La cryptobourse belge exhibe une indécente réussite commerciale. Bit4You semble engranger des revenus record sans effort, dopée par l’effervescence des marchés et l’adoption galopante des actifs numériques. Un succès entrepreneurial qui, contre toute vraisemblance, demande plus qu’un geek aux commandes.
Beaucoup d’entrepreneurs pourraient certainement envier Bit4You. La start-up bruxelloise, qui dévoilait timidement il y a un an ses prévisions d’atteindre les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, a très largement dépassé son objectif. À la fin de l’exercice 2020, les comptes affichent 173 millions. Un montant qui atomise le précédent et qui, à son tour, n’a déjà plus de commune mesure avec les résultats actuels.
« Cette année, nous sommes partis pour enregistrer pratiquement 1,8 milliard. On va potentiellement atteindre les 2 milliards d’euros. Cela dépend vraiment de la tenue des marchés cryptos », épingle Marc Toledo, cofondateur et managing director de la plateforme belge d’échange d’actifs numériques.
Autrement dit, un chiffre commercial décuplé (+1000%) pour la deuxième année d’affilée. Pour tenter de clarifier la situation, la comptabilité de la cryptobourse Bit4You présente cette spécificité de reprendre sous le poste du chiffre d’affaires les volumes de transactions des clients (les bitcoins et autres altcoins qu’ils achètent et vendent). Une formule à la place de laquelle certains souhaiteraient plutôt voir un calcul de marge d’intermédiation et de commissions à l’instar des banques.
To The Moon, une fois
Il faut dire que l’exchange belge profite d’un secteur en pleine ébullition: les cryptomonnaies ont attiré en 2021 plus de nouveaux utilisateurs en l’espace d’un seul semestre (+120 millions) que sur les dix dernières années.
« Il y a une très forte accélération de l’adoption de ces produits. La régulation se met en place au niveau international. Un équilibre est en train de se trouver entre les différents acteurs du marché. Tout cela conforte l’idée que les cryptoactifs et la finance décentralisée, la DeFi, sont des voies d’avenir. Donc nous avons de très beaux jours devant nous », estime l’administrateur délégué de Bit4You, se réjouissant du rôle de pionnier joué par sa start-up en Belgique malgré un scepticisme ambiant qui lui aussi évolue positivement.
Mais quel serait le revers de la médaille, se demande-t-on dans les milieux d’affaires. Habituellement, les jeunes entreprises s’impatientent à l’idée de communiquer dès qu’un seuil symbolique est franchi, comme le fameux « premier million » d’euros de CA. Dès qu’une start-up est mise en avant, on passe alors un peu sous le capot du business pour voir comment il carbure. Rentabilité, effectifs, projections financières à 5 ans, profils d’utilisateurs, volumes des produits ou services…
L’homme qui valait 2 milliards ?
Avec Bit4You, les fondamentaux sont rarement évoqués en détail. Le crypto exchange est souvent apparu dans les médias belges cette année, principalement dans des formats financés par lui-même. Alors quand on passe sa curiosité dans les comptes annuels les plus récents de la société anonyme, on découvre ce chiffre d’affaires assez renversant cité par le cofondateur mais aussi la situation modestement bénéficiaire, la hausse de la marge brute d’exploitation plus considérable et le nombre d’employés.
Ou plutôt, l’employé. Un homme, à temps plein, en CDI, entré sur le marché du travail au sortir du secondaire, stipule sans davantage de précision le bilan. Une singularité qui, vue de l’extérieur, semble étonnante en comparaison du gigantisme des revenus commerciaux.
« Dans la vie il n’y a pas que les employés », sourit en réplique Marc Toledo, sans indiquer qui est l’heureux élu. « Il y a aussi des indépendants. Comme moi. Comme Sacha (Vandamme, cofondateur et CEO, ndla). Bit4You travaille avec des informaticiens indépendants, des développeurs indépendants, beaucoup de profils indépendants et a donc très peu d’employés. C’est vrai. »
Des compétences décentralisées
Mais cette apparente incongruité de « la start-up d’un seul homme » reflète aussi la particularité du secteur crypto. La plateforme bruxelloise collabore avec des spécialistes pointus qui préfèreraient le statut d’indépendants, pour vendre en quelque sorte leur temps, et externaliserait en conséquence savamment tout ce qui peut l’être.
« Notre stratégie a toujours été d’outsourcer chez les meilleurs ce qu’on peut faire chez les meilleurs. Et bien sûr, ce qu’on fait mieux est développé en interne. Donc toute notre partie marketing est outsourcée, la partie search engine optimization est outsourcée, relations publiques, design, compliance, etc. Mais je crois que Bit4You doit faire vivre une cinquantaine de personnes », expose le cofondateur.
En somme, la start-up Bit4You se dit break even depuis belle lurette et avoue tout dépenser en… marketing. Car c’est ce qui lui rapporte le plus de clients et in fine le plus d’argent.
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