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Business AM a rencontré Walter Isaacson, le biographe d’Elon Musk : « Il a trop de pouvoir entre les mains, mais il en est conscient »

Business AM a rencontré Walter Isaacson, le biographe d’Elon Musk : « Il a trop de pouvoir entre les mains, mais il en est conscient »
Isaacson et Musk. | Getty / Fotojet

Walter Isaacson, l’un des plus grands biographes actuels, a eu la chance de suivre l’entrepreneur Elon Musk pendant deux ans. Avant l’événement organisé par Business AM le 25 novembre à Gand, où Isaacson sera présent, nous avons eu l’opportunité de l’interviewer sur son livre et surtout sur l’homme qu’il dépeint : Elon Musk.

Elon Musk était-il sur votre liste de personnes à interviewer ? Comment vous est venue l’idée de le suivre ?

« J’ai toujours admiré les personnes innovantes, celles qui bousculent le statu quo. J’ai écrit sur Steve Jobs, qui nous a menés à la révolution numérique. Puis, j’ai voulu écrire sur quelqu’un qui nous a conduits à la révolution de la biotechnologie et des modifications génétiques, donc j’ai écrit sur Jennifer Doudna. La personne logique à suivre ensuite était Elon Musk, car il nous a amenés à l’ère des voyages spatiaux commerciaux et des véhicules électriques. »

« Nous avons donc eu une longue conversation et j’ai dit : ‘Je ne veux pas baser ce livre sur cinq, dix ou quinze interviews, mais être à tes côtés quand je le souhaite pendant deux ans.’ Et j’ai aussi dit : ‘Tu n’auras pas de contrôle sur le livre. Je ne te le montrerai pas avant publication.' »

« Il a accepté les deux conditions. Ainsi, au cours des deux dernières années, j’ai fait des reportages tout en étant à ses côtés et j’ai essayé de raconter l’histoire narrative, l’histoire de ce qu’il a fait. »

Cela s’est-il passé si facilement ?

« Au début, il a été très facile quand j’ai dit : ‘ce sont mes conditions.’ Il a juste dit : ‘Ok, bien sûr.’ Mais il n’est pas une personne facile. Vous savez, il y avait des moments où il pouvait, comme Steve Jobs, se mettre très en colère contre les gens. Il y avait des moments où je le voyais entrer dans des périodes d’humeur sombre, mais aussi des moments où il était inspirant, drôle et heureux, surtout lorsqu’il marchait à travers ses usines. Il adorait être impliqué dans la création de ses produits. »

Mode Démon

Vous avez parlé de son caractère, mais à quel point pouvait-il se montrer dur envers vous ? Vous avez déjà dit qu’il avait des sautes d’humeur. Les gens disent aussi que Musk a cinq ou six personnalités. Est-il un peu « Dr Jekyll et M. Hyde » ?

« Il est certainement Dr Jekyll et M. Hyde, tout comme son père, et il peut passer de très heureux et inspirant à très sombre et d’humeur maussade. Cela m’a surpris, le fait qu’il avait ces différentes personnalités. »

« Quand les gens demandent si je l’aimais bien, je dis : il y avait des moments où je l’aimais vraiment et des moments où ce n’était pas le cas. Parfois, il entre dans une personnalité sombre et maussade et poste des choses sur les réseaux sociaux qui ne sont pas bonnes parce qu’il est d’humeur sinistre. Et puis il se met a répandre des théories du complot ou des idées marginales. »

Certaines personnes disent que son mode démon est vraiment peu attrayant, mais que c’est comme ça qu’il obtient des résultats. Est-ce ainsi que cela se passe ?

« C’est ce que sa petite amie, Claire Boucher, mieux connue sous le nom de Grimes, a dit. Que ce n’est pas agréable d’être autour de lui quand il est en mode démon, mais qu’il peut accomplir des choses. Il devient juste très concentré, parfois froid et en colère. Mais il s’assure que les gens comprennent la mission et comment elle doit être exécutée. »

Est-il différent en privé qu’en tant que figure publique ? Était-il différent avec vous ?

« Oui, il y avait des moments où il était juste très silencieux et ne disait rien, puis il commençait à parler à voix basse de son enfance ou de certaines choses de son passé. Mais je ne pense pas que ma présence ait influencé sa façon de se comporter. »

« En d’autres termes, il pouvait être aussi heureux ou aussi sombre quand j’étais là que quand je n’étais pas là, parce que je l’ai demandé aux gens et ils m’ont dit : ‘Non, ta présence n’affecte pas sa manière de se comporter’. »

Retour en enfance

Vous avez déjà mentionné son père. Sa mère, Maye, a dit un jour : « Le danger pour Elon est qu’il devienne comme son père. » Le père d’Elon est-il la clé pour comprendre ce que celui-ci est devenu en tant qu’adulte ?

