Sur fond de mauvais sondages, le PS bruxellois se déchire en deux clans

Sur fond de mauvais sondages, le PS bruxellois se déchire en deux clans
Ahmed Laaouej et Rudi Vervoort, en mars 2019, à l’occasion de la présentation des listes. Laurette Onkelinx en arrière-plan – PAUL-HENRI VERLOOY/AFP via Getty Images

La confection des listes électorales à Bruxelles ne se fait pas sans heurts du côté socialiste. Elle met à nouveau en évidence les divisions au sein du PS bruxellois, en deux camps : celui mené par Ahmed Laaouej, chef du PS bruxellois et candidat à la ministre-présidence de la Région, et l’ex-clan Onkelinx, dont Rachid Madrane (PS) est la dernière victime. Ce dernier, vexé de ne figurer que 5e sur la liste de la Région, a annoncé samedi qu’il ne se présenterait pas en 2024. En 2019, il avait pourtant obtenu le 2e meilleur score de la liste. Pendant ce temps, à Molenbeek, bastion socialiste, la bourgmestre Catherine Moureaux a prolongé son certificat médical jusqu’au 7 janvier, dans un contexte de lutte interne acharnée. Absente depuis le mois d’octobre, certains craignent qu’elle ne revienne jamais de sa période de convalescence. Le point commun de ses luttes intestines est que le PS semble se perdre à Bruxelles : le dernier Grand Baromètre Le Soir-RTL Info-Ipsos place le PS comme la 4e force politique de la capitale, loin derrière le PTB.

Dans l’actu : le malaise est palpable au sein du PS bruxellois.

Les détails : alors que le PS se porte à merveille en Wallonie, il trébuche à Bruxelles. La guerre clanique qui oppose les courants communautariste et laïque y est-elle pour quelque chose ?

  • Nouvel épisode de la division au sein du PS bruxellois, ce week-end. Rachid Madrane, 10.833 voix de préférence en 2019, deuxième score malgré une 3e place sur la liste en Région, jette l’éponge. En 2024, l’actuel président du Parlement bruxellois ne s’est vu proposer que la 5e place. Un camouflet.
  • Terriblement vexé, Madrane a tiré à boulets rouges sur celui qui tirera cette liste à la Région : Ahmed Laaouej, candidat à la ministre-présidence. Juste derrière lui ? Ridouane Chahid, un proche de Laaouej, qui a pourtant récolté deux fois moins de voix que Madrane en 2019.
  • Madrane ne se présentera pas en juin 2024. Il ne quitte pas officiellement le PS, mais en est très proche. En tout cas, il n’a pas décidé de laver son linge sale en famille : dans Le Soir, il explique « qu’un repas à 6, il y a une dizaine de jours, a tout décidé« , « sans respect pour les militants ». Qui était présent ? Ahmed Laaouej, Rudi Vervoort, Caroline Désir, Ridouane Chahid, Philippe Close et Fadila Laanan. « Et quand tu regardes les listes, ces six personnes se sont en fait donné les postes« , constate Madrane.
  • Mais ne s’agit-il pas plutôt d’une question d’égo pour Rachid Madrane ? Sur la liste de la Région, on retrouve par exemple Karine Lalieux, en 2e place, et Nawal Ben Hamou, en 4e place, alors qu’elles ne sont pas connues pour être des proches du chef du PS bruxellois. « C’est ce que dit Ahmed Laaouej en disant que les courants sont représentés, mais Nawal a fait un travail magnifique. Pourquoi on n’a pas imaginé Nawal deuxième ? Et regardez, Karine. Elle est ministre fédérale et se retrouve deuxième à la Région », réplique Madrane, toujours dans Le Soir.
  • Au sein du camp de Madrane, on se lâche pour expliquer le pas de côté de Rudi Vervoort, actuel ministre-président, au profit de Laaouej. Vervoort a été positionné en 3e place sur la liste et le poste de président du Parlement bruxellois, le rôle actuel de Madrane, lui serait promis en cas de victoire des socialistes. « Le deal, c’est aussi que le parti réserve une bonne place à sa compagne Nadia Badri, échevine à Koekelberg et à son fils, Mathieu Vervoort, à Evere. En fait, c’est une affaire de famille », explique une source socialiste à la RTBF.
  • Du côté de Laaouej, on minimise les tensions. On préfère parler d’une déception personnelle et « d’un cas isolé » : « Nous sommes dans un moment qui est toujours un peu difficile, celui de la confection des listes où certains camarades se projettent, voient leurs aspirations ne pas être rencontrées », a-t-il expliqué.
  • Mais y a-t-il plus qu’une simple lutte d’égos ? Pour comprendre l’animosité entre Laaouej et Madrane, il faut revenir à la succession de l’ancienne cheffe du PS bruxellois, Laurette Onkelinx. En 2019, les deux socialistes se sont affrontés, et c’est le premier qui a remporté le strapontin pour seulement 6 voix. « Ça veut dire que je pèse donc la moitié à peu près de la fédération. Or, depuis qu’Ahmed préside, je n’ai jamais été associé aux décisions importantes de cette fédération », regrette Madrane ce week-end.
  • Mais de manière plus cruciale encore, Laaouej et Madrane représentent deux clans du PS : un courant plus inclusif – plus communautariste diront les détracteurs – contre un courant laïc. Voilà des années que ces deux camps s’entrechoquent sur des questions comme le port du voile dans l’administration ou l’abattage rituel.
  • Il y a moins d’un mois, Julien Uyttendaele (PS), fils du célèbre avocat Marc Uyttendaele et beau-fils de l’ancienne vice-première ministre Laurette Onkinx, quittait le PS bruxellois et décidait de ne pas se présenter pour les élections de 2024. Ce dernier dénonçait le fonctionnement interne ainsi qu’une stratégie communautariste sur les questions de la laïcité, au sein de la Fédération bruxelloise du PS.
  • Ce week-end, Julien Uyttendaele profitait de cette nouvelle querelle au sein du PS bruxellois pour renouveler ses griefs : « Pas d’appel à candidature, pas de comité électoral représentant toutes les tendances de la Fédé, pas de débat en section, vote au congrès sans discussion. On est loin des idéaux démocratiques qui animaient la campagne pour la présidence du PS bruxellois. Le Parti national doit reprendre les choses en main. Cela devient du grand n’importe quoi à Bruxelles. »
  • Pour comprendre tout ce qui oppose le clan Onkelinx au clan Laaouej, il faut sans doute remonter en mars dernier, lors d’une intervention de Marc Uyttendaele, au Café Laïque de Bruxelles. Voici ce qu’il disait : « Le fossoyeur de la laïcité a un nom : il s’appelle Ahmed Laaouej. Mais je crois qu’au-delà de ça, le pire, ce n’est pas Laaouej ou Ridouane Chahid, qui juge utile de se mettre en scène sur les réseaux sociaux dans des comportements religieux. Ce sont les muets, ce sont les silencieux, ce sont ceux qui, au moment du vote sur l’abattage avec étourdissement, se sont alignés derrière les religieux et ceux qui draguent les religieux. Le vrai problème est là. Il faut avoir le courage d’appeler un chat un chat », assénait l’avocat, regrettant que les laïcs au sein du PS bruxellois étaient « aux abonnés absents ».
  • Mais que reste-t-il de ce clan ? Onkelinx a quitté la politique. Madrane et Uyttendaele ont fait un pas de côté et Catherine Moureaux, à Molenbeek, est en très grande difficulté.

