kilomètres-heure sur les autoroutes, une proposition que les Verts défendent déjà farouchement, ce matin encore, par la voix de la vice-première ministre Petra De Sutter (Groen).
La réaction : la Vivaldi n’a pas réagi avec un enthousiasme débordant. En particulier, Vooruit et le cd&v ont posé des questions critiques.
- La longue liste de propositions, allant jusqu’à la limitation de la vitesse à 100 kilomètres par heure, ne suscite pas l’enthousiasme de tous. « En quoi est-ce une mesure du pouvoir d’achat, il faudra m’expliquer. C’est juste une intervention écologique. Ce n’était pas la mission », c’est ce qu’on entend au sein de la coalition. « Toute cette liste va maintenant être soumise aux ICW (Inter-Cabinet Working Groups), les consultations gouvernementales. Voyons ce qu’il en reste », commentent poliment d’autres partenaires.
- Les experts ont également formulé des propositions fiscales. Ils veulent indexer les barèmes d’imposition plus tôt, par exemple. Car désormais, du fait de l’indexation automatique, le fisc semble être le grand gagnant des différentes augmentations successives des salaires. Les salaires augmentent mais les barèmes d’imposition ne suivent pas immédiatement : beaucoup de salariés vont bientôt se retrouver dans des barèmes supérieurs et payer plus d’impôts.
- Mais tant Vincent Van Peteghem (CD&V) que Frank Vandenbroucke (Vooruit) ont émis de nombreuses remarques : les propositions ne semblent pas suffisamment quantifiées et devraient être élaborées plus en détail. Ce sera pour le prochain rapport final.
- Il en va de même pour la réduction de la TVA sur le gaz et l’électricité. En tout cas, pour le gaz, un combustible fossile, cela ne semble pas justifié. La question est de savoir quand augmenter à nouveau les taux ; personne ne pense qu’une réduction permanente soit une bonne idée. Pas à un moment précis, mais à un prix précis, suggèrent les experts.
L’essentiel : les experts ne peuvent pas prendre les décisions à la place du gouvernement. C’est la Vivaldi qui doit le faire. La défense semble être le morceau plus important, pour ce week-end.
- Que ce soit consciemment ou inconsciemment, le groupe d’économistes expose le dilemme du gouvernement fédéral en termes très clairs. Car ils affirment sans hésiter que le budget part à vau-l’eau, pour ensuite proposer un certain nombre de nouveaux « stimuli » qui coûteront inévitablement encore plus d’argent.
- La question reste donc de savoir dans quelle mesure les experts et leur rapport vont réellement peser dans la discussion politique sur le pouvoir d’achat. Car les différences idéologiques socio-économiques apparaissent rapidement au grand jour. Et pour le PS et Ecolo, qui ont entretemps promis à leurs partisans des milliards d’euros de dépenses sociales supplémentaires, il doit y avoir bien plus que de simples interventions « mesurées et temporaires ».
- Au contraire, l’aile gauche du gouvernement est convaincue que si quelque chose de « gros » doit encore être fait, il faut le faire maintenant : lorsque les tempêtes économiques arriveront, la marge budgétaire aura complètement disparu. Ce sera donc une des discussions difficiles avant l’été.
- « On procédera par petites étapes. Par exemple, par le jobs deal. De Croo veut clairement engranger. C’est pourquoi il a annoncé que cela pourrait prendre ‘tout le week-end, si nécessaire’. Il doit y avoir une percée », déclare une source gouvernementale haut placée.
- Depuis un certain temps, le Premier ministre souhaite également une percée dans la discussion sur le budget de la défense. Le kern s’est déjà réuni sur ce dossier ad nauseam, au moins quatre fois. Mais Ecolo campe sur ses positions : pas de 2% du PIB d’ici 2035. Au mieux, ils sont prêts à lâcher une « promesse ouverte », sans date précise, comme l’a fait un jour le Premier ministre Elio Di Rupo (PS) en 2014. Cette approche ne semble pas passer cette fois-ci.
- La pression est immense au niveau international : maintenant que l’Allemagne a complètement changé de cap, la Belgique fait partie du groupe des trois derniers pays de l’OTAN qui n’ont pas encore annoncé une augmentation à 2%, avec le Canada et le Portugal. Et cette semaine encore, le Premier ministre De Croo se tenait à côté d’un groupe de collègues de l’OTAN à La Haye, sans pouvoir annoncer une quelconque bonne nouvelle.