« Il y a beaucoup de clés pour comprendre Musk, mais comme avec la plupart des gens motivés, vous devez revenir à l’enfance et voir quels démons et motivations lui ont été inculqués enfant. Et l’un des plus forts était son père, un homme très dur et abusif psychologiquement. Selon Elon, lorsque, parfois, il était molesté sur le terrain de jeu parce qu’il n’avait pas d’amis et était maigre et n’était pas très bon dans les interactions sociales, son père prenait parfois le parti des personnes qui le frappaient. »

« Son père lui disait qu’il était inutile et qu’il n’accomplirait jamais rien. Donc, je pense qu’Elon a finalement développé une partie de la dure personnalité de son père. Cette capacité, ce comportement ou cette caractéristique de parfois changer de personnalité. »

Quelle était l’astuce principale pour faire parler Elon Musk ?

« Rester silencieux. Quand il n’était pas prêt à parler, je m’asseyais parfois avec lui. Puis nous étions juste tous les deux, je posais une question et il n’était pas vraiment prêt à répondre. Puis il y avait un silence et je restais simplement silencieux, parfois cinq, parfois dix minutes. Et finalement, il commençait alors à parler. »


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« Musk aime être important »

Il dirige six entreprises ou plus. Comment un seul homme peut-il faire cela ? Est-il vraiment multitâche ?

« Il n’est pas vraiment multitâche, ce qui signifierait qu’il fait beaucoup de choses à la fois. Ce qu’il fait, c’est se concentrer très précisément sur un détail à la fois, une tâche à la fois. Et donc, il peut par exemple passer une heure sur la valve d’un moteur de fusée. Ensuite, il peut passer deux heures sur des voitures entièrement autonomes, et comment une telle voiture ferait un virage à gauche à une intersection. Et puis il peut passer deux heures sur l’un ou l’autre détail concernant Twitter. Donc il va juste de détail en détail. Il a dit un jour : ‘Si tu te concentres sur les détails, le reste de ton équipe dans l’entreprise s’occupera des autres détails.' »

Nous devons tous admettre qu’Elon Musk est devenu l’une des personnes les plus populaires au monde. Non seulement par sa richesse, mais aussi parce qu’il contrôle les satellites Starlink et les voyages spatiaux privés. Il est maintenant un élément important d’un conflit géopolitique. Nous sommes curieux de savoir comment vous l’avez vu gérer ce pouvoir, et si vous pensez qu’il essaie de faire ses preuves à cause de son enfance, ou s’il essaie de repousser ce pouvoir.

« Je pense qu’il aime être important, c’est pourquoi il voulait que le livre soit écrit. Et je pense personnellement qu’il a trop de pouvoir, par exemple pour décider si Starlink doit être utilisé par les Ukrainiens pour attaquer en Crimée. C’est probablement trop de pouvoir pour une personne privée. »

Mais même lui l’a admis. Il m’a dit : ‘Comment suis-je impliqué dans cette guerre ? Je voulais simplement que Starlink soit utilisé pour que les gens puissent regarder des films sur Netflix ou jouer à des jeux vidéo.’ Il a donc parlé à l’armée américaine et a transféré une partie de son pouvoir à celle-ci. L’armée contrôle désormais une partie des services Starlink.

Une question est : devrait-il avoir autant de pouvoir ? Une autre, et c’est de cela que parle le livre, est de savoir comment il a acquis autant de pouvoir. C’est en partie parce qu’il a construit des satellites qui fonctionnaient alors que les autres échouaient lorsque les Russes les pirataient. Et il a pu construire un réseau de recharge pour les voitures qui fonctionnait lorsque le réseau gouvernemental ne fonctionnait pas. Il pouvait fabriquer des fusées capables de mettre des astronautes en orbite terrestre, ce que la NASA, notre propre gouvernement et Boeing ne pouvaient pas faire. Donc, la question est de savoir comment il a acquis autant de pouvoir. Et ensuite, compte tenu de sa personnalité, est-ce une bonne chose qu’il ait autant de pouvoir ?

« Acheter Twitter était une mauvaise idée »

Parlons maintenant de X ou de Twitter. Étiez-vous dans la pièce lorsque Elon a acheté Twitter ?

« Oui, j’étais avec lui. Musk venait d’ouvrir une énorme usine pour Tesla au Texas. Il en avait ouvert une à Berlin et tout se passait bien. Il avait vendu un million de Tesla. Ses fusées avaient été lancées et récupérées plus de 30 fois avec succès et pouvaient être réutilisées. Il est le genre de personne qui ne peut pas profiter de son succès. Musk ne peut pas simplement s’asseoir et être heureux.

Il a dit : ‘Je suis comme un accro aux jeux vidéo. Je dois toujours passer au niveau suivant du jeu.’ Et donc il nous a dit, à moi et aux gens autour de lui : ‘Je pense à acheter Twitter’. Selon moi, c’était une mauvaise idée, car il a un sens de la technologie, mais pas des émotions humaines. »

Même avant, il était convaincu que presque tout le monde qui travaillait chez Twitter était incompétent. D’où venait cette conviction ?