À Molenbeek : une autre lutte des clans affaiblit le PS à Bruxelles.

  • Y a-t-il encore une pilote dans l’avion ? À Molenbeek, la bourgmestre Catherine Moureaux (PS) est en repos depuis le 19 octobre. Et alors qu’elle annonçait début décembre son retour pour « bientôt », voilà qu’elle a fait prolonger son certificat médical jusqu’au 7 janvier 2024.
  • Il est là encore question d’une lutte des clans qui oppose la bourgmestre à son administration et à son échevin, Abdallah Achaoui. Ce dernier et plusieurs fonctionnaires accusent Moureaux de violences et d’intimidations physiques, ce que la bourgmestre a toujours nié, pointant du doigt du « harcèlement » et de la « diffamation ». Achaoui accuse la bourgmestre de l’avoir saisi par le cou pour l’expulser de son bureau. « Elle a littéralement pété les plombs », expliquait un initié dans La Capitale, en octobre dernier.
  • À Molenbeek l’atmosphère est pesante depuis longtemps. Les conseils communaux houleux s’enchainent et la bourgmestre semble avoir perdu le contrôle de sa majorité. Elle n’est plus soutenue par le MR et affaiblie par ses propres troupes. Il faut y ajouter des problèmes de gestion financière de la commune et des pratiques de mauvaise gouvernance à répétition, qui ont émaillé toute la législature.
  • L’opposition craint que Moureaux ne revienne jamais et appelle la bourgmestre à démissionner. Elle intime aussi le PS à nommer quelqu’un d’autre, jusqu’aux prochaines élections. Quoi qu’il en soit, cela donne une très mauvaise image du PS, comme parti qui peut gérer les affaires publiques.

Le Grand Baromètre : un contraste saisissant entre la Wallonie et Bruxelles.

  • Une chute de 20 à 15,7% pour le PS, de la 2e à la 4e place dans la capitale. C’est le résultat du dernier sondage par rapport au score des élections de mai 2019. Le dernier sondage favorable pour le PS, à Bruxelles, remonte à décembre 2022, quand il plaçait les socialistes comme première force politique de la capitale, à près de 23%.
  • Il est toujours difficile d’expliquer des sondages, mais il est un fait que c’est le PTB qui en a le plus profité. Les communistes deviennent virtuellement la première force politique de la capitale, à 19,3%. Leur percée par rapport au sondage du mois de septembre coïncide avec la chute du PS dans le même laps de temps. Parmi les explications avancées, il se pourrait que le PTB capitalise plus sur le contexte international et l’éclatement de la guerre que mène Israël à Gaza.
  • Car il est édifiant de constater qu’on assiste à un processus tout à fait inverse en Wallonie. Le PS résiste à la première place en Wallonie (23,9%) alors que le PTB s’écroule de 20 à 14% d’intentions de vote entre septembre et décembre, prenant la 4e place derrière, le MR et Ecolo. Plus que jamais, les scrutins wallons et bruxellois semblent montrer leur différence.
  • Ahmed Laaouej a peut-être gagné la lutte des clans, mais il aura fort à faire pour redresser la barre, face au PTB et à un MR en progression.
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