La Russie veut construire un centre de production de son vaccin Spoutnik V en Inde, en proie à une très violente vague de coronavirus. Moscou veut également augmenter ses expéditions vers le Venezuela, tandis que les États-Unis décideront bientôt quels pays pourront recevoir les vaccins AstraZeneca dont ils vont se séparer. La diplomatie vaccinale, via laquelle les superpuissances utilisent leurs vaccins pour acquérir une influence mondiale, passe à la vitesse supérieure.
La Russie a livré 80.000 doses supplémentaires de Sputnik V au Venezuela, ce qui porte le total à 380.000, a-t-on appris le week-end dernier. Le pays pétrolier sud-américain (25 millions d’habitants) a également déjà reçu 500.000 doses du vaccin fabriqué par la société chinoise Sinopharm. Des engagements qui rendent le dirigeant autoritaire Nicolas Maduro dépendant de Moscou et de Pékin. Le Venezuela n’est pas un cas isolé dans la région. Les Russes ont largement diffusé Sputnik V, qui est utilisé au total dans 30 pays, en Amérique du Sud. Sur les 7,2 millions de doses de vaccin reçues par l’Argentine, 4 millions étaient russes.
Tensions géopolitiques
‘Certains gouvernements, tels que ceux la Chine et la Russie, utilisent les offres de fournitures médicales et de vaccins pour renforcer leur position géopolitique’, indiquent les agences de renseignement américaines dans leur rapport annuel publié récemment. Les États-Unis s’attendent à ce que le jeu entre les superpuissances soit de longue durée. ‘Les conséquences économiques et politiques de la pandémie se feront sentir dans les années à venir, les tensions géopolitiques augmentant à mesure que les grandes puissances cherchent à accroître leur influence’, indiquent-ils.
Le jeu de Stratego n’est peut-être nulle part aussi évident que dans la Hongrie de Viktor Orban. L’État membre de l’UE est approvisionné en vaccins par l’Europe, mais il a lui-même signé des contrats avec Sinopharm et Sputnik V. Orban lui-même a d’ailleurs reçu le vaccin chinois.
Naturellement, les États-Unis ne laisseront pas l’‘expansionnisme vaccinal’ de la Russie, qui prétend avoir fabriqué le meilleur vaccin, et de la Chine, se poursuivre. L’offre de vaccins aux États-Unis dépassant aisément la demande – le pays n’aura pas besoin d’AstraZeneca: le président Joe Biden doit décider vers quels pays iront les doses qui avaient été commandées. Plus tôt, il avait fait allusion aux ‘pays voisins et à l’Amérique centrale’, peut-être pour renforcer les liens avec le Canada et le Mexique, mais l’énorme crise sanitaire qui frappe l’Inde actuellement a mené à des appels à lui donner la priorité.
La Russie, quant à elle, prévoit de construire un ‘centre de production’ pour Sputnik V en Inde, qui a récemment autorisé l’administration du vaccin russe pour sa population. Le fonds souverain russe a déjà conclu des accords avec six entreprises indiennes. Ensemble, ils produiront au moins 750 millions de doses.
Influence en Asie
Le rapprochement entre la Russie et l’Inde peut être une épine dans le pied des Américains. Comme l’Amérique latine, l’Asie est en train de devenir un champ de bataille majeur. ‘Les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie ont ratifié un accord visant à fournir des vaccins Covid-19 dans toute l’Asie d’ici la fin 2022. Cette diplomatie vaccinale pourrait jouer un rôle dans l’endiguement de l’influence régionale croissante de la Chine et dans la consolidation des valeurs démocratiques dans toute l’Asie’, écrit le grand courtier en assurances Marsh dans un rapport sur le risque politique.
Autrement dit, les enjeux sont ici bien plus importants que la lutte de chaque pays contre le coronavirus: le bloc qui contrôlera le mieux le marchandage des vaccins va pouvoir étendre son influence géopolitique dans le monde.
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