Le sexisme, la face cachée des plateformes de streaming de jeux vidéo

Sur Twitch, la plus grande plateforme de streaming au monde, les comportements sexistes et le harcèlement seraient monnaie courante. Le symbole d’un secteur encore très peu ouvert aux femmes, dominé par une masculinité toxique.

Le sexisme, c’est un peu celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom sur Twitch. Un sujet hautement tabou, mais qui sévit pourtant bien sur la plateforme. ‘C’est tellement tabou dans les jeux vidéo que personne ne veut trop se mouiller’, déplore sur le réseau un utilisateur relayé par Korii.

Non, les femmes ne sont pas les bienvenues sur la (les) plateforme de streaming. Avec des critiques sur leur physique plutôt que sur leurs capacités, Twitch serait un concentré du sexisme ordinaire de la vie réelle. Personne n’en parle, mais une étude américaine dénonçait déjà ce problème en 2016. Depuis, la plateforme s’est accrue, et le sexisme aggravé.

Insultes et cyberhacèlement

Si certaines ont le malheur d’en parler, la communauté de Twitch les punissent sur la place publique. C’est ce qui est arrivé à une étudiante de Grenoble qui a publié sur Twitter une recherche de près de cent pages sur le sexisme véhiculé par trois des plus grandes chaînes Twitch françaises. L’une d’elles, Kamet0, partage le tweet dans la minute, complémenté d’un ‘ça m’ennuie’. La jeune femme reçoit alors ‘une pluie de réponses du même genre, et beaucoup de messages privés violents’, comme le rapporte Korii. Un cyberharcèlement en règle, dont Kamet0 n’est pas peu fier.

https://twitter.com/Kammeto/status/1191784047976091651

Un autre utilisateur est souvent accusé de sexisme: Sardoche, l’un des streamers les plus populaires. ‘S’il peut se permettre de dire que “Même avec un balai, elles puent la merde aux Jeux olympiques”, pourquoi les autres nous respecteraient? Quand deux des cinq plus gros streameurs posent problème, lui et Kamet0, c’est qu’il y a un problème sur Twitch’, affirme à son encontre le pseudo ZulZorander.

‘Elles le méritent’

Et on peut dire que la réponse aux critiques du principal intéressé est pour le moins curieuse. ‘Au début, si je trouvais que quelqu’un méritait ma foudre, ça m’arrivait de retweeter sans rien dire, et je me disais “Si les gens de ma communauté voient ça passer, je veux voir leur avis”. Et souvent effectivement ça tournait en insultes, donc je ne le fais plus. Ou que contre les personnes très ridicules, celles qui recherchent la haine sur internet, et je leur donne. Mais c’est très rare. Et généralement ces personnes le méritent’.

Minimisé et banalisé, le problème du sexisme sur Twitch n’en est qu’aggravé, voire excusé. Car ces streamers possèdent une grande influence (néfaste dans ce cas) sur les autres utilisateurs. ‘Si quelqu’un tombe dans les blagues sexistes, il aura un public intéressé pour rentrer dans ce jeu-là’, explique le joueur Julien Paniac. Sans vraiment en subir la responsabilité.

Twitch trop laxiste?

Cette misogynie décomplexée, Fanny Lignon l’explique par une réappropriation des normes masculines dans son ouvrage Genre et jeux vidéo (2015). ‘Longtemps éloignés de l’image de l’homme viril traditionnel, certains amateurs de jeux vidéo se seraient réapproprié les codes de la masculinité pour s’affirmer en tant qu’hommes à travers les compétences techniques’, explique Korii. Le nouveau graal viril: la performance geek.

Expliquer un phénomène, c’est bien, le relayer pour y remédier, c’est mieux. Twitch se contente d’interdire temporairement les utilisateurs dont les propos sont jugés trop extrêmes. Du moins, quand elle décide de s’en mêler. ‘On attendrait des prises de position beaucoup plus fortes’, note Julien Paniac. ‘On a l’impression que tant que le problème n’est pas financier, c’est le statu quo.’ C’est que ces streamers aux allures misogynes font énormément de vues, et rapportent donc un paquet d’argent.

Si Twitch affirme ‘avoir une tolérance zéro envers les comportements haineux et les propos haineux’, le geste n’y est pas encore. Il faudra donc attendre que les langues se délient, sous peine d’être expulsées d’un secteur qui est aussi pour beaucoup de femmes une véritable passion. Certaines n’hésitent pourtant pas à prendre les armes, comme l’utilisatrice Marine Périn, qui lancera bientôt une libre antenne féministe sur Twitch. Le début d’une nouvelle vague post-#MeToo?

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