- Mercredi, à la Chambre des représentants, au sein de la commission de la défense, deux résolutions ont été présentées, une par le MR et l’autre par la N-VA, pour accepter ces 2% comme la norme. Mais le vote a finalement été reporté à la semaine prochaine. De cette façon, le gouvernement a la possibilité de résoudre le problème, le vendredi ou le samedi.
- Dans les couloirs, on entend qu’Ecolo semble mettre un point d’honneur à bloquer le dossier, contrairement à son parti frère flamand. Groen a le sentiment qu’il s’est déjà bien battu et qu’il a montré à tous que le dossier devait être élargi, au-delà de l’aspect purement militaire. Hier encore, une réunion a eu lieu entre les nouveaux présidents de Groen, Jeremie Vaneeckhout et Nadia Naji, et les ministres de Groen. « Entretemps, nous nous sommes clairement exprimés », a-t-il déclaré.
- Ecolo joue le jeu beaucoup plus durement dans ce dossier. « Jean-Marc Nollet en fait une épreuve de force. Mais ce n’est pas comme ça que fonctionne une coalition, vous ne pouvez pas continuer à bloquer un dossier aussi important tout seul. Le consensus est là, Ecolo doit maintenant dire clairement s’il va continuer à s’y opposer, seul », déclare une source haut placée chez Vivaldi.
- Dans le même temps, personne ne s’attend à ce que des décisions majeures sur le « pouvoir d’achat » soient prises ce week-end. Lundi, les syndicats manifesteront dans le cadre d’une grande action nationale, qui sera assez houleuse : les propositions des employeurs du Voka et de la FEB pour faire un saut d’index auront bien chauffé les troupes. On s’attend à ce qu’un groupe de partis de la Vivaldi, socialistes et verts, se joigne à la manifestation, aux côtés de l’opposition, avec le PTB.
- D’ailleurs, après leur « rapport préliminaire », les experts ont prévu une nouvelle version de leur liste d’ici juillet. La véritable date limite pour De Croo pour cette partie de « l’accord d’été » est donc plutôt le 21 juillet, le jour où le gouvernement partira en vacances.
A noter : la ministre Tinne Van der Straeten (Verts) a reçu de bonnes nouvelles de la Banque nationale. Alors que la BNB s’est déclarée « non compétente et non experte » sur la taxation des surprofits du secteur de l’énergie.
- Y aura-t-il une taxe sur les excédents de bénéfices qu’Engie-Electrabel réalise maintenant que les prix de l’électricité s’envolent ? L’équipe Vivaldi y réfléchit sérieusement et la ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten, a demandé conseil à la Banque nationale, après l’avoir fait auprès de la Creg. L’enjeu est le suivant: se protéger juridiquement contre un recours, vu qu’un accord de 2015, sous le gouvernement Michel, stipule que les taxes resteront inchangées jusqu’en 2025.
- « La Banque nationale est d’avis qu’une taxe sur les bénéfices excédentaires est judicieuse ». C’est en tout cas ce qu’en retient la ministre fédérale de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen). « En principe, la Banque nationale est favorable à un système permanent, mais elle voit aussi des possibilités pour une contribution temporaire de crise, comme c’est le cas dans d’autres pays. Et c’est à cela que nous allons nous atteler maintenant », a-t-elle déclaré à la VRT, après que l’avis a été divulgué dans Le Soir et De Standaard.
- Mais il y a une nuance dans la lettre, et aussi dans le rapport d’expertise de mercredi sur le « pouvoir d’achat » du même Wunsch de la Banque nationale : ils soulignent notamment que les deux grands producteurs, Electrabel et Luminus, n’ont pas fait tellement de bénéfices depuis 2015. Et que les augmentations de prix sont « nécessaires pour la rentabilité des producteurs d’énergie renouvelable ». Une « taxe sur les bénéfices excédentaires » devrait donc être structurelle et proportionnée : elle est alors prévisible et claire pour le secteur, tel est leur raisonnement.
- Et au sein de la Vivaldi, certains sont un peu agacés par le volontarisme de Van der Straeten. « La lettre d’accompagnement contient une explication complètement différente », disent-ils. Car la Banque nationale y déclare qu’elle « n’est ni compétente ni experte » pour formuler une recommandation précise. « La Banque nationale ne peut pas se prononcer sur la faisabilité juridique des propositions », écrivent-ils. Pas tout à fait la même chose que la « fumée blanche » que l’on croit voir du côté de la ministre.