Pendant deux ans, Twitter n’avait pas développé de nouvelles fonctionnalités pour son produit, ils n’avaient pas ajouté la possibilité de poster des vidéos complètes. Musk a passé du temps avec quelques-uns de ses collègues de Tesla qui ont examiné le code. Il était assis devant un ordinateur et examinait le code écrit par les ingénieurs de Twitter.

Et il a décidé de licencier plus de 80 % de ces ingénieurs. Il l’a fait au cours des deux ou trois premières semaines. Je pensais que cela signifierait que Twitter ne fonctionnerait pas. Il y a eu quelques problèmes, mais maintenant le réseau fonctionne avec seulement 20 % des employés.

Elon Musk en tant que père

Voilà pour l’homme d’affaires. Comment est-il en tant que père ? Combien de fois l’avez-vous vu s’occuper de ses enfants ?

« Il est très intense en tant que père, tout comme il l’est dans tout ce qu’il fait. Il a onze enfants. L’un d’entre eux est décédé jeune. Un autre est transgenre, est maintenant sa fille et ne veut pas lui parler parce qu’elle est très anticapitaliste. Mais les autres enfants l’adorent et il les emmène toujours partout avec lui. Il entretient donc une relation forte et intense avec la plupart de ses enfants.

Tous ses enfants ont des noms spéciaux. En parlant de noms, j’ai lu dans votre livre que sa mère Maye avait initialement l’intention de donner à Elon le prénom Nice. Cela aurait été un peu hilarant de l’appeler M. Nice Musk.

« Ils voulaient l’appeler Nice (à la française, ndlr), d’après la ville en France où il a été conçu. Mais en anglais, ces quatre lettres forment le mot ‘nice’, gentil. Et cela aurait été, comme vous l’avez dit, très amusant. »

Que devons-nous retenir de cet homme fantasque, comme vous le dites ? Malgré tous ses défauts et son imprévisibilité occasionnelle et parfois même sa cruauté, est-ce qu’il est celui dont nous avons besoin pour obtenir des voitures électriques, des fusées, un Internet par satellite et toutes ces autres choses ?

« Je pense qu’il sera surtout retenu pour les voyages spatiaux, pour nous avoir fait entrer dans l’ère des véhicules électriques et pour la capacité à produire des choses en Europe et aux États-Unis, plutôt que de se reposer sur l’Asie.

Je pense aussi qu’il sera retenu pour Twitter, mais pas de manière positive. Il a rendu Twitter un peu plus toxique. Il y n’a plus que des commentaires toxiques. Je ne pense pas qu’il soit aussi doué pour gérer Twitter qu’il l’était pour nous envoyer dans l’espace, introduire des véhicules électriques et maintenant construire des robots et de l’intelligence artificielle. »

Musk n’a pas de commentaire

Monsieur Isaacson, allez-vous écrire à nouveau une biographie sur une personne vivante ?

Après avoir traité quelqu’un, surtout quelqu’un d’aussi intense qu’Elon Musk, je retourne parfois dans l’histoire. Donc peut-être que pour mon prochain livre, je reviendrai vers le passé. Mais il y a beaucoup de personnes vivantes qui méritent d’être décrites. »

Gardez-vous toujours le contact ? Vous envoyez-vous toujours des messages l’un à l’autre ?

« Pas vraiment. Nous ne sommes pas amis. Depuis la sortie du livre, je le vois de temps en temps. Quand je suis au même endroit que lui, nous discutons. Il n’a pas commenté le livre et c’est très bien, car comme je lui ai dit au début de notre travail, il n’en a aucun contrôle. Donc, il rit simplement et dit : ‘Je ne l’ai pas lu parce que tu m’as dit de ne pas le lire.’ Il l’a peut-être lu, mais il en plaisante et dit que non. »

Monsieur Isaacson, nous tenons à vous remercier chaleureusement de prendre le temps de discuter avec nous. Avez-vous une relation spéciale avec la Belgique ?

« J’aime la Belgique, j’y suis souvent allé et ma femme et moi sommes impatients de visiter Bruges et Bruxelles. Quand j’étais journaliste, j’ai bien sûr passé du temps à Bruxelles, et Bruges est l’une de ces villes magiques. Je viens de La Nouvelle-Orléans, une vieille ville, et j’aime les belles villes. »

« Tant Bruges que l’effervescence et l’excitation que l’on trouve à Bruxelles nous attirent, ma femme et moi. Gand est aussi l’une de ces vieilles villes magiques. Nous aurons d’excellents événements à Gand et à Bruxelles. »


L’événement au Meetdistrict Gent est organisé par Business AM en collaboration avec Spectrum. Walter Isaacson présentera notamment son dernier livre, qui raconte l’histoire fascinante et controversée d’Elon Musk. Il le fera lors d’un entretien avec Wouter Verschelden. Une séance de dédicaces suivra.

MB

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