“Mettre le feu à tout”: la stratégie paranoïaque qui fonctionne pour Donald Trump

Depuis qu’il a annoncé au printemps 2015 qu’il était candidat à la présidence américaine, Donald Trump n’est jamais sorti de l’actualité pendant au moins une heure. Personne d’autre n’a jamais rien connu de semblable. Trump est le roi de la doctrine du « eux » contre « nous », dans laquelle il implémente sa vision du rôle de victime sur le monde. Non seulement cette stratégie fonctionne, mais personne n’est capable de trouver un antidote pour le moment.

Quand Bill Clinton a remporté l’élection présidentielle américaine en 1992, le Parti républicain était dirigé par un groupe de “Clinton Haters” (‘ceux qui détestent Clinton’) indécrottables et infatigables, qui, dès le premier jour de sa présidence, ont donné de Clinton l’image d’un homme qui avait réussi à manipuler le peuple américain et qui s’était approprié illégalement le pouvoir. En aucun cas ces personnes n’ont accepté la présidence de Clinton.

Lors de son inauguration, au début de l’année 1993, il a été accueilli dans l’atmosphère haineuse qui régnait après le scandale du Watergate et qui a dégoûté la population de la politique des États-Unis, avec ses audiences, ses enquêteurs spéciaux, ses accusations, ses calomnies et ses attaques contre les personnalités publiques. Un quart de siècle plus tard, peu de choses ont changé, la seule différence étant que c’est un Républicain qui réside maintenant au 1600, Pennsylvania Avenue à Washington, DC. Il exploite les médias en continu, 24/24 et 7/7, pour communiquer au monde les théories de conspiration les plus aberrantes à un rythme sans précédent.

Le ‘Deep State’

Donald Trump tente maintenant de convaincre les Américains depuis des mois qu’un « État profond » (‘deep state’) prospère en coulisses, et qu’il n’a qu’un seul objectif: mener « la plus grande chasse aux sorcières de l’histoire ». Trump n’est pas le seul à défendre cette théorie. Des livres ont été écrits à ce sujet; le présentateur du journal télévisé de la Fox, Sean Hannity – un intime du président – consacre 60 minutes quotidiennement à démêler le « Deep State », et Donald J. Trump junior (l’un des fils du président américain) a tweeté récemment: « Le ‘Deep State’ est réel, illégal et il menace la sécurité nationale ».  

Des dizaines de millions de sympathisants du président américain – qui ne consultent que Breitbart et des personnalités comme Sean Hannity (3 millions de téléspectateurs chaque soir) pour connaître l’actualité – sont convaincus que Trump est la cible d’une énorme machine qui manipule les politiciens et qui conspire contre lui, une théorie que nous avions auparavant l’habitude d’entendre de la bouche de dirigeants de pays tels que la Turquie, le Venezuela, l’Égypte ou le Pakistan.

Autrement dit, des pays ayant généralement une longue histoire de coups d’État militaires, peu ou pas de tradition démocratique et surtout, avec un niveau d’éducation insuffisant. Pas exactement la liste où vous placeriez les États-Unis.

Les théories paranoïaques dominent le discours politique américain traditionnel

Mais ce n’est pas parce qu’une théorie est populaire, qu’elle est aussi vraie. Si le ‘Deep State’ voulait la tête de Trump, pourquoi le directeur du FBI, James Comey, a-t-il enquêté sur les emails de Clinton 10 jours avant les élections ?

La controverse du «Deep State» est peut-être l’émanation d’un fantasme, mais elle montre bien que les théories paranoïaques se sont fait une place dans le discours politique américain dominant. 

SPYGATE et WITCH HUNT (en lettres majuscules, s’il vous plaît)

Ce qui est inquiétant, c’est le rôle principal que le président s’est arrogé. Il ne se passe pas un jour sans qu’il attaque au moins une institution ou une personnalité (les médias, le FBI, la CIA, Robert Mueller, l’équipe de Mueller, les Démocrates, les républicains peu fiables, le Ministère de la Justice …) en employant des termes peu conventionnels pour faire valoir son point de vue : « bigger than Watergate » (‘plus gros que le Watergate’), « criminal deep state »  (‘État profond criminel’), « WITCH HUNT » (‘chasse aux sorcières’), « SPYGATE could be one of the biggest political scandals in history! »  (‘Le Spygate pourrait être l’un des plus grands scandales politiques de l’histoire’), etc., etc. …

Pour que personne ne croit plus en rien

Il ne fait aucun doute qu’il y ait une stratégie derrière cela. Lesley Stahl, une journaliste qui est surtout célèbre pour sa collaboration à l’émission d’actualité “60 Minutes” a rapporté plus tôt cette semaine qu’elle avait rencontré Trump peu de temps après son élection. Avant le début de l’interview, il avait recommencé à attaquer la presse. Lorsqu’elle lui avait dit que c’était fatigant et qu’il devait arrêter parce qu’il avait gagné et qu’il était temps de tourner la page, Trump a répondu: 

« Savez-vous pourquoi je fais cela ? Je le fais pour vous discréditer et vous rabaisser tous autant que vous êtes, afin que personne ne puisse vous croire si vous écrivez du mal sur moi. »

Dénigrer pour passer d’un poids léger politique à un colosse politique

C’est exactement ce que Trump a fait pendant la campagne : sans cesse brutaliser, humilier, insulter et rabaisser ses adversaires ( « crooked Hillary » (‘Hillary la tordue’), « little Marco » (‘le petit Marco’), « lying Ted » (‘Ted le menteur’), « low energy Jeb » (‘Jeb l’apathique’ … ) afin d’influencer la perception des électeurs.

Les opposants ont ainsi été présentés sous un mauvais jour de la manière la plus vicieuse qui soit, avec des accusations exagérées et même fausses (Trump est l’inventeur de la controverse « birther », une théorie qui voudrait qu’Obama n’est pas né aux États-Unis et qu’il ne pouvait donc pas être président) . Cela a bien fonctionné, car avant la campagne, Hillary était un colosse politique, et Trump un poids léger. 16 mois plus tard, les rôles étaient complètement renversés.

Peu de ses victimes ont réussi à se défendre. Elles ne sont pas allées au delà d’un commentaire sur un « comportement non-présidentiel ». Mais ses électeurs avaient compris bien avant qu’ils ne se rendent aux urnes que Trump se comportait d’une manière non-présidentielle. Et ils s’en fichaient.

What’s next ?

Il est possible que nous n’ayons pas encore touché le fond. Le cycle des news 24/24 survit aujourd’hui grâce à un seul homme : Donald Trump. Il donne du pain et des jeux à son peuple. A chaque heure de sa journée de télé-réalité. Les audiences de Fox, CNN, MSNBC et d’autres s’effondrent quand Trump sort de la politique. Et il le sait.

Dans un article d’opinion paru dans le Wall Street Journal, l’auteur Joseph Epstein a récemment suggéré l’idée d’introduire un « Trumpless Thursday«   (un ‘jeudi sans Trump’) hebdomadaire. Ce jour-là, personne ne devrait mentionner Trump, ni dans les médias, ni dans les conversations ordinaires.

Pour nous rappeler à quel point le monde pourrait être merveilleux sans la nuisance constante, bruyante et intrusive des politiciens paranoïaques.